Pour des sols fertiles : de nouveaux enjeux et des pratiques à changer
Une matinée technique, organisée par Echos-Paysage en janvier dernier au lycée horticole de Dar dilly (69), a réuni une cinquantaine de professionnels, bureaux d'études, collectivités, entreprises du paysage, étudiants autour de la thématique des sols fertiles : diagnostic, reconnaissance, reconstitution, valorisation des ressources... ont été au coeur des échanges
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Après une présentation de l'ensemble des enjeux, la matinée technique, organisée par Echos-Paysage au mois de janvier dernier, a laissé une large part aux débats à travers une table ronde (*) et une participation très active du public...
1 UN PEU D'HISTOIRE AU FIL DES SIÈCLES.
Jusqu'au XVIIIe siècle, les jardins réalisés dans un milieu naturel utilisaient largement les sols en place après remodelage ou drainage éventuel. La question de la fertilité était déjà posée, mais on ne parlait pas encore de reconstitution. À partir du XIXe siècle, on a vu se créer des plantations sur des zones artificialisées, où le sol fertile était inexistant, comme le parc des Buttes-Chaumont, à Paris. Il a été aménagé au Second Empire à l'emplacement d'une ancienne carrière de gypse, transformé ensuite en décharge. Créer un espace paysager à cet endroit nécessitait d'y faire venir de grandes quantités de terre végétale. Parallèlement, l'agglomération parisienne s'étendait de plus en plus en périphérie, engloutissant de grandes surfaces de terres agricoles et maraîchères, comme la plaine de Saint-Denis (93). On a organisé le transport de cette terre vers le parc des Buttes-Chaumont par wagonnets pour reconstituer un sol fertile et aménager le site paysager qu'on connaît aujourd'hui. À la même époque, les plantations d'alignement le long des rues ou des boulevards nouvellement percés rencontraient des contraintes identiques avec la nécessité de recréer des fosses de plantation.
2 LA TERRE VÉGÉTALE SE RARÉFIE DE PLUS EN PLUS.
Lyon (69) a suivi un développement centrifuge similaire, en consommant de grandes surfaces de sols agricoles, ce qui générait une ressource importante en terre végétale pour les aménagements de centre-ville. Jusqu'à récemment, fin des années 2000 environ, les volumes récupérables étaient largement supérieurs aux besoins des espaces verts urbains. Avec cette logique de ressource infinie, aucune réflexion sur la rationalisation n'avait lieu, et le gaspillage des terres n'était pas à l'ordre du jour. Aujourd'hui, le contexte a changé. Le SCOT (schéma de cohérence territoriale) de la région lyonnaise, qui prévoit 150 000 habitants de plus d'ici 2030, impose de conserver les espaces agricoles et les zones naturelles. Cet enjeu va se traduire au niveau des PLU (plan local d'urbanisme) de l'agglomération, avec en corolaire la question : comment loger plus de monde sans s'étaler et sans empiéter davantage sur les espaces agricoles ? Les nouveaux habitants devront s'installer au coeur de la ville, plutôt qu'en périphérie. C'est un changement important des modes de vie qui devra être accompagné d'aménagements paysagers équilibrés pour retrouver la notion de nature au coeur des villes. D'une part, on aura de plus en plus d'agencements sur des sols stériles et une demande croissante en terre végétale et, d'autre part, la ressource en terre fertile va en s'épuisant pour préserver les espaces agricoles. À Lyon, par exemple, la mise en place du Confluent a nécessité 300 000 m3 de terre fertile. Cela correspond au décapage de 100 ha de terre agricole. Le rapport entre l'offre et la demande en terre fertile est donc en train de s'inverser. Il est urgent de rationaliser au plus près les volumes de terres disponibles, de faire évoluer les modes de collecte et de reconstitution des sols fertiles, et aussi de mettre en place des filières de substrats artificiels à partir de limons, déchets verts, BRF (bois raméal fragmenté), boues de stations, pour offrir des substrats utilisables en sols urbains.
3 IDENTIFIER LES CARACTÉRISTIQUES DE LA RESSOURCE.
La gestion de la terre fertile passe au préalable par une parfaite connaissance de la ressource au niveau de la qualité et de la quantité. Xavier Marié, de l'agence Sol Paysage, a présenté les différentes étapes à mettre en oeuvre en prenant l'exemple de la ZAC des Bruyères, à Limonest (69).
D'une surface de 10 hectares, elle dispose d'un relief vallonné, avec un ruisseau et une zone humide en creux de vallon. Il convient en premier lieu de collecter toutes les informations existantes ; cellesci sont cependant souvent limitées. Si les cartes géologiques au 1/50 000e (cartes BRGM) donnent une idée globale de la formation géologique (dans la ZAC des Bruyères, on est sur du loess), les cartes pédologiques ne sont pas assez précises, maximum 1/100 000e, et n'apportent pas suffisamment d'informations sur l'état véritable du sol à l'échelle d'un site. En dehors de ces cartes, on dispose de peu d'autres données, surtout en zone urbaine où la mémoire des sols et les connaissances de terrain se sont peu à peu perdues. Une observation visuelle du milieu permet de repérer différents types de sol, mais pour véritablement connaître l'état du lieu, il est nécessaire de prélever des échantillons à divers endroits et de procéder à leur analyse. Ce travail doit se faire très en amont des travaux d'aménagement, lors des premières études, et il peut poser quelques difficultés d'un point de vue juridique lorsque l'aménageur n'est pas encore propriétaire des terrains ou quand il faut tenir compte d'éventuelles études archéologiques. Sur les 10 ha de la ZAC des Bruyères, vingt-six prélèvements ont été effectués. Chacun a fait l'objet d'une analyse granulométrique, de la matière organique et de la proportion de calcaire total. Ces échantillons ont permis de dresser la carte pédologique de l'emplacement : cinq types de sol ont ainsi été identifiés, d'un sol très fertile en creux de vallon à un sol 100 % artificiel à l'emplacement d'une ancienne décharge, en passant par des terres limoneuses ou limono-argileuses sur les vallons, des pH inférieurs à la neutralité à des PH supérieurs à 8. Ces prélèvements renseignent aussi sur les profils pédologiques et montrent les profondeurs des différentes couches, secteur par secteur. Toutes ces données vont permettre de calculer et de comparer les volumes de terre récupérables et les volumes déficitaires en fonction du projet. Chaque zone est repérée, quantifiée en surface, et en fonction des profils la quantité de terre disponible ou déficitaire peut être définie. La méthode permet de quantifier les ressources disponibles (les voiries essentiellement) et les besoins (surtout au niveau de l'ancienne décharge), l'enjeu étant de les équilibrer.
4 MUTUALISER LA TERRE À L'ÉCHELLE DE LA VILLE.
Sur d'autres projets, par exemple le parking des Panettes, réalisé dans le cadre du dispositif d'accessibilité au Grand Stade, à Meyzieu (69), où les 22 ha d'aménagement dégageront une grande quantité de terre excédentaire, l'enjeu est de mutualiser cette ressource avec d'autres agencements déficitaires du centre de l'agglomération. La mise à disposition de la terre et les besoins sont rarement simultanés dans le temps et nécessitent un stockage souvent sur plusieurs années. Ce stockage est source de nombreuses contraintes : économiques, techniques et logistiques.
5 FAIRE ENTRER LE DIAGNOSTIC DANS LES MOeURS.
Pour Benoit Scribe, paysagiste à l'agence Gautier-Conquet, la qualité des sols fertiles est une composante à part entière. Il est nécessaire de faire de la pédagogie auprès des maîtres d'ouvrage, promoteurs, maîtres d'oeuvre, pour rendre naturel et systématique le diagnostic et la cartographie de la ressource « sol », de faire davantage d'études agro-pédologiques en amont et de privilégier le réemploi des ressources locales autant que possible. Loin d'être un coût supplémentaire, ce diagnostic peut, au contraire, engendrer des économies importantes lors des travaux.
Claude Thiery
(*) Autour de Frédéric Ségur (service arbres et paysage du Grand Lyon), Xavier Marié (bureau d'études Sol Paysage), Guillaume Julien (chef de projet Grand Lyon accessibilité Grand Stade), Benoit Scribe (paysagiste agence Gautier-Conquet), Daniel Lachana (entreprise Green Style).
L'enherbement des andains, nécessaire à la conservation de l'état biologique des terres, peut également être perçu comme la création de paysages éphémères visant à atténuer les contraintes visuelles du chantier. PHOTO : GAUTIER-CONQUET ET ASSOCIÉS
Sur les parties privées, il n'est pas rare de voir des terres stockées et compactées sur des hauteurs de 6 à 7 mètres pour gagner de la place ! PHOTO : CLAUDE THIERY
La matinée organisée par Echos-Paysage, le 14 janvier dernier au lycée horticole de Dardilly (69), a réuni une cinquantaine de professionnels, bureaux d'études, collectivités, entreprises du paysage, étudiants autour de la thématique des sols fertiles. PHOTO : CLAUDE THIERY
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