Palmiers : deux ravageurs sous haute surveillance en Méditerranée
Le papillon de jour Paysandisia archon et le charançon rouge du palmier Rhynchophorus ferrugineus menacent les paysages du Sud-Est. Les expérimentations en cours apportent de nouveaux champs de connaissance, permettant de mettre à la disposition des gestionnaires divers outils pour combattre ces fléaux.
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Parmi tous les ravageurs apparus récemment en France, le papillon de jour Paysandisia archon (Burmeister) et le charançon rouge du palmier (CRP) Rhynchophorus ferrugineus (Olivier) s'attaquent aux palmiers (Arecaceae). Cet article fait le point sur les méthodes de lutte, notamment les résultats du programme Paysarch présentés par Nicolas André (Fredon Languedoc-Roussillon) lors de la journée PBI organisée le 26 juin 2012, à Montpellier (34) par Plante & Cité.
1 DES AMATEURS DE COEUR DE PALMIER DIFFICILES À REPÉRER.
Les larves de Paysandisia archon et du CRP, pourvues de fortes mandibules, dévorent les tissus des palmiers (stipe et rachis), forant galeries et cavités. Les vies larvaire et nymphale se déroulent à l'abri dans le stipe (faux-tronc), rendant leur repérage difficile.
Le cycle de P. archon (voir la figure en page suivante) varie en fonction de la durée des stades larvaires : dix mois et demi pour un cycle complet annuel, dix-huit mois et demi pour un cycle de deux ans. La période d'émergence des papillons s'étale de fin mai à début octobre. Pour le CRP, le cycle dure quatre à six mois dont un à deux mois pour les adultes avec plusieurs cycles par an. Les palmiers sont des monocotylédones n'ayant en général qu'un seul bourgeon foliaire, la lance. P. archon ne s'attaque qu'aux palmiers (vingt et une espèces dans dix genres). Ses préférés sont Trachycarpus fortunei, Chamaerops humilis, Phoenix canariensis. Le CRP affectionne Phoenix canariensis, il est décrit comme s'attaquant à vingt-six espèces de palmiers réparties en seize genres et cité aussi sur Agave americana et Saccharum officinarum.
2 UNE LUTTE OBLIGATOIRE ET COLLECTIVE
En cas de découverte, le Service régional de l'alimentation (Sral) et la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (Fredon) apportent un appui technique et réglementaire dans le contrôle des populations.
P. archon est inscrit comme organisme de quarantaine (annexe B de l'arrêté du 31 juillet 2000), c'est-à-dire qu'il entre dans la liste des organismes contre lesquels la lutte est obligatoire, après la prise des arrêtés préfectoraux. Lorsqu'en pépinière et chez les revendeurs (1), des plants présentent divers symptômes, l'exploitant doit informer les services officiels de sa région. Le CRP est aussi un organisme de quarantaine. Un arrêté ministériel du 21 juillet 2010 rend sa lutte obligatoire sur le territoire national. Toute personne physique ou morale, publique ou privée, est tenue d'assurer une surveillance générale du fonds lui appartenant ou utilisé par elle et, en cas de présence ou de suspicion de présence de Rhynchophorus ferrugineus, d'en faire la déclaration, soit au Sral dans le département dont elle dépend, soit au maire de la commune de sa résidence, qui en avise alors ce service.
3 DÉTECTER LE PLUS RAPIDEMENT POSSIBLE LES SYMPTÔMES
Pour avoir un espoir d'enrayer la prolifération de ces insectes, il faut détecter au plus tôt leur présence. En examinant l'aspect général des palmiers, les indices sont :
- absence de nouvelles palmes, palmes déchiquetées à différents endroits, jaunies, desséchées ou s'affaissant ;
- déformation du tronc, affaissement et desséchement de la couronne ;
- mort du palmier, indice ultime pour la plante, mais important pour ses voisines ! Les larves dévorent l'intérieur de la lance.
