Chenilles nuisibles : les surveiller et les maîtriser en horticulture et pépinière
Parmi les innombrables chenilles recensées en France, seules quelques espèces sont nuisibles aux productions horticoles. Les plus redoutables sont celles qui atteignent les fonctions vitales des plantes cultivées. En cas de risque, une méthodologie s'impose pour définir le mode de surveil lance et la stratégie de lutte qui en découle.
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Sur le plan écologique, la plupart des lépidoptères sont des insectes très utiles aux plantes. Les espèces diurnes (par exemple, les piérides) sont d'importants pollinisateurs au stade adulte. Les papillons butinent les fleurs et prélèvent des aliments exclusivement liquides, surtout du nectar, grâce à leur appareil buccal de type suceur, caractérisé par une trompe creuse enroulée au repos sous la tête. En revanche, chez de nombreuses espèces nocturnes (comme les noctuelles), la trompe est plus ou moins atrophiée, ce qui signifie que les papillons ne prélèvent aucune nourriture.
1 UN ENSEMBLE DE CRITÈRES DE RECONNAISSANCE.
Les lépidoptères regroupent environ 5 200 espèces en France. Ces insectes à métamorphose complète, ou holométaboles, changent d'aspect au cours de leur cycle de développement en passant par quatre étapes successives : l'oeuf, la larve appelée chenille, la nymphe ou chrysalide, et le papillon qui assure la reproduction. On observe un dimorphisme sexuel parfois important entre les imagos mâles et femelles. Par exemple, chez les géométridés (phalène, cheimatobie, cidarie, eupithécie, hibernie...), les femelles adultes ont des ailes très réduites impropres au vol. Isolées ou grégaires, les chenilles présentent des formes, des moeurs et des modes d'alimentation très variés : mineuses, arpenteuses, processionnaires, tordeuses, foreuses de pédoncules floraux et de tiges, xylophages ou apparentées (cossus, zeuzère, sésie, papillon palmivore argentin), terricoles s'attaquant au système racinaire (noctuelles, hépiales)... Elles possèdent un appareil buccal de type broyeur. Elles peuvent être polyphages et coloniser une importante gamme de plantes hôtes ; ou au contraire, inféodées à un seul genre botanique. En général, plus les chenilles grandissent au cours de leurs quatre à cinq mues successives, plus leurs besoins alimentaires augmentent. Les deux ou trois derniers stades larvaires (sur cinq au total) sont donc souvent les plus préjudiciables aux cultures. De plus, ils peuvent être urticants chez certaines espèces comme les processionnaires et certains bombyx comme le cul-brun.
2 ATTENTION AUX RISQUES DE CONFUSION POSSIBLE.
L'efficacité de la lutte dépend de l'exactitude du diagnostic. Parmi les erreurs les plus fréquentes, il peut y avoir méprise entre une chenille terricole (noctuelle) et une larve de tipule (diptère). De même, entre une chenille mineuse de feuille, une tenthrède mineuse (hyménoptère), un asticot mineur (diptère), un charançon mineur (coléoptère). Si un insecticide translaminaire tel que la cyromazine est utilisé contre une chenille mineuse, le traitement sera inopérant, car ce produit cible uniquement les premiers stades de développement des asticots (mouches au stade adulte). Autre cas rencontré, l'amalgame entre une vraie chenille de lépidoptère et une fausse-chenille d'hyménoptère (symphyte, tenthrède, némate, lophyre, lyde...). Par exemple, sur des feuilles de rosier, une larve est responsable de morsures : s'agit-il d'une tenthrède défeuillante (fausse-chenille) ou d'une noctuelle verte (vraie chenille) ? Toutes les deux possèdent trois paires de pattes. En revanche, la larve de tenthrède comporte huit paires de fausses-pattes abdominales à l'aspect de moignons charnus, tandis que la chenille de noctuelle verte en possède seulement cinq paires. En matière de traitement, seule la noctuelle est sensible au Bacillus thuringiensis. Le même type de confusion peut se produire avec la tenthrède de l'ancolie ou encore avec celle du pélargonium. À noter qu'une chenille d'arpenteuse (vraie chenille de géométridé) ne possède que les deux dernières paires de fausses-pattes, ce qui explique son curieux mode de progression en forme de boucle.
3 BIEN MENER L'ÉPIDÉMIOSURVEILLANCE.
La surveillance régulière des lépidoptères permet de déterminer les dynamiques et les niveaux de population larvaire, et d'évaluer au plus juste les risques phytosanitaires. Cette variabilité constatée chez certaines espèces, surtout grégaires, provient des conditions météorologiques (sommes thermiques, pluviométrie et vent au moment du vol, hygrométrie au stade oeuf...), de l'activité des auxiliaires, de la migration d'espèces méridionales vers le nord de la France en année chaude ou encore de la coïncidence ou non des stades phénologiques des cultures hôtes avec le cycle de développement du ravageur. Dans les cas graves, des pullulations sont observées au pic de gradation, pouvant perdurer deux ou trois ans. Puis, il s'ensuit une régression durant plusieurs années, avant une remontée progressive des populations larvaires.
Un autre cas de figure mérite une attention soutenue des producteurs : l'entrée d'une espèce non indigène ou émergente au sein d'une exploitation. Les risques d'introduction puis d'acclimatation d'une chenille d'origine exotique sont particulièrement élevés en serre chauffée, à partir de matériel végétal provenant de zones méridionales ou tropicales. Parmi les espèces les plus redoutables sous abri, on peut citer : la pyrale Duponchelia fovealis (chenille à tête noire foreuse de tiges et de racines), la teigne des plantes tropicales Opogona sacchari (larve translucide blanc grisâtre à marron), le brun des géraniums et des pélargoniums Cacyreus marshalli (chenille poilue vert clair marquée de rose). Les deux premières espèces sont polyphages (par exemple, pour D. fovealis : Azalea, Bacopa, Begonia, Bellis perennis, Cineraria, Chrysanthemum, Codiaeum, Coleus, Cyclamen, Gerbera, Heuchera, Impatiens, Kalanchoe, Pelargonium, Poinsettia, Rosa, Sambucus, Ulmus...), tandis que la dernière espèce est inféodée aux géraniums et pélargoniums.
Qu'il s'agisse de végétaux herbacés ou ligneux, cultivés sous abri ou en plein air, la méthodologie de surveillance des lépidoptères ravageurs implique une observation visuelle régulière des cultures sensibles dès le stade « pied-mère » et/ou « jeune plant ». Scruter les parties basses des plantes (niches) ou les organes en croissance (source d'alimentation), surtout la face inférieure des feuilles pour détecter des pontes ou des larves juvéniles, ainsi que les boutons et pédoncules floraux. Rechercher ensuite les premiers symptômes larvaires : pièces florales, jeunes pousses ou feuilles rongées, déjections et/ou chenille(s) à proximité immédiate des morsures, fils soyeux réunissant des pousses ou des feuilles (tordeuses, certaines pyrales), flétrissement des parties aériennes en réaction à une attaque de tige, de collet ou de racines. Lorsque cela est possible, optimiser l'épidémiosurveillance grâce à l'utilisation d'un piège à phéromones sexuelles, plus sélectif et facile à utiliser qu'un piège lumineux. L'installer dès la mise en production des végétaux, en situation à risque d'infestation (parcelle d'alerte dans une exploitation) ou dès que les conditions climatiques et les stades phénologiques de la culture hôte sont propices à l'activité du papillon. Il existe différents modèles utilisables selon les espèces suivies : à plaque engluée, à eau, à entonnoir ou à ailettes.
4 FRÉQUENCE ET GRAVITÉ DES ATTAQUES.
La majorité des chenilles peuple les arbres, les arbustes et les plantes herbacées sans compromettre leur existence, parce que les colonisations sont occasionnelles, de faible intensité ou régulées par des auxiliaires naturels. En revanche, certaines espèces sont particulièrement nuisibles, même lorsqu'elles sont présentes en faible quantité. Leurs attaques peuvent survenir chaque année, comme celles du grand hyponomeute du fusain (Yponomeuta cognatella) ou de la tordeuse européenne de l'oeillet (Cacoecimorpha pronubana). Le nombre de générations annuelles varie selon les espèces et les conditions climatiques du milieu de culture. Les lépidoptères réglementés de lutte obligatoire sont des ravageurs importants, mais sont d'ordinaire plus rares. Par exemple, la noctuelle de la tomate (Helicoverpa [= Heliothis] armigera) sur Chrysanthemum, Citrus, Dianthus, Prunus, Solanum... Enfin, des espèces émergentes, bien que non réglementées sur notre territoire, peuvent causer de sérieux dégâts, comme la pyrale du buis (Cydalima perspectalis) détectée pour la première fois en France dès 2008 en pépinière, ainsi que dans des espaces verts paysagers et des peuplements naturels. Les cultures de jeunes plants sont des sites d'attaque privilégiés pour cet insecte.
Jérôme Jullien
Hibernie défeuillante - chenille arpenteuse sur un amélanchier.
Teigne-mineuse des feuilles de platane.
Chenille de zeuzère.
Chenilles d'hyponomeute sur fusain d'Europe.
Chenille du bombyx cul-brun.
Chenille de la pyrale Duponchelia fovealis.
Noctua pronuba - noctuelle fiancée.
Piégeage phéromonal de Duponchelia fovealis.
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