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JEAN-MARC LECOURT, PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DES GAZONS (SFG) « La gestion d'un terrain de sport doit être confiée à un jardinier spécialisé, un “groundman” »

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Cet hiver, certains terrains de sport, le Stade de France, celui de Brest ou de Montpellier, ont été montrés du doigt pour leur piteux état. Comment l'expliquer ?

L'hiver dernier, la pluviométrie a été exceptionnelle sur l'ensemble du territoire, et ce n'est pas sans conséquence pour la végétation, même celle des enceintes sportives. Ensuite, il faut prendre en considération chaque cas particulier : la gestion du stade est-elle du ressort de la collectivité ou du club résident ? Non pas que les compétences soient meilleures dans le public ou le privé, mais les priorités considérées seront probablement différentes et les moyens mis au service de ces compétences ne seront pas forcément les mêmes. Il se dit également que le fait d'avoir une mauvaise pelouse pour accueillir ses adversaires serait parfois un choix tactique de certains clubs, une partie intégrante d'une stratégie sportive ! Mais on ne parle jamais des bons terrains, seulement des mauvais... Surtout lors des retransmissions télévisées ! Seules une demi-douzaine de pelouses posent problème en France !

À Montpellier, 400 000 euros ont été dépensés il y a 18 mois pour refaire la pelouse. Elle a été, cet hiver, à la limite du praticable. Les contribuables ne risquent-ils pas de montrer les professionnels de la filière du doigt ?

C'est une remarque justifiée, même si cette somme donnée à Montpellier se situe dans une fourchette haute de ce qui est généralement admis pour refaire une pelouse de cette catégorie... Il est difficile de se prononcer sur un dossier qu'on ne connaît pas. Peut-être que les règles de l'art n'ont pas été respectées à un moment donné. Aujourd'hui, la construction et la rénovation des terrains sont conditionnées par une norme (NF P 90113) ainsi que par le fascicule 35, lequel demanderait d'ailleurs à être retravaillé. Mais il y a peut-être aussi un souci dans la gestion. Il faut prendre en compte de nombreux paramètres : l'usage, la fréquentation, les contraintes environnementales telles que les tribunes et les ombres portées, la réflexion sur le choix des graminées en fonction de la configuration des lieux...

Que faut-il faire pour remédier à ces problèmes ?

Analyser techniquement, sereinement chaque cas et faire appel à un spécialiste indépendant de toute société commerciale : il y a d'excellents experts français qui ne sont pas tenus par la vente de tel ou tel procédé. Après, des contraintes architecturales incontournables rendent également difficiles la culture d'un gazon, pour cause de manque de lumière ou d'aération. Pourtant les solutions agronomiques existent : par exemple, la recherche et la sélection des graminées composant les pelouses ont bénéficié de progrès considérables et permettent des regarnissages en conditions froides ou l'utilisation de plantes plus résistantes aux stress, comme les ray-grass tétraploïdes. Peut-on aujourd'hui dire que les bonnes pelouses sont celles sur lesquelles le budget accordé est le plus élevé ? Non, ce sont celles qui sont le mieux suivies par des jardiniers ayant de bonnes connaissances agronomiques et à qui on permet, par des moyens adaptés, d'offrir une pelouse digne d'un jeu de qualité. Il est même possible de le faire en respectant l'environnement, un label « Pelouse sportive écologique » a été créé et adopté par plusieurs gestionnaires.

Sur quels pays doit-on prendre exemple ?

Ceux qui abritent les championnats majeurs... Est-ce un hasard ? Angleterre, Allemagne, Espagne !

Quelle serait la « dream team » d'un terrain de sport optimal : nombre de personnes, niveau et qualité de formation, moyens... ?

Il faut un spécialiste par terrain qui soit « le » responsable « jardinier terrain de sport », le « groundman », comme il est appelé en Angleterre ! Il doit être aidé ponctuellement sur certaines opérations comme les rebouchages. La remise des mottes en place d'après match est fondamentale (les graminées doivent être repositionnées dans le bon sens dans les 24 heures). C'est une opération chronophage qui nécessite quatre à six personnes.

Le jardinier doit aussi être épaulé lors des opérations mécaniques lourdes. En Angleterre, à Wembley et Twickenham, par exemple, l'équipe compte quatre personnes dont le groundman, pour gérer le terrain et les abords. Ce jardinier de terrain de sport exerce un métier à part entière nécessitant des connaissances végétales, agronomiques et techniques spécifiques. Il doit également, et ce n'est pas le moins important, savoir être un bon communicant pour gérer les contraintes du club et celles du gestionnaire... Il peut aussi bénéficier de l'accompagnement d'un consultant indépendant de toute société commerciale, pour des problèmes ponctuels.

Concernant le matériel, il convient d'utiliser une bonne tondeuse hélicoïdale, bien sûr, mais sans énumérer les aérateurs, décompacteurs et autres regarnisseurs, il faut encore faire une comparaison avec l'Angleterre : le parc matériel français est dimensionné, mais il n'est pas forcément adapté pour intervenir dans des périodes où la portance des aires de jeux n'est pas optimale. Nous utilisons du matériel porté par un tracteur. Outre-Manche, le matériel est autotracté.

La pelouse artificielle va-t-elle sortir renforcée de cet hiver ?

Pas nécessairement, car si le jeu développé sur un « champ de patates » n'est pas celui pratiqué sur une pelouse de qualité, le jeu sur une pelouse synthétique est encore différent. Et les directeurs sportifs ou les entraîneurs n'y sont pas forcément favorables.

Quelle est la position de la SFG vis-à-vis des pelouses synthétiques ?

Dans certains cas, elles peuvent se justifier. Par exemple, lorsque le manque de foncier empêche une collectivité de multiplier les surfaces de jeux en gazon. Le synthétique peut permettre de faire jouer un nombre conséquent d'équipes comme on le faisait avant sur un terrain stabilisé, en plus confortable.

Mais ce type d'aire de jeux présente aussi des contraintes d'entretien, un impact économique et environnemental, voire sanitaire, qui semblent loin d'être neutres ou positifs. En tout état de cause, faire ce choix pour un stade de prestige ne semble pas indispensable.

Il existe des solutions végétales, agronomiques et techniques permettant de tenir une pelouse dans de bonnes conditions. Il revient aux gestionnaires de faire respecter les règles de l'art et de confier la responsabilité de leur espace à un « jardinier terrain de sport » considéré.

Propos recueillis par Pascal Fayolle

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