Cimetières : les derniers bastions du tout-phytosanitaire
Alors que sur l'ensemble des autres espaces urbains, l'emploi des herbicides diminue fortement le cimetière français s'avère plus délicat à gérer, à la fois en termes d'entretien raisonné et de communication. La spécificité du lieu et la barrière psychologique qui en résultent rendent plus complexes toute forme de remise en question et d'évolution.
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En une quinzaine d'années, la gestion différenciée des espaces verts est presque devenue une pratique courante. En 2008, le plan Écophyto a initié un vaste mouvement de diminution des produits phytosanitaires par les collectivités, avec en parallèle un changement progressif des mentalités, tant au sein des agents que de la population. La réglementation – par exemple, l'arrêté du 27 juin 2011 (1) – impose de nouvelles contraintes. L'usage des désherbants devient plus raisonné dans la plupart des espaces urbains, hormis un dernier bastion : le cimetière.
1 LA VILLE DES DÉFUNTS DÉPOURVUE D'ESPACES VERTS
« Les cimetières français sont comme des villes parallèles à celles des vivants, avec leurs quartiers riches et pauvres, anciens et nouveaux, leurs petits “jardins” privés, leurs allées rectilignes principales carrossables et secondaires piétonnières », décrit Florence Binesse, consultante et formatrice (cabinet Enfora), à l'occasion d'une journée technique organisée en novembre dernier, au Pont-du-Gard (30), par le Smage des Gardons et la Fédération départementale des Civam du Gard. « Si on pouvait faire passer un jury du CNVVF (2) dans un cimetière, il aurait beaucoup de choses à dire ! » Aux côtés de végétaux souvent redondants par leur symbolisme ou servant de décor pérenne (cyprès, pin parasol, lauriertin, laurier sauce, myrte, Pittosporum...), seuls les chrysanthèmes de la Toussaint apportent une touche de couleur.
Dans ces « villes » dévolues au silence et à la méditation, l'exigence de propreté et de netteté est absolue. D'où l'utilisation massive de désherbants chimiques, par habitude, par facilité ou pour gagner du temps, même si certains agents s'efforcent d'arracher l'herbe manuellement. Pardessus tout, il existe une énorme pression de la part des usagers, qui n'acceptent pas le moindre brin d'herbe, alors même que certains habitent dans des communes engagées dans le zéro phyto et que les démarches PAPPH (Plan d'amélioration des pratiques phytosanitaires et horticoles) se multiplient. Certains cimetières sont ainsi totalement aseptisés et constituent les derniers bastions du tout-phytosanitaire. Les rares végétaux y sont traités avec ce même souci de netteté, et les haies sont taillées au cordeau.
2 OPTIONS TECHNIQUES POUR ATTEINDRE LE ZÉRO PHYTO
Le passage au « moins de désherbants » , en commençant par la suppression des antigerminatifs, est possible, comme l'attestent les exemples de Grenoble (38), Versailles 78), Pérols (34), Saint-Ambroix (30)… Le gestionnaire peut utiliser les alternatives au traitement chimique, en veillant à sélectionner le matériel adapté à sa situation à la fois d'un point de vue technique et financier. Le désherbage manuel ne nécessite pas un investissement initial important (20 € une binette), mais il faut tenir compte du temps de travail conséquent qu'il représente. Selon l'équipement choisi, le désherbage thermique (à flamme, eau chaude, vapeur ou mousse chaude) ou mécanique coûtera entre 300 € et 15 000 €, et permettra un travail plus rapide. Il faut tout de même prévoir cinq à six passages par an, et prendre en considération la consommation d'énergie, l'encombrement de certaines machines inutilisables dans les allées étroites et sur les petites surfaces, le risque d'incendie ou de dégradation des surfaces... « La solution peut être de mixer les techniques : manuelle, thermique, mécanique... », explique Clément Baudot, du Syndicat des étangs littoraux (Siel), dont le programme « Vert demain » vise notamment à aider les collectivités à diminuer l'usage des pesticides.
Limiter les traitements passe aussi par des solutions préventives, comme la minéralisation. Les différents revêtements, dans une gamme de prix de 50 à 150 €/m2, s'accompagnent d'inconvénients divers : l'esthétisme discutable du bitume, les joints des pavés dégradés par les adventices... Le ramassage des aiguilles et des fruits (cyprès) dans les allées est une opération d'autant plus coûteuse que celles-ci sont gravillonnées : à Narbonne, dix tonnes de gravier doivent être apportées chaque année ! À Pérols, le choix s'est porté sur un stabilisé à base de sable de 0,2 mm « qui donne de meilleurs résultats que le gravier », selon Didier Borie, responsable du service espaces verts (SEV). Un moyen a priori simple et peu coûteux (0 à 50 €/ m2) de ne pas traiter consiste à laisser la place à la végétation, qu'elle soit spontanée ou issue de semis (gazon, prairie fleurie). Les principaux écueils, mais non des moindres, restent l'acceptation de cette végétation par le public et les tontes.
3 UNE INDISPENSABLE COMMUNICATION
« Le passage au zéro phyto s'accompagne d'un important besoin d'informations de la part des usagers et des agents », explique Clément Baudot. « La communication s'effectue sur le site même, à l'aide de panneaux ou via les explications fournies par les jardiniers, mais aussi par le journal de la commune, les médias... Elle est toutefois délicate à mettre en oeuvre quand il s'agit d'un cimetière, tant par la spécificité du site que par la barrière psychologique à franchir (exigence de netteté du public). » Reste qu'elle s'avère essentielle, un changement de gestion pouvant vite donner lieu à une incompréhension de la population et susciter son mécontentement. La commune doit alors faire face aux accusations : « irrespect des défunts », « abandon », « friches »... Ainsi, la Ville de Mansle (16), engagée depuis plus d'un an dans la démarche « Terre saine », s'est vu accusée, par ses habitants, de délaisser son cimetière suite à un concours de circonstances (vacances estivales, manque de personnel, vol de matériel).
« Il est très compliqué de changer un lieu conçu à une époque de façon traditionnelle », reconnaît Patrick Berger, directeur du paysage et de la biodiversité de la Ville de Montpellier (34). « La tâche principale réside dans la communication. Puis suit un travail de longue haleine – sur trois ou quatre ans – de remplacement des végétaux. Les extensions constituent des possibilités de faire évoluer les pratiques et de changer le regard des habitants. »
4 DIAGNOSTIC INITIAL ET PLAN DE GESTION
Avec Écophyto, les partenaires susceptibles d'aider la commune à raisonner ses pratiques phytosanitaires se multiplient. Seul ou avec leur soutien, le gestionnaire d'espaces verts doit d'abord établir un diagnostic initial, afin de mettre en oeuvre des solutions adaptées au site : choix du matériel, programme de nettoyage, rotation des employés, communication, sectorisation… Certaines zones moins fréquentées peuvent nécessiter moins de passages. « Il faut se fixer un plan d'action avec des objectifs atteignables », conseille David Geoffroy, adjoint en chef du SEV de Grenoble. Des communes se lancent dans des PAPPH et arrêtent à ce niveau, faute d'avoir tenu compte des moyens à mettre en oeuvre. Une difficulté incontournable à laquelle doit se préparer le service est l'augmentation du nombre d'heures travaillées. « À Pérols, nous avons utilisé la taxe pour le non-emploi des personnes handicapées handicapées afin d'embaucher du personnel supplémentaire », explique Didier Borie. « Pour un forfait de 600 €/an, le CAT (3) de Saporta nous met à disposition du personnel pour réaliser des passages préventifs. » En 2011, année très poussante, le gestionnaire a toutefois dû augmenter le nombre de passages pour désherber : nul n'est à l'abri des aléas climatiques !