Lors de la croissance des feuilles, les pennées montrent des encoches en triangle comme produites par « une coupe aux ciseaux » et les palmées, des perforations type « rafale de mitraillette ». Attention, ces symptômes ne sont pas spécifiques : Sesamia nonagrioides, la noctuelle du maïs, et Ostrinia nubilalis, pyrale du maïs, s'attaquent aussi aux palmiers et y font des perforations.
« Sur Phoenix, lors d'attaques de P. archon, les palmes âgées de la couronne s'effondrent d'abord, suivies des juvéniles, c'est l'inverse pour les attaques de CRP », souligne Nicolas André.
Au niveau du tronc et de la couronne, les soupçons sont plus précis, mais le repérage plus difficile, soit :
- la présence de trous, de rejets d'excréments mélangés à de la sciure et à des fibres mâchées, d'écoulements visqueux avec une odeur nauséabonde ;
- l'observation d'adultes, d'exuvies ou de cocons fichés dans le stipe ou tombés au sol ;
- le bruit de la mastication des larves ; certains utilisent de vieux stéthoscopes pour « ausculter » le stipe !
Le signalement aux services officiels doit être immédiat afin que des examens complémentaires et des identifications puissent confirmer ou infirmer l'attaque.
4 UNE DÉTECTION PRÉCOCE EST CAPITALE
Détecter précocement pour lutter au plus vite est fondamental. Une fois installés, ces ravageurs sont difficilement contrôlables. Les adultes sont les seuls présents à l'air libre. Les réseaux de piégeage couplant phéromone d'agrégation et attractifs alimentaires permettent de capturer R. ferrugineus, de déterminer les périodes d'émergence et l'évolution des zones attaquées.
Pour P. archon, la mise au point d'une phéromone est en cours. Il semblerait que les deux sexes soient attirés d'abord par les palmiers. Le mâle, à l'affût dans la végétation, a un réflexe de poursuite de tout individu pénétrant son territoire, ce qui le rapproche des femelles. Celles-ci n'émettent alors qu'une phéromone de courte portée pour confirmer au mâle qu'elles sont bien de la même espèce.
La détection des larves dans les palmiers fait l'objet de nombreuses recherches mondiales, principalement pour le CRP. Des travaux sont en cours d'une part pour isoler le bruit de la mastication des larves de tous les autres perçus (les oiseaux, le vent, la circulation), et d'autre part pour repérer les larves par infrarouges, diffraction des rayons X, mais aussi à l'aide de la fluoroscopie, de l'échographie et de la tomographie. Les résultats sont intéressants mais l'application sur le terrain reste lointaine. Par ailleurs, des essais italiens utilisent des chiens renifleurs. Le bilan est contrasté mais mérite l'attention.
5 RETARDER LES ATTAQUES ET PROTÉGER AU MAXIMUM
Il est possible de retarder les attaques en choisissant des espèces peu attractives pour les nouvelles plantations. Il faut surveiller étroitement les espèces très sensibles, et broyer les déchets de taille et d'arrachage. Mais les palmiers brûlent mal et la destruction des insectes n'est pas garantie.
Différentes barrières physiques protègent les palmiers des pontes des femelles. Le Biopalm mis au point par l'Inra de Montpellier est un mélange de latex et de glue. Pulvérisé sur les feuilles les plus récentes, ce film collant dissuade les femelles de P. archon de pondre. Il en abîme aussi les ailes ainsi que celles des futurs papillons émergents. « Son efficacité contre le CRP semble moins probante », précise Nicolas André. En période d'activité des adultes, l'ensachage des couronnes de palmes par des filets de nylon (P. archon) ou métalliques pour le CRP (il ronge les filets en plastique) est basé sur le même principe. Il faut être sûr que les ravageurs ne sont pas enfermés dans le sac, car l'effet obtenu serait à l'inverse de celui escompté.
Il est impératif de protéger toute blessure et plaie de taille avec des mastics. Les produits volatils issus de la fermentation de palmiers blessés attirent les ravageurs. Il faut éviter la taille des palmiers sains.
