Quel est votre diagnostic ? C'est le nématode des tiges et bulbes
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DÉTECTION
Dans l'incapacité d'effectuer un diagnostic fiable à l'examen visuel, notre horticulteur sollicite son conseiller technique qui expédie des échantillons vers un laboratoire d'analyses phytosanitaires. Les résultats mettent en évidence un redoutable bioagresseur, le nématode des tiges et des bulbes (Ditylenchus dipsaci, ordre des Tylenchidae, famille des Anguinidae). Appelé communément anguillule des céréales et des bulbes, il est dénommé en anglais Stem nematode ou Stem and bulb eelworm. Il s'agit d'un organisme nuisible très polyphage, présent dans toute l'Europe, le bassin méditerranéen, l'Amérique du Nord et du Sud, l'Afrique du Nord et australe, l'Asie et l'Océanie. Il semble incapable de s'établir dans des régions tropicales, sauf à une altitude lui permettant de bénéficier d'un climat tempéré. D. dipsaci possède une gamme de plantes hôtes très importante, estimée à plus de 1 200 espèces cultivées et sauvages, dont des adventices. On lui connaît une vingtaine de races biologiques non distinguables morphologiquement, mais possédant chacune ses végétaux de prédilection. De nombreuses plantes d'ornement sont exposées aux attaques : fleurs à bulbe (ail d'ornement, anémone, crocus, freesia, ismène, jacinthe, jacinthe du Cap, muscari, narcisse, ornithogale, perce-neige, renoncule, scille, tulipe...), plantes vivaces (aubriète, campanule, fraisier, Helenium, Helianthus, iris, oeillet, penstemon, phlox, Solidago...), potées fleuries (calcéolaire, chrysanthème, coléus, cyclamen, hortensia, orchidée, primevère, saintpaulia...), plantes vertes (Aralia, Fatsia...), arbustes (lilas...). Plusieurs cultures légumières ou fourragères sont également sensibles, ainsi que des grandes cultures. Sur le plan réglementaire, D. dipsaci est un parasite de quarantaine au sein de l'Union européenne et dans de nombreux pays tiers ; certains pays le considèrent à l'inverse comme un parasite commun, dit « de qualité ». Classé sur la liste A2 de l'OEPP (1), il fait l'objet d'une lutte obligatoire en France par arrêté ministériel, notamment vis-à-vis de la production de bulbes ornementaux sensibles (Allium, Camassia, Chionodoxa, Crocus, Galtonia, Gladiolus, Hyacinthus, Iris, Ismene, Muscari, Narcissus, Ornithogalum, Puschkinia, Scilla, Tigridia, Tulipa). Ce matériel végétal doit circuler en filières professionnelles avec un passeport phytosanitaire européen.
DÉGÂTS
Le nématode des tiges et des bulbes est minuscule. On peut l'isoler en laboratoire dans de l'eau à partir d'une dissection d'échantillons de végétaux infestés. Les nématodes quittent les tissus découpés camet nagent. On peut ensuite les observer au grossissement x 20. Cependant, un examen microscopique au grossissement x 800 est nécessaire pour une identification spécifique. Les mâles et les femelles sont vermiformes à tous les stades. Les adultes mesurent de 0,9 à 1,8 mm de long selon l'espèce. Leur corps est étroit, assez filiforme, avec une queue très pointue à l'extrémité. D. dipsaci est un endoparasite migrateur qui se nourrit du parenchyme, provoquant la rupture de la lamelle moyenne des parois cellulaires. Ses prélèvements alimentaires génèrent souvent des gonflements et déformations des organes végétaux aériens (tiges, feuilles, fleurs). Les lésions qu'il occasionne dans les tissus favorisent des champignons et bactéries responsables de pourritures du collet et des bulbes. Même en chambre froide, D. dipsaci et certaines pourritures poursuivent leur développement.
CONFUSIONS POSSIBLES
Outre les risques de confusion avec une phytotoxicité d'origine herbicide, liée à un surdosage ou à une incompatibilité chimique de produits phytosanitaires appliqués en mélange extemporané, les dégâts de D. dipsaci s'apparentent à d'autres causes abiotiques : stress physiologique, excès de salinité d'un engrais, forte amplitude de températures entre le jour et la nuit, excès d'eau, etc. Certains pathogènes peuvent entraîner des confusions à l'examen visuel : champignons vasculaires (fusariose, verticilliose), bactéries, phytoplasmes (virescence), virus (mosaïque du concombre ou de l'arabette, nécrose du tabac, anneaux noirs de la tomate, rattle du tabac, taches en anneaux du framboisier, virus latent du fraisier). Enfin, d'autres nématodes sont susceptibles de provoquer des taches foliaires, en particulier le nématode des feuilles (Aphelenchoides ritzemabosi) sur le phlox. En cas de doute, seule une analyse en laboratoire peut identifier avec certitude le nématode en cause.
TRANSMISSION ET DÉVELOPPEMENT
D. dipsaci hiverne à tous les stades dans les tiges, les pétioles, les bulbes et se reproduit toute l'année, sauf par temps froid. L'infestation a lieu dès la sortie d'hivernation en conditions humides et fraîches. À la faveur des pluies ou de la rosée, les larves et les adultes migrent hors du sol et colonisent la surface des tiges et des feuilles dans un film d'eau. Ils pénètrent les tissus végétaux par les stomates, la base des tiges ou les écailles des bulbes, creusent des cavités et se développent dans les espaces intercellulaires des parenchymes. Ces cavités induisent des lésions brun rougeâtre parfois très étendues. Les individus aspirent les sucs cellulaires avec leur stylet buccal après avoir injecté une salive toxique et des auxines à l'origine des nécroses et déformations de tissus. Les femelles pondent entre 200 et 500 oeufs chacune. Il y a quatre stades larvaires. Le cycle de développement complet dure environ trois semaines à 15 °C. En fin de végétation, les larves juvéniles de quatrième stade ont tendance à se grouper à la surface des tissus très infestés ou juste en dessous dans les lésions desséchées pour former des masses de tissus laineux. Cette substance cotonneuse constituée de millions d'individus à l'état d'anabiose (2) peut résister à la dessiccation durant plusieurs années. Même si les densités de population dans le sol diminuent au fur et à mesure des années, de nombreux individus persistent à l'état de vie ralentie pendant huit à neuf ans en l'absence de plantes hôtes. La survie de D. dipsaci et ses dégâts sont plus élevés dans des sols lourds ou argilo-calcaires que dans des sols légers sablonneux. Ce nématode peut aussi se maintenir dans des adventices ou des résidus organiques. Lors des échanges commerciaux, il peut être transmis sur des semences sèches ou des jeunes plants. Les eaux d'irrigation et le travail du sol avec des outils contaminés constituent également des facteurs de dissémination.
Par Jérôme Jullien, expert horticole
(1) Les listes A1 et A2 de l'Organisation européenne et méditerranéenne de protection des plantes font la distinction entre les organismes nuisibles qui sont absents du territoire (A1) et ceux qui sont présents (A2). (2) Retour à la vie active de formes vivantes qui étaient entrées en anhydrobiose (vie latente) sous l'effet de la dessiccation.
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