PATRICK LORIE, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES MÉTIERS DE LA JARDINERIE (FNMJ) « On ne rend pas le produit assez attirant »

Depuis fin 2011, Le Lien horticole a engagé une démarche visant à favoriser le dialogue entre les acteurs de la filière. Après Dominique Douard pour Val'Hor (le Lien horticole n° 780), Dominique Boutillon pour la FNPHP (le Lien horticole n° 785) et Emmanuel Mony pour l'Unep (le Lien horticole n° 788), la parole est aux métiers de la jardinerie.

Quels sont, aujourd'hui, les rapports entre les jardineries et les horticulteurs ?

J'ai acheté des végétaux pendant quarante ans auprès d'horticulteurs sans jamais rencontrer de problèmes. Si on ne respecte pas son fournisseur, demain, on n'assumera plus notre chiffre d'affaires. L'industrialisation de la commercialisation a certainement nui au dialogue entre les uns et les autres. La question est de savoir quelle est la délégation de pouvoir des magasins. Qui est décisionnaire dans les actes d'achat ? En cas de problème, l'horticulteur doit s'adresser à qui de droit, à savoir au responsable des achats, qui n'est pas toujours son interlocuteur direct.

On vous situe généralement en position de force par rapport au producteur : un coup de fil suffit pour passer une commande ailleurs si votre fournisseur ne vous donne pas satisfaction immédiate. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Le rapport entre l'acheteur et son fournisseur doit être basé sur le dialogue et sur une certaine déontologie. Quelle relation à moyen terme est-ce que je souhaite avoir avec mon horticulteur fournisseur ? La relation humaine est essentielle, il faut la cultiver, que chacun ait un sentiment partagé de réussite. Mais aujourd'hui, le problème est de trouver les solutions pour faire rêver les gens. Les vrais grands succès sont l'oeuvre de responsables de rayon, qui arrivent encore à vendre le jardin de leurs rêves à leurs clients. En France, le consommateur achète un produit fini, pas ce qu'il imagine pouvoir créer avec les produits choisis en rayon. C'est l'inverse dans les pays anglo-saxons, qui ont une vraie culture jardin. Il faut essayer de changer cela, mais, en attendant, il ne faut pas perdre de vue la nécessité de donner à voir et démontrer le potentiel que recèle le végétal dans l'environnement de nos clients.

Le nombre de points de vente a considérablement crû, mais la production ne voit pas son volume de ventes augmenter. Comment l'expliquez-vous ?

Nombre de points de vente ont diminué la surface qu'ils consacrent aux végétaux. La réalité économique a dicté cette diminution : le chiffre d'affaires moyen au mètre carré d'une jardinerie tourne autour de 800 euros, et on est bien au-dessous pour le végétal... Sur la plante verte et la plante fleurie, le marché n'est pas euphorique et les produits de pépinière sont en faible augmentation. Le seul marché qui reste dynamique est celui des plantes à massif, où les volumes croissent. Dans le même temps, les ventes de produits autres que végétaux augmentent, et la part du végétal dans le chiffre d'affaires des jardineries baisse donc un peu. Il faut du volontarisme. On voit des jardineries faire un effort important pour bien mettre en valeur le végétal, et, pour elles, les résultats sont au rendez-vous. Si la présentation des végétaux est linéaire, la place du végétal reste tout aussi linéaire dans l'esprit des gens et les ventes ne décollent pas. Par contre, si les rayons sont bien gérés, en jouant notamment la carte de la saisonnalité, le succès est garanti.

Comment les producteurs peuvent-ils mieux répondre aux attentes de votre secteur ?

Ils répondent aux attentes. Ils produisent des plantes de qualité. J'ai peu à reprocher aux horticulteurs et aux pépiniéristes. Amenez un consommateur au Salon du végétal, à Angers. Il aura envie de tout acheter. Il faut qu'il ait le même coup de coeur en jardinerie...

Selon les dernières statistiques disponibles, il semble que les mises en production aient baissé en Europe. Est-ce que vous ressentez cet état de fait ?

La saison n'est pas encore assez avancée pour qu'on puisse le ressentir. Et sur des productions comme la pépinière, il faudra plusieurs années pour vraiment avoir un point de vue fiable. En tout cas, on peut raisonnablement penser que les mises en production diminuent, vu les difficultés rencontrées par les producteurs, même aux Pays-Bas.

Pourquoi les parts de marché prises par les pays étrangers sont-elles si importantes ?

L'engouement pour les plantes méditerranéennes n'y est pas pour rien. Les gens voyagent, veulent retrouver dans leurs jardins les végétaux qu'ils ont vus au cours de leurs vacances. Ces produits sont plus faciles à se procurer en Espagne ou en Italie qu'en France. C'est une mode un peu artificielle, mais il faut faire avec. Une autre raison tient à la faiblesse du fond de gamme de certaines pépinières, qui n'ont pas assez mis en avant les belles plantes que l'on peut trouver dans des gammes mieux adaptées aux contraintes climatiques de chaque région...

Cette situation peut-elle s'inverser ?

Oui, c'est à nous de montrer aux consommateurs qu'il existe de beaux spécimens, des variétés méconnues qui méritent d'être mieux valorisées. On ne voit plus aujourd'hui de Chamaecyparis 'Alumii'. Pourquoi ? On ne rend pas le produit assez attirant. On s'est engagé dans une spirale de dévalorisation qu'il faut inverser. Il faut réhumaniser le rayon pépinière, y remettre un regard de spécialiste, que l'attention portée aux végétaux soit aussi importante que celle accordée à d'autres rayons. Sous la serre, une orchidée sera remise en place régulièrement. En pépinière, les plantes ne sont pas aussi suivies, et c'est dommage.

Quels enseignements tirez-vous, pour l'heure, de l'augmentation du taux réduit de TVA ?

On ne sent rien pour l'instant. Nous essayons d'obtenir que les produits prêts à être consommés restent à 5,5 %, car ce marché se développe et pourrait prendre une importance considérable au cours des prochaines années. Acheter des gros pots de condimentaires devient classique en ville ; il y a donc un enjeu. D'autant que l'on ne sait pas ce que sera le taux réduit dans quelques années ; mieux vaut se battre pour conserver le taux de 5,5 %. Ne nous laissons pas faire !

Quel est votre sentiment sur le dossier de la TVA sociale ?

Je n'y suis pas hostile, mais ne serait-il pas plus judicieux de travailler sur les droits de douane ? Toutefois, l'idée que la protection sociale ne repose pas que sur les seuls salaires est intéressante.

Comment imaginez-vous 2012 ?

2011 a été une année moyenne, nous sommes sereins pour 2012. L'année devrait être meilleure. Il a fait froid cet hiver, la climatologie a été respectée. Tout se présente plutôt bien.

Donnez-nous trois bonnes raisons d'être optimiste !

Tout d'abord, les professionnels ont pris conscience que le végétal est le coeur de notre métier. On le dit, il faudrait l'appliquer davantage, mais l'idée est là. Ensuite, seules les jardineries sont l'outil adapté aux spécificités et aux besoins d'entretien qu'imposent les différents métiers que nous exerçons. Enfin, notre circuit de distribution « jardinerie » représente 25 % du marché du jardin et, en tant que spécialistes, nous devrions atteindre 35 %, ce qui nous laisse de bonnes perspectives !

Pascal Fayolle

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