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Quel est votre diagnostic ? C'est la chalarose du frêne

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Dans la région traversée, de très nombreux frênes expriment les mêmes symptômes maladifs quelles que soient les conditions stationnelles dans lesquelles ils se trouvent. Le fait qu'une seule essence soit affectée de façon assez généralisée oriente le praticien vers la piste d'un facteur d'agression de type biotique. Les nécroses corticales relevées sur les rameaux, ainsi que les chancres fusoïdes à la base des axes desséchés laissent envisager ici la présence d'un mycète, parasite des tissus secondaires. L'abondance des rejets en dessous des zones chancrées et nécrosées signe une réaction de l'arbre qui vise à reconstituer ses parties endommagées. Des prélèvements d'échantillons sur les axes nécrosés et leur analyse par un test de détection PCR (Polymerase Chain Reaction) permettent de confirmer la présence du pathogène Chalara fraxinea (forme sexuée : Hymenoscyphus pseudoalbidus) responsable de la chalarose du frêne. Les techniques d'analyses classiques en laboratoire par isolement sur milieux de culture se montrent peu performantes (croissance lente, cultures aisément contaminées...).

CONFUSIONS POSSIBLES

Les symptômes générés par Chalara fraxinea se confondent facilement avec un dépérissement ayant pour origine des facteurs abiotiques ou anthropiques. Ainsi, une salinité excessive des sols liée à des épandages de sels de déneigement ou une violente sécheresse estivale peut générer une symptomatologie proche : une « descente de cime » associée à l'apparition de nombreux rejets vigoureux. Il est également possible d'attribuer certaines lésions corticales à des attaques localisées d'insectes sous-corticaux, les scolytes (Leperesinus fraxini).

ORIGINES DU CHAMPIGNON ET RÉPARTITION

C'est en Pologne puis en Lituanie que le champignon a été découvert pour la première fois au début des années 1990, mais son origine asiatique semble aujourd'hui se confirmer. Il a été identifié sur une espèce indigène au Japon, le frêne de Mandchourie (Fraxinus mandshurica). Dans ces régions, la diversité génétique du pathogène est plus élevée qu'en Europe. Détectée en France pour la première fois en 2008 dans la Haute-Saône, la chalarose s'est rapidement répandue à tout l'est et elle touche plus de quarante départements du quart sudest. De nombreux foyers sont présents en Angleterre et en Irlande. Le champignon est reconnu comme un parasite invasif.

ÉLÉMENTS DE BIOLOGIE

La forme téléomorphe du champignon, Hymenoscyphus pseudoalbidus, appartient à la division des ascomycètes. Pendant l'hiver, ce pathogène se conserve dans la litière, sur les rachis des feuilles de l'année précédente tombées au sol. Au cours de l'été, ses fructifications apparaissent sous la forme d'apothécies blanches nettement visibles sur les rachis noirs gisant sur le sol. D'un diamètre de 3 mm, ces réceptacles – ressemblant à des petites coupes – libèrent les ascospores qui sont dispersées par le vent et peuvent parcourir de grandes distances (plus de 500 m). Compte tenu de la forte présence des frênes dans nos régions, la progression de la maladie est facilitée. Les ascospores infectent essentiellement le feuillage, et développent des nécroses qui s'étendent rapidement sur les nervures principales et les rachis foliaires. Les feuilles peuvent alors tomber par terre ou infecter avant leur chute les rameaux porteurs. Dans ce cas, le pathogène se propage dans l'axe contaminé par la moelle et les vaisseaux conducteurs, mais de façon limitée (quelques centimètres) ; il ne peut donc pas être assimilé à un parasite vasculaire. Il entraîne alors des dépérissements de tiges feuillées, ainsi que l'apparition au cours de la période automnale de chancres à la base des rameaux. Sur ces nécroses, les spores conidiennes (Chalara fraxinea) produites ne semblent pas pouvoir germer ; elles ne joueraient donc aucun rôle dans la propagation de la maladie. Au printemps suivant, les nombreux chancres qui ceinturent les rameaux du houppier contrarient la mise à feuilles provoquant le dessèchement de nombreuses pousses et l'apparition de rejets. Les ascospores issues des apothécies estivales apparues sur les rachis foliaires au sol peuvent également contaminer le collet des arbres en pénétrant par les lenticelles. Le champignon détruit alors les tissus corticaux entraînant la formation d'une zone chancreuse. Un discret méplat révèle une nécrose des tissus sous-corticaux. Ces chancres sont évolutifs mais le pathogène ne gagne pas le bois profond.

HÔTES POSSIBLES

L'essence la plus affectée dans les régions contaminées est le frêne commun (Fraxinus excelsior) et tout particulièrement la variété ornementale 'Pendula'. Le frêne à feuilles étroites (Fraxinus angustifolia), principalement développé dans le sud de la France, présente lui aussi une forte sensibilité à cette pathologie. Quant aux frênes blancs (Fraxinus americana) et aux frênes rouges de Pennsylvanie (Fraxinus pennsylvanica), ils peuvent développer les symptômes de la chalarose, mais il est difficile de préciser le degré de réceptivité de ces espèces. Les frênes à fleurs (Fraxinus ornus) semblent peu vulnérables.

CONSÉQUENCES POUR LES ARBRES

La chalarose touche toutes les classes d'âge, mais les symptômes dans les houppiers restent plus lisibles sur les jeunes sujets. Les conséquences de cette maladie restent encore à affiner. En effet, l'évolution des dépérissements semble variable en fonction des individus d'une année sur l'autre ; certains voient leur état se dégrader, alors que d'autres se stabilisent. La forte réaction des arbres par l'émission d'abondants rejets leur permettrait ainsi de reconstituer assez rapidement et efficacement les parties endommagées par la chalarose. Cependant, des cas de mortalité ont bien été confirmés en France ; ils sont principalement liés au développement de zones chancreuses au niveau du collet des arbres qui parviennent à les ceinturer. Ainsi, les dommages les plus importants occasionnés par Chalara fraxinea aux frênes correspondent à ces chancres évoluant à la base des troncs.

En Lituanie, un des premiers pays d'Europe touché, la surface forestière occupée par le frêne commun a diminué de 30 %. Au Danemark ainsi qu'en Allemagne, les mortalités d'arbres sont aujourd'hui significatives. L'impact de la chalarose sur les populations de frênes en France pourrait être aussi important et il est donc possible que nos paysages soient modifiés à l'avenir, compte tenu de la forte présence de cette essence sur notre territoire.

Par Pierre Aversenq, expert arboricole

Bibliographie – Morgane Goudet (DSF Paris), Dominique Piou (Expert DSF), 2012. Chalara fraxinea sur frêne, situation fin 2012 – Bilan de la santé des forêts 2012. – Claude Husson (Inra Nancy), 2013. La chalarose du frêne : un nouvel exemple d'invasion biologique à l'origine d'une maladie émergente. Horticulture et paysage. Horssérie de juin-juillet 2013, p. 8.

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