Thigmomorphogénèse : réguler les plantes en les touchant
Cette méthode permet, facilement et à moindre coût, de contrôler la croissance des végétaux grâce au toucher, pour peu que la culture soit arrosée avec un chariot d'irrigation. Elle pourrait, dans certains cas, éviter d'avoir recours aux régulateurs de croissance pour assurer une bonne ramification...
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En productions ornementales sous serre, les deux types de produits les plus utilisés sont les insecticides et les régulateurs de croissance. Si les impasses biologiques (résistance ou forte tolérance des ravageurs aux pesticides) ou législatives (interdiction de produits phytosanitaires vidant un usage ou n'y laissant que quelques produits peu efficaces) ont motivé le développement de la protection biologique intégrée pour combattre les ravageurs, ces impasses n'existent pas pour les régulateurs de croissance. Les travaux sur la mise au point d'alternatives à leur usage ont ainsi été tardifs et peu nombreux. Les solutions proposées sont souvent liées soit à la génétique (variétés naturellement compactes), soit à l'alimentation hydrique et nutritive des plantes (restrictions hydrique, azotée, en phosphore...). Ces dernières méthodes sont en général hautement techniques, nécessitent un matériel délicat et sont assez hasardeuses car elles jouent sur des restrictions. Les carences ne sont pas loin...
Or, une technique simple, économe et très peu voire pas risquée existe. Il s'agit de la thigmomorphogénèse. Ce nom quelque peu barbare signifie « formation de l'architecture des plantes par le toucher » (thigmo = toucher ; morpho = architecture, forme ; génèse = formation, construction). Si l'on touche régulièrement l'apex d'une plante, alors on inhibe celui-ci, et la plante ralentit fortement sa croissance et se ramifie.
1 UN PHÉNOMÈNE NATUREL D'ARRÊT DE CROISSANCE.
L'étiolement permet à une plante de « rattraper » et de dépasser la hauteur de ses voisines pour avoir plus de soleil mais aussi certainement pour exposer ses fleurs à la vue des pollinisateurs ou au vent pour les plantes dont le pollen est transporté par ce dernier. Cela s'applique aussi bien aux arbres qu'aux graminées. La thigmomorphogénèse arrête cette croissance rapide. Sans ce mécanisme d'arrêt de croissance, une fois arrivée à la hauteur de ses voisines, la plante poursuivrait sa croissance. Elle serait alors d'autant plus exposée aux vents violents et aux passages des animaux, qui risqueraient de casser la tige. Grâce à ce procédé, la stimulation mécanique – produite par le vent ou par le passage d'animaux – d'une tige un peu plus haute que ses voisines ralentit fortement la croissance de son apex et stimule celle de ses ramifications. Ce phénomène permet aux plantes de ne pas trop dépasser la hauteur de leur voisine, de ne pas trop émerger de la canopée.
Ce mécanisme a été largement étudié par les scientifiques dans les années 1980 essentiellement d'un point de vue physiologique. Ces travaux n'ont pas abouti, ou à de rares exceptions, à des applications techniques.
2 L'APPLICATION D'UNE MÉTHODE ENCORE TRÈS PEU RÉPANDUE.
Parallèlement, certaines observations empiriques ont été exploitées par des producteurs comme le fait de desserrer les liens des apex des arbres fruitiers. Ceux-ci sont alors ballottés par les vents, ce qui freine leur croissance, but recherché par l'arboriculteur. Le démarrage des travaux de l'Arexhor-Pays de la Loire s'est en outre appuyé sur une observation anecdotique de terrain. Dans un essai de contrôle des ravageurs en culture de chrysanthème, certaines plantes, toujours les mêmes, étaient minutieusement auscultées tous les quinze jours, les feuilles retournées, les tiges écartées... En fin d'essai, après trois mois de ce traitement, ces plantes étaient plus petites que leurs voisines et même nettement plus petites. Le phénomène identique a été observé sur poinsettias. Les travaux ont débuté au cours de l'année 2011 sur Hibiscus rosa-sinensis 'Porto rouge' (jeune plant non pincé), une variété pourtant difficile car se ramifiant peu et croissant rapidement. Lors des réunions préparatoires, plusieurs producteurs ont rapporté des observations empiriques suggérant que réguler les végétaux par le toucher pouvait être efficace. Philippe Morel, de l'Inra d'Angers, travaillant au développement de ce phénomène sur rosier, a donné le nom de cette méthode alors méconnue de la station – la thigmomorphogénèse – et a apporté ses conseils.
3 UN PROCESSUS QUI A PROUVÉ SON EFFICACITÉ.
La station a modifié un chariot d'irrigation en installant des tuyaux d'irrigation en PVC sur des balançoires réglables en hauteur. Sur chaque bras du robot ont été positionnées quatre balançoires. La culture a débuté en mai et le premier passage du robot a été réalisé une semaine après, le temps que les boutures s'enracinent un peu. Chaque jour aux alentours de midi, le robot a stimulé les plantes trois fois de suite (un aller-retour et un aller). Ce nombre de passages caractérise « l'intensité de stimulation ». Le nombre de stimulations par semaine, ou « fréquence de stimulation », dépendait de chaque balançoire. Deux balançoires – une sur chaque bras – étaient utilisées une fois par semaine, une deuxième paire deux fois par semaine, la troisième trois fois et la dernière paire était passée sur les plantes quatre fois par semaine. Chaque semaine, la hauteur des balançoires était réajustée afin de la réadapter à la hauteur des plantes pour que le tube de PVC stimule les premiers centimètres des apex des végétaux les plus hauts. C'est à cet endroit que les tiges seraient les plus réceptives aux stimuli. Après deux mois, les différences étaient assez marquées et plus encore après trois mois. Les plantes de la modalité la plus stimulée, plus petites d'environ 25 % par rapport au témoin, n'auraient pas eu besoin d'application de régulation de croissance pour atteindre leur taille commerciale.
4 L'IMPORTANCE DE LA HAUTEUR DE STIMULATION.
En 2012, le même type d'essai sur hibiscus a donné des résultats médiocres. Certes, les plantes stimulées étaient en général plus courtes que les témoins, mais le classement des modalités par hauteur finale ne correspondait pas au classement des modalités par intensité de stimulation. Pourquoi ? La réponse tiendrait au réglage de la hauteur. En 2012, la barre était réglée à la hauteur moyenne des plantes de la planche à stimuler alors qu'en 2011, elle était réglée au niveau des végétaux les plus grands. Les plus hauts ont grandi plus lentement que les petits, qui les ont rattrapés. La hauteur de l'ensemble des plantes s'est homogénéisée. A contrario, en 2012, les plus grandes n'ont pas ou peu été stimulées car la barre était trop basse sous la zone de la tige la plus réceptive. Elles ont grandi rapidement et la stimulation exercée à un niveau où la tige est assez dure pouvait provoquer des cassures. Les plantes de hauteur moyenne, stimulées au départ, ne l'ont plus été du fait de la remontée de la barre au niveau des plus hautes. Ceci a entraîné une stimulation intermittente, peu efficace, et une hétérogénéité des productions élevée. La hauteur et la qualité du réglage sont donc un paramètre essentiel à la réussite de la méthode si on se sert d'une barre.
Un dispositif simple et peu onéreux utilisant une traîne permet donc de supprimer l'étape délicate et fastidieuse du réglage de la hauteur de stimulation. En début de culture, la barre soutenant la traîne est mise à une hauteur supérieure à la hauteur finale désirée. La traîne doit être suffisamment longue pour toucher les plantes en début de culture (au moins 30 à 50 cm de contact). En fin de planche, un espace libre, sans plante, permet à la traîne de se retourner au moment où le chariot d'irrigation revient en arrière après avoir fait un aller. Au fur et à mesure de la croissance de la culture, la partie de la traîne en contact avec les plantes augmente, et certainement du même coup l'intensité de la stimulation. Ainsi, la hauteur de stimulation s'adapte naturellement et constamment à la hauteur des plantes les plus hautes. La traîne permet aussi de stimuler deux séries de deux âges (et donc tailles) différents sur une même planche. Signalons une précaution à prendre : ne pas mettre des étiquettes plus hautes que les végétaux. Soit elles seront arrachées par la traîne, soit elles empêcheront la stimulation mécanique des plantes proches.
5 UNE MISE EN OeUVRE FACILE ET ÉCONOME EN PRODUCTION.
Les essais menés au cours de 2012 et de 2013 ont eu pour objectif de faciliter la transposition de la technique en production, en répondant aux interrogations suivantes : l'heure de stimulation a-t-elle une influence sur l'efficacité ? Peut-on utiliser d'autres matériaux de stimulation ? Les autres productions sont-elles réceptives ? Des résultats de stimulation sur plantules de basilic avec une traîne en papier à deux moments de la journée indiquent qu'une stimulation le matin est plus efficace que le soir et que l'homogénéité est statistiquement plus importante. Plusieurs matériaux de traîne ont été testés en station d'expérimentation : de la bâche plastifiée épaisse (480 g/m²), de la bâche en plastique fin (100 µm, 100 g/m²) et du voile de forçage P30 (30 g/m²). Des producteurs ont, quant à eux, testé d'autres matériaux comme de la bâche de tunnel (200 µm, 150 g/m²) ou des balais de porte de serre. Quels que soient les matériaux retenus, les résultats ont été bons. Cependant, les bâches en plastique d'au moins 200 µm sont les plus efficaces et les plus pratiques. Le P30, assez rugueux, s'accroche un peu partout et surtout accroche fortement les feuilles des plantes. Les balais de porte, testés en culture d'hortensia en vert ont permis d'économiser deux applications de régulateur sur cinq. Mais comme pour les barres, ils doivent être réglés régulièrement. Enfin, les plastiques fins, bien qu'efficaces, auront certainement une efficacité relativement faible sur les plantes dites « coriaces » ou peu réceptives comme l'hibiscus et le rosier.
Pour l'instant, la technique de régulation des plantes par la thigmomorphogénèse a été menée sur Hibiscus rosa-sinensis et poinsettia en station, et sur Pelargonium et chrysanthème en production. Dans tous les cas, les résultats ont été bons avec une fréquence de passage de cinq stimulations par semaine. Cette technique simple, pratiquement gratuite (récupération des vieilles bâches de tunnel) et très efficace pour maîtriser la croissance des plantes, tout en permettant d'améliorer l'homogénéité de la culture, devrait s'imposer rapidement au sein des entreprises horticoles.
Alain Ferre, Arexhor-Pays de la Loire, d'après « Réguler les plantes en les touchant, une alternative inattendue » paru dans Phytoma- La santé des végétaux n° 671, pages 24 à 29.
Robot d'irrigation modifié servant aux essais de thigmomorphogénèse. PHOTO : ÉMILIE LERAY
L'apex d'un hibiscus en train d'être stimulé mécaniquement par la barre de stimulation. PHOTO : ÉMILIE LERAY
Divers matériaux de stimulation ont été testés, parmi lesquels une bâche plastifiée épaisse (ci-contre), un voile de forçage (en bas)... PHOTOS : ALAIN FERRE
Divers matériaux de stimulation ont été testés, parmi lesquels une bâche plastifiée épaisse (ci-contre), un voile de forçage (en bas)... PHOTOS : ALAIN FERRE
... et des balais de porte de serre expérimentés par des producteurs. PHOTO : CHARLES-HENRY DUVAL
Hauteur des hibiscus après trois mois de stimulation. De gauche à droite : la plante témoin, puis stimulée une fois par semaine, deux fois par semaine, trois fois par semaine et quatre fois par semaine. PHOTO : ÉMILIE LERAY
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