6 RECOURIR AU MICRO-ONDES ET À LA LUTTE CHIMIQUE
Pour détruire les ravageurs présents dans les stipes, les micro-ondes sont proposés en lutte curative sous la forme d'appareils industriels. Ils enserrent les stipes et tuent toute forme vivante dans le palmier. Quant à l'endothérapie, elle est réglementée pour le contrôle du CRP – applicateurs agréés – dans les zones géographiques autorisées. Le produit homologué, Confidor, est systémique. Perfusé dans le stipe, il est véhiculé par la sève brute et tue les larves par ingestion. Les inflorescences sont coupées pendant les essais et jusqu'à un an au-delà pour protéger les pollinisateurs.
Pendant les périodes d'émergence des adultes, la lutte chimique s'effectue par pulvérisation. « Contre le papillon, il existe un court moment où la jeune larve fraîchement éclose se “balade” dans un milieu qui n'est plus l'intérieur inaccessible du palmier ; ce stade baladeur est le seul moment où elle peut être atteinte », remarque Nicolas André. La législation évoluant en permanence, les produits homologués sont recensés sous l'usage « Arbres et arbustes d'ornement - Traitement des parties aériennes - Ravageurs divers » (http://e-phy.agriculture.gouv.fr). « Dans cet usage, pour le Conserve (spinosad) récemment homologué, la qualité de la pulvérisation conditionne son efficacité. »
7 DES STRATÉGIES DE LUTTE BIOLOGIQUE
L'insecticide Ostrinil est à base du champignon entomopathogène Beauveria bassiana. Il est autorisé en préventif contre P. archon. Il agit par contact et peut parasiter tous les stades, de l'oeuf à l'adulte. Dès le début du vol du papillon, le traitement est réalisé par un applicateur agréé. Le traitement vise les palmes, est renouvelé toutes les deux semaines mais avec cinq applications maximum sur la saison. « Des utilisations sont en cours sur le CRP », précise Nicolas André.
Dans le cadre du programme Paysarch (www.plante-et-cite.fr), des essais ont testé l'efficacité curative du nématode Steinernema carpocapsae en conditions de terrain (palmiers de zone urbaine ou privée, application par des professionnels) dans le contrôle des populations de P. archon. Deux stratégies ont été comparées – une de printemps et une d'automne –, avec pour chacune deux traitements à quinze jours d'intervalle. La bouillie de 1 l à 1,2 l par palmier (concentration : 6 millions de nématodes par litre) est appliquée sur la zone apicale. Trois cent quatre-vingt-sept plantes (T. fortunei, C. humilis, P. canariensis) – deux cent quatre-vingt-quatorze palmiers traités et quatre-vingt-treize témoins – ont été réparties sur six sites expérimentaux (Var et Hérault). Des notations régulières ont été réalisées selon six classes d'infestation. Les résultats montrent que les traitements de printemps n'apportent aucune amélioration. L'intérêt de la stratégie d'automne est qu'il y a amélioration de l'état sanitaire des palmiers quand le niveau d'infestation est faible. Dans les conditions de cet essai, cette stratégie présente un intérêt curatif.
8 CONVAINCRE LES PROPRIÉTAIRES PRIVÉS
Il est possible de mettre en place des stratégies de contrôle collectives par différents moyens complémentaires, dont la lutte biologique. Respectueuses de l'environnement, elles peuvent être efficaces préventivement, voire curativement si les ravageurs sont détectés précocement. Il faut s'adapter à l'accessibilité du palmier pour les traitements, à son état d'infestation, à celui des zones aux alentours, et aux conditions météorologiques (critère important pour l'utilisation des nématodes). Si les producteurs et les gestionnaires des espaces verts publics sont mobilisés dans la lutte contre ces fléaux, il faut aussi convaincre les propriétaires privés.
Reste qu'il ne faut pas s'acharner à sauver un palmier : « Si, après identification du ravageur, le niveau de contamination s'avère trop fort, ce serait une perte de temps, d'énergie. Il faut le détruire correctement », conclut Nicolas André.
Catherine Çaldumbide (2)
(1) L'échange et le commerce des palmiers sont encadrés par le dispositif de Passeport phytosanitaire européen (PPE). (2) Alter'Nature http://alternature26.wordpress.com
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