Arbustes : tailler moins pour gagner plus...
L'affirmation peut paraître insolite, voire saugrenue, tant le besoin de tailler est profondément ancré dans les mentalités de la plupart des jardiniers, professionnels ou amateurs. Pourtant, pour peu que les végétaux soient bien choisis, leur disposition, distance de plantation et entretien adaptés, la taille devient vite facultative ou, du moins, n'est pas annuellement indispensable.
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Pour échapper à bien des erreurs souvent synonymes d'augmentation de travail, de surcoût financier et de diminution de l'esthétique, la compréhension de la construction naturelle de chaque arbuste est une nécessité impérieuse. Revenons donc à des fondamentaux de botanique, trop souvent passés aux oubliettes !
Selon leur nature, les végétaux ligneux (qui sont capables de former du bois) vont évoluer en construisant leur architecture selon trois principes bien distincts : l'acrotonie, la basitonie et les rameaux médians (mésotonie, arcures et inclinaisons).
1 L'ACROTONIE.
C'est le mode de ramification selon lequel une plante maintient une tonicité en partie supérieure des rameaux faisant qu'elle prend du volume à partir de bourgeons terminaux situés à l'extrémité des axes ou dans leur partie haute. Les bourgeons de la base ne se développent pas ; ils restent latents et peuvent ne jamais débourrer, sauf si un accident de végétation survient et lève les inhibitions qu'ils subissent. Restant longtemps capables de maintenir une vigueur sur l'extrémité des rameaux sans engendrer de bois mort, les plantes acrotones ne nécessitent pas de taille pour elles-mêmes, pourvu qu'elles disposent de suffisamment de place pour pousser.
2 LA BASITONIE.
Mode de ramification selon lequel une plante forme régulièrement des ramifications vigoureuses à partir de la base des rameaux (basitonie de rameau), de la souche (basitonie de souche) ou directement à partir des racines. Les pousses seront d'autant plus vigoureuses qu'elles seront proches de la base des rameaux ou de la souche. Certaines plantes émettent des rejets souterrains (drageons, stolons), assimilables à une basitonie de souche. Ils contribuent à la régénération de la plante et parfois à la colonisation de l'espace. Exemples : Diervilla splendens, Kerria japonica (corète du Japon), Perovskia atriplicifolia, Sorbaria, Spiraea × billardii, Rosa rugosa non greffés (rosier rugueux), certains Rubus (ronces arbustives), Rhus (sumac de Virginie)... Basitonie de souche et de rameaux se cumulent fréquemment sur une même plante. Une fois leur système racinaire en place, ce qui nécessite un maximum de trois à cinq ans, les plantes purement basitones ne grandissent plus.
3 LES RAMEAUX MÉDIANS.
La mésotonie est l'aptitude d'une plante à former des branches vigoureuses depuis le milieu d'un axe ou un tronc, faisant qu'elle se développe en hauteur à partir de successions de rameaux issus de la zone médiane des bois de l'année précédente (mésotonie simple) ou des années précédentes (mésotonie retardée). Cependant, de très nombreuses plantes émettent des rameaux en position mésotone sans pour autant qu'ils contribuent à faire grandir les plantes.
Les arcures et les inclinaisons sont des techniques très voisines de la mésotonie. Arquer un rameau consiste à le courber de telle sorte que son extrémité soit plus basse que sa partie médiane. L'incliner consiste à faire la même opération sans que l'extrémité soit plus basse que la partie médiane. En effectuant des blocages partiels de la circulation de la sève, ces deux techniques engendrent le réveil de bourgeons qui produiront des rameaux plus ou moins vigoureux selon le degré de courbure et la nature des plantes. Visant à diminuer la vigueur des rameaux pour en augmenter la fructification, ces procédés sont couramment pratiqués en cultures fruitières mais ne le sont que de façon ponctuelle en espaces verts ou au jardin. Cependant, nombre de plantes courbent de façon naturelle leurs rameaux sous le poids des extrémités, entraînant l'affaiblissement de ces dernières et l'apparition de repercements vigoureux en début de courbure. Pour simplifier, les rameaux issus d'arcures ou d'inclinaisons sont eux-mêmes qualifiés d'arcures ou d'inclinaisons. D'un point de vue fonctionnel, mésotonie, arcures et inclinaisons permettent toutes trois de régénérer partiellement des arbustes, au même titre que le font des rameaux acrotones. Elles limitent donc la nécessité de tailler. Une terminologie commune permet de les qualifier de rameaux médians. Il faut cependant noter que les arcures et inclinaisons contribuent essentiellement à l'élargissement des arbustes tandis que la vraie mésotonie les fait souvent grandir.
4 CUMUL DE RAMIFICATIONS.
La nature étant tout sauf cartésienne, il n'est pas rare de rencontrer des plantes qui cumulent plusieurs modes de ramification. Le noisetier, laurier sauce et très souvent le lilas conjuguent fréquemment une totale acrotonie et une basitonie de souche évidente. Chez les viornes (Viburnum), l'acrotonie perdure de longues années tandis que la basitonie, très forte chez Viburnum × burkwoodii, varie dans des proportions assez importantes selon les plantes, la nature du sol, le climat et le type de taille. Selon leur mode de ramification, les végétaux n'évoluent pas de la même manière. Les plantes acrotones continuent très longtemps leur croissance en hauteur et en volume. Elles sont donc parfaitement capables de se passer de taille, à l'instar de toutes les plantes qui composent les strates moyennes et hautes de nos bois. À l'inverse, les plantes basitones ne poussent plus en hauteur une fois leur système racinaire établi, ce qui nécessite un délai de trois à cinq ans maximum. En contrepartie, elles se régénèrent à partir de leur base... tant que la place est suffisante ou tant qu'elle est maintenue par une taille adaptée. Une absence de croissance en hauteur et une perte de possibilités de repercements de la base entraînent une augmentation du bois mort et un vieillissement des plantes, à moins que des rameaux médians ne viennent partiellement compenser. Pour composer de façon durable, mais aussi pour gérer au mieux et sur le long terme des espaces plantés, il est par conséquent indispensable de bien connaître le comportement des plantes. Bien qu'il existe assez souvent des similitudes pour un genre ou une espèce donnés, les modes de ramification varient parfois d'une espèce ou d'un cultivar à l'autre. Deux genres expriment assez bien ces similitudes et ces différences propres à un genre donné.
5 L'EXEMPLE DE L_HYDRANGEA...
Hydrangea macrophylla est parfaitement basitone mais il possède une acrotonie qui variera dans d'importantes proportions selon le cultivar. Quant à Hydrangea arborescens, il est totalement basitone et émet des drageons. Il est en outre dépourvu d'acrotonie, tandis qu'Hydrangea quercifolia et Hydrangea paniculata sont précisément acrotones, avec une possible basitonie.
6... ET CELUI DU CORNUS.
Les grands cornouillers (C. florida, C. controversa, C. kousa, C. mas, C. officinalis, C. alternifolia...) sont excessivement acrotones et, sauf conséquences de traumatismes liés à des accidents ou une fois parvenus à un âge très avancé, ils sont dépourvus de basitonie. Cornus alba et Cornus stolonifera maintiennent pendant un laps de temps allant de trois à sept-huit ans une acrotonie décroissante qui variera selon le cultivar et les conditions pédoclimatiques. Ils maintiendront une forte basitonie, d'autant plus forte que des bois leur seront supprimés sur la souche. Un drageonnage d'autant plus important que la taille sera légère et favorisera une colonisation de l'espace et le maintien d'une certaine vigueur dans le massif. Cornus sanguinea est totalement acrotone mais il présente une basitonie très marquée à partir des racines, parfois de la souche, faisant qu'il est capable de coloniser très rapidement d'importantes surfaces, pour peu que s'ajoute une multiplication par semis. Les Cornus fluos (Cornus sanguinea 'Winter Flame', C. sanguinea 'Midwinter Fire'...), également issus de C. sanguinea sont, comme leurs parents, capables de maintenir une acrotonie plus ou moins importante selon la nature du cultivar, mais leur bois se décolore très vite, diminuant considérablement l'intérêt qui a présidé à leur choix. Quant à Cornus stolonifera 'Kelseyi', petit cornouiller basitone, sa faible persistance de l'acrotonie et sa faible disposition à engendrer des rameaux médians le prédisposent assez mal à des massifs sans entretien, sauf à accepter de le voir assez rapidement disparaître faute de capacité à maintenir une possibilité de renouveler ses rameaux.
Pascal Prieur
Pour en savoir plus : retrouvez la seconde partie de cet article dans un prochain numéro ; le site internet de l'auteur (www.pascalprieur.com) ; le site des arbusticulteurs (www.arbusticulteurs.com) ; la « Végébase » de Plante & Cité.
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