Le tilleul argenté
Le tilleul argenté doit son succès dans les alignements à sa remarquable plasticité et à une bonne résistance aux agressions parasitaires. Mais sa grande sensibilité aux échaudures corticales et la faiblesse de ses enfourchements peuvent le pénaliser…
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PORTRAIT DE L'ARBRE
Le premier tilleul argenté (Tilia tomentosa ou T. argentea) a été introduit en France à la fin du XVIIIe siècle au Jardin des Plantes de Paris. Parfois appelé tilleul de Hongrie ou tomenteux, il est originaire des rives de la mer Noire et du Caucase. Cet arbre au port ovoïde et au houppier compact pousse très rapidement dans de bonnes conditions et peut atteindre 40 mètres. Ses feuilles vert sombre, pubescentes sur leur face inférieure, lui donnent des reflets argentés sous l'effet du vent. Son écorce, d'abord grise et lisse, se fissure et s'assombrit avec l'âge. Son bois blanc reste tendre. Ses fleurs s'épanouissent en juillet et août, et dégagent une odeur très soutenue. Dans les pays de l'Est, une importante production de miel est réalisée sur ces tilleuls. Dans nos régions, leur nectar est parfois considéré comme toxique pour les butineurs, car insuffisamment nourrissant, notamment pour les bourdons qui mourraient d'inanition. L'arbre présente une très bonne aptitude à rejeter. Il peut donc être conduit en forme architecturée (rideau ou « tête de chat ») à condition d'être très régulièrement taillé. Il ne supporte que des plaies de taille de faible diamètre ; les autres seront rapidement colonisées par des agents lignivores décomposeurs du bois profond. Le développement d'enfourchements à écorce incluse, assez commun sur le tilleul argenté, doit impérativement être corrigé lors de la taille de formation des jeunes arbres, car les fourches affectées resteront fragiles et pourront se rompre en présence d'une forte charge de vent sur des sujets devenus adultes. De plus, ces zones d'entre-écorce seront facilement convoitées par des champignons lignivores opportunistes comme l'ustuline brûlée ou le ganoderme européen.
Le tilleul argenté apporte un ombrage dense et agréable. Il a donc été souvent choisi pour occuper les places publiques et pour remplacer le platane décimé par la maladie du chancre coloré (Ceratocystis platani) dans le sud-est de la France, dans les années 80. En pépinière, il est le plus souvent produit par greffage sur Tilia americana. Il existe plusieurs variétés dont ‘Brabant' au port conique et ‘Rhodopetala' aux boutons floraux de couleur rouge.
SENSIBILITÉS ENVIRONNEMENTALES
Le tilleul argenté s'accommode de conditions stationnelles extrêmement variées et s'implante partout en France, à l'exception des zones de montagne et du littoral atlantique. Tous les types de sol lui conviennent, avec une petite préférence pour les terrains siliceux et profonds. Il parvient même à coloniser correctement les sols urbains hétérogènes et compactés. Il tolère le calcaire et supporte les épisodes de sécheresse estivale. Seuls les sols trop humides avec des périodes d'hydromorphie l'incommodent. Essence de pleine lumière, il accepte toutefois un certain ombrage. Il est particulièrement sensible aux rayonnements solaires sur son écorce et est donc sujet aux « échaudures » corticales. Le tronc d'un jeune arbre peut être marqué par une nécrose longitudinale orientée à l'ouest, s'étendant du collet jusqu'aux premiers départs des charpentières. Cette lésion qui met à nu le bois d'aubier desséché est une porte ouverte à un champignon lignivore, le schizophylle commun. Des mesures de protection du tronc (canisse, natte de jonc…) se justifient lors de la plantation. Le tilleul argenté supporte bien les pollutions urbaines à l'exception de celles résultant de l'épandage de sels de déneigement. L'absorption de grandes quantités de chlore et de sodium par ses racines peut entraîner sa mortalité partielle ou totale. Une intoxication génère des symptômes foliaires assez caractéristiques : une nécrose marginale associée à un jaunissement de la périphérie du limbe. Les feuilles affectées finissent par se dessécher et tombent prématurément.
GRANDES AFFECTIONS PARASITAIRES
Le tilleul argenté connaît de nombreuses affections parasitaires, mais leur impact est moins grave que sur les autres espèces de Tilia. Seuls le pourridié racinaire à armillaire et la verticilliose peuvent vraiment l'affecter.
Affections foliaires
Les attaques du puceron du tilleul (Eucallipterus tiliae) sont incontestablement les plus fréquentes sur le feuillage. Les insectes vivent en colonies au revers des feuilles et ponctionnent la sève élaborée. S'ensuivent d'importants écoulements de miellat excrété sous les arbres attaqués, puis la propagation d'un champignon noir, la fumagine.
En raison probablement de la présence d'une dense pilosité au revers des feuilles de Tilia tomentosa, l'acarien du tilleul (Eotetranychus tiliarium) est rarement préoccupant. Il peut se manifester dans des conditions particulièrement chaudes et sur des arbres fortement taillés au houppier très compact. Un ternissement suivi d'un jaunissement des limbes foliaires se remarque alors dans la partie basse de l'arbre au début de l'été. Les feuilles les plus atteintes peuvent chuter prématurément, mais une défoliation totale est rarement observée.
Un acarien cécidogène (Eriophyes leiosoma) provoque de discrètes cloques sur la face supérieure des feuilles. Au revers, une pilosité blanchâtre se densifie dans les parties concaves.
De nombreuses larves défoliatrices sont répertoriées sur le feuillage du tilleul argenté, mais aucune d'entre elles ne semble pouvoir se développer de façon épidémique et défeuiller totalement un arbre. Chez les lépidoptères, la liste est longue : bombyx laineux (Eriogaster lanestris), phalène hiémale (Operophtera brumata), phalène défeuillante (Erannis defoliara), sphinx du tilleul (Mimas tiliae), bucéphale (Phalera bucephala), inconstante (Orthosia incerta) ou diverses tordeuses (Pandemis sp. et Archis sp.). Chez les coléoptères, seules les larves de la galéruque de l'aulne (Agelastica alni) provoquent des dégâts très ponctuels et occasionnels.
Parfois, des petites nécroses foliaires se remarquent sur les feuilles basses des arbres. Ces taches, dont le centre grisâtre est auréolé de noir, sont occasionnées par un mycète parasite, Cercospora microsora. La cercosporiose reste très peu dommageable sur les sujets adultes.
Parasites et ravageurs des branches et du tronc
Plusieurs espèces de cochenilles s'invitent sur le tilleul argenté. La plus commune, la cochenille pulvinaire de l'hortensia (Eupulvinaria hydrangea), s'observe à la fin du printemps au revers des feuilles lors de la ponte ; des amas blancs cotonneux correspondant aux ovisacs confectionnés par les femelles contiennent plusieurs centaines d'oeufs. À l'automne, les insectes gagnent les rameaux pour y passer la mauvaise saison. Une autre cochenille à carapace, la cochenille du noisetier (Eulecanium tiliae), fait également quelques escapades. Généralement, toutes les cochenilles subissent une efficace régulation naturelle, même en milieu urbain, et ne parviennent pas à pulluler. La scintillante rutilante (Scintillatrix rutilans rutilans) s'intéresse surtout aux sujets en difficulté. Sa larve creuse des galeries dans la zone sous-corticale entraînant le dépérissement rapide de l'arbre colonisé.
Parfois, des chancres pérennants se développent sur les troncs et les charpentières des vieux tilleuls. Ces zones chancreuses sont attribuées à des mycètes parasites, le Phomopsis sp. ou l'agent responsable du chancre européen (Nectria galligena). Elles semblent relativement peu évolutives et ne contrarient pas durablement le mécanisme de recouvrement par le cal. Mais ils sont convoités par des champignons lignivores qui dégraderont le bois profond.
Pathologies racinaires
À tout stade de son développement, le tilleul argenté peut être victime de la verticilliose (Verticillium dahliae). Le champignon présent dans le sol pénètre par le système racinaire et infecte les vaisseaux xylémiens, obturant ainsi le passage des flux de sève. Un flétrissement souvent sectorisé n'affectant que certaines branches se remarque alors dans le houppier à l'arrivée des premières chaleurs. Cette pathologie peut entraîner le dépérissement rapide et irréversible de l'arbre, mais généralement – notamment sur des sujets adultes –, les parties affectées repartent en végétation la saison suivante.
Le pourridié à armillaire (Armillaria mellea) sévit également sur un vieil arbre ou un sujet en difficulté. Le plus souvent, des excès d'eau ou des arrosages irraisonnés et abondants sont à l'origine de son développement. Le tilleul affecté se dessèche brutalement au cours de l'été. Ses racines sont colonisées dans leur zone sous-corticale par des palmettes mycéliennes blanches.
Champignons lignivores
Sur la partie aérienne de l'arbre, l'amadouvier officinal (Fomes fomentarius) développe des consoles grisâtres à la forme caractéristique de sabots. Ces fructifications dures et croûtées persistent plusieurs années. Le bois atteint présente d'importantes fissurations et se dégrade rapidement (pourriture blanche fibreuse). Plus discrètes sont les petites fructifications du schizophylle commun (Schizophyllum commune), de multiples consoles blanches de consistance molle sur les écorces. Ce lignivore a la réputation de coloniser les plaies d'écorçage ou les échaudures corticales et se contente de dégrader le bois d'aubier. La base du tronc ainsi que les mâts racinaires peuvent être le siège du ganoderme européen (Ganoderma adspersum), ainsi que de l'haplopore du frêne (Perenniporia fraxinea). Ces champignons aux massives consoles pluriannuelles apparaissant entre les contreforts racinaires sont susceptibles de fragiliser le tilleul. Enfin, l'ustuline brûlée (Kretzschmeria deusta) affectionne le collet de l'arbre ainsi que les zones d'entre-écorce et provoque une active pourriture alvéolaire du bois profond. Les fructifications discrètes de cet ascomycète se présentent sous la forme de croûtes noires ou de plaques aux contours arrondis de teinte blanc grisâtre.
Pierre Aversenq
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