5 DEUX EXEMPLES : GRENOBLE ET VERSAILLES
« La démarche de diminution de consommation de désherbants démarrée en 2009 visait à réduire de 80 % les traitements chimiques en trois ans dans les cimetières », explique David Geoffroy, adjoint en chef du SEV de Grenoble. Ces endroits constituent l'exception dans la démarche zéro phyto mise en oeuvre par la Ville sur ses 250 hectares d'espaces verts. Jusqu'en 2009, l'équipe de cinq agents entretenait les 26 kilomètres d'allées suivant le plan de désherbage suivant : trois passages par an d'herbicides sur 9,5 ha, hormis aux abords de l'Isère et des avaloirs. Après le dépôt d'un dossier auprès de l'Agence de l'eau, la Ville a obtenu une aide de 50 % sur ses investissements (environ 100 000 € par an sur trois ans) en matériel de désherbage, couverture de sol et outils de sensibilisation du public. L'achat en 2010 d'un gros désherbeur thermique à vapeur ne s'est pas avéré concluant : trop difficile à manier sur la totalité des cimetières. Les rabots ont permis d'obtenir de bons résultats sur plantules, moindres sur plantes développées. Pour certaines zones, la couverture du sol a été modifiée. Si le paillage de toile tissée a donné lieu à des déconvenues, l'usage de films plastiques couverts de pouzzolane (61 000 € TTC, 16 € TTC/m2) a donné un taux de repousse acceptable. Le SEV a eu recours à la plantation de vivaces (millepertuis rampant, sedums…) et aux gazons fleuris. L'aspect inesthétique de ces derniers en fin de saison a incité le service à s'orienter sur du gazon fleuri bas. Mille trois cents euros ont été investis pour informer le public et les jardiniers. Des panneaux fabriqués en interne ont été positionnés dans les cimetières, sans réaction négative des usagers quant à leur présence.
En trois ans, les traitements chimiques ont chuté de 70 %. Le surplus de temps consacré au désherbage, estimé initialement à 0,6 ETP (945 heures) a été dépassé, pour atteindre 0,8 ETP. « Or il s'agit de travaux répétitifs ; nous recherchons des solutions pour rendre ces travaux plus acceptables », souligne David Geoffroy. Le service recale peu à peu ses pratiques : ainsi le désherbage à la vapeur est réservé au début de saison, tandis que l'application d'acide pélargonique (Finalsan) peut être employée en saison lorsque l'équipe manque de temps ; le verdissement est plus marqué dans les allées ; les endroits les moins fréquentés sont laissés enherbés ; sedums, mousses, renouées basses, petits géraniums... sont libres de s'y développer. « Les conditions de la réussite passent par la communication », conclut David Geoffroy, dont le service a dû subir quelques réactions virulentes d'usagers qui se sont adressés à la presse locale, suite à des poussées d'herbes. « Nous avons expliqué nos pratiques à la journaliste qui a très bien compris la démarche. »
Versailles a entamé en 2009 une démarche zéro phyto dans ses quatre cimetières. Dix-sept agents sont affectés à l'entretien des 18,5 ha. Parmi les solutions mises en oeuvre pour diminuer les traitements chimiques, le SEV laisse une végétation spontanée s'installer : Linaria cymbalariae est libre de se développer sur les tombes anciennes, le sedum de s'étendre sur les surfaces engazonnées... Ailleurs, des plantations de vivaces couvre-sol sont expérimentées. Binette, désherbeur thermique au gaz et balayeuse à brosse maintiennent une végétation basse. « Nous récupérons les tapis de gazon installés à l'occasion de la fête des plantes Esprit jardin en mars, pour les mettre en place dans les cimetières », raconte Magali Ordas, maire adjointe à l'environnement, propreté et qualité de vie à la Ville de Versailles. Les allées inter-concessions ont été minéralisées. Plaques de sedums, rosiers et plantes grimpantes valorisent les murs en meulière qui entourent le cimetière. Un feutre géotextile a été installé sous le pavage pour éviter l'enherbement des joints. En cas de plainte, la mairie répond directement : « Les élus sont là pour soutenir les services et réaliser des campagnes de communication », souligne Magali Ordas, ajoutant que le label Écojardin offre une opportunité d'informer le public sur la démarche « moins de phyto ».
Valérie Vidril
(1) Arrêté relatif à l'interdiction d'utilisation de certains produits dans des lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables. (2) Comité national des villes et villages fleuris. (3) Centre d'aide par le travail.
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