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S'adapter aux nouvelles attentes pour les espaces verts collectifs

Les citoyens expriment aujourd'hui une volonté de co-construire et de cogérer leurs espaces verts. Comme ici à Cholet (49), où le parc du Verger a été dessiné en tandem par le service des espaces verts et un collectif d'habitants.PHOTO : VILLE DE CHOLET

En raison des budgets et de la demande sociale, les achats des responsables de services espaces verts des villes changent. Moins d'intrants, d'entretien, plus d'adaptation au contexte local, telles sont leurs exigences pour des habitants qui veulