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Quel est votre diagnostic ? C'est la maladie de l'encre

Des chênes rouges au feuillage clairseméDes chênes rouges (Quercus rubra) longent depuis près de vingt ans une route du sud-ouest de la France fortement fréquentée. Les conditions édapho-climatiques du site conviennent bien à ces arbres de grande dimension. Depuis peu cependant, certains perdent de leur vigueur ; l'allongement de leurs pousses annuelles s'affaiblit, les houppiers s'éclaircissent et le feuillage est sous-dimensionné...

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C'est la maladie de l'encre occasionnée par Phytophthora cinnamomi Rands. Même s'il existe actuellement des kits de diagnostic de terrain permettant de mettre en évidence le genre Phytophthora (voir photo), seules des analyses de laboratoire pourront confirmer l'espèce en cause. Longtemps regroupés avec les champignons, les Phytophthora sont aujourd'hui classés à part dans les straménopiles (organismes comportant à un stade de leur cycle de vie des cellules biflagellées). Phytophthora cinnamomi est un oomycète exotique probablement originaire de Papouasie-Nouvelle-Guinée et connu en France depuis 1948.

MÉCANISMES EXPLICATIFS

Les symptômes observés au collet et dans la partie basse des troncs des différents chênes du site correspondent bien à un faciès chancreux : l'appellation de « chancre cortical pérennant » est utilisable ici. La croissance désordonnée mais très active des cals cicatriciels en réaction aux différentes infections occasionnées par Phytophthora génère ces déformations et ces fissurations de l'écorce.

Les coupes réalisées confirment la présence de nombreux points d'infection au niveau des tissus cambiaux. Des cals cicatriciels se sont systématiquement développés au cours de la même année et ont recouvert les différentes lésions. Ces recouvrements successifs laissent en place dans le bois profond, sur les cernes de bois de printemps, ces îlots nécrotiques inactifs à la forme assez caractéristique en « T ». Année après année, les traces de ces infections répétées restent visibles à l'extérieur sur les écorces des arbres et ce, même si la continuité des tissus cambiaux est recouvrée sur toute la circonférence du tronc.

Les écoulements noirs goudronneux correspondent à des exsudats de composés phénoliques oxydés produits par l'arbre en réaction à l'infection. Cette affection parasitaire est combattue avec un certain succès par les différentes espèces de chênes présents sur le site. Cependant, dans quelques rares cas, lorsque les nécroses sont trop étendues, un déclin physiologique de l'arbre et son dépérissement sont possibles.

CONFUSIONS POSSIBLES

Des faciès chancreux accompagnés de suintements noirs peuvent être occasionnés par des champignons opportunistes qui s'installent sur des plaies dans la base des troncs : Pezicula cinnamomea cité sur le chêne rouge et le stérée ridé (Stereum rugosum) répertorié sur plusieurs espèces du genre Quercus. Ce dernier est un champignon lignivore susceptible de provoquer une active pourriture blanche du bois profond ; sa fructification résupinée de couleur beige tapisse l'écorce au niveau de la zone chancreuse.

ÉLÉMENTS DE BIOLOGIE

Phytophthora cinnamomi est un oomycète non spécifique répertorié sur plus de 900 hôtes différents. Il peut apparaître sous différentes formes dans le sol, les substrats de culture et les débris végétaux. Son mycélium est capable de survivre dans le sol et de coloniser la matière organique en décomposition. Lorsque les conditions environnementales sont difficiles, Phytophthora cinnamomi se conserve à l'état de chlamydospores (*) dormantes. Quand les conditions s'améliorent, celles-ci germent et donnent des sporanges (**). À maturité et en présence d'eau, ces structures libèrent de grandes quantités de zoospores. Ces spores flagellées très infectieuses ne se déplacent qu'en milieu liquide. Par un phénomène de chimiotropisme dans l'eau, elles sont attirées par les racines de leurs hôtes. Ainsi, c'est dans les sols hydromorphes ou à proximité d'une zone de ruissellement ou d'écoulement d'eau (ripisylve, fossé drainant, arrosages par aspersion...) que les risques d'infection par le Phytophthora cinnamomi sont les plus forts. Sur le site qui a été étudié, la présence de fossés régulièrement inondés à proximité mais également les fréquentes projections d'eau lors du passage des véhicules sont certainement à l'origine de la contamination des arbres.

Le plus souvent, le pathogène pénètre au niveau des racines fines et contamine le système racinaire. Mais sur les chênes rouges et les chênes pédonculés, les tissus corticaux secondaires à la base des troncs se montrent souvent plus vulnérables que le chevelu racinaire ; ce sont donc essentiellement les troncs qui sont affectés.

Les oospores (phase sexuée) semblent peu fréquentes ; elles constituent une forme de conservation durable même dans les sols secs. Les facteurs limitants de Phytophthora cinnamomi sont d'une part la sécheresse des sols et d'autre part les basses températures hivernales. Cet oomycète aux origines équatoriales présente un optimum de développement entre 24 et 28 °C et sa croissance mycélienne est stoppée en dessous de 5 °C. Il se conserve difficilement dans les tissus corticaux des plantes au cours de l'hiver, sa survie est plus importante dans les sols. Ainsi, la maladie se rencontre essentiellement en zone méditerranéenne, dans le sud-ouest et dans l'ouest de la France. Les modifications climatiques envisagées pour les décennies à venir pourraient permettre son extension.

HÔTES POSSIBLES ET IMPACT POUR LES ARBRES

Les hôtes multiples appartiennent à des familles botaniques très variées. Lorsqu'il se développe sur les racines, Phytophthora cinnamomi peut être un agent de dépérissement très rapide. C'est le cas sur le châtaignier (Castanea sativa), sur les plantes de la famille des Éricacées ou sur certains conifères (Chamaecyparis sp.).

Des dégâts très importants ont pu être constatés dans des pépinières en culture hors-sol. Chez les chênes par contre, les nécroses corticales dans la base des troncs souvent spectaculaires sont rarement dommageables pour les arbres et seul leur bois est fortement déprécié. C'est le cas pour les chênes rouges (Quercus rubra), les chênes pédonculés (Quercus robur) et les chênes tauzin (Quercus pyrenaica). Sur le site étudié, la proportion d'arbres affectés est importante mais seuls quelques sujets sont dépérissants. Les chênes verts (Quercus ilex) et les chênes lièges (Quercus suber) se montrent plus sensibles.

Par Pierre Aversenq, expert arboricole

(*) Spores à parois épaisses issues de multiplication végétative permettant la conservation du mycète d'une année sur l'autre. (**) Organe contenant et produisant des spores.

Phytophthora cinnamomi . Longtemps regroupés avec les champignons, les Phytophthora sont aujourd'hui classés à part dans les straménopiles.

PHOTO : PIERRE AVERSENQ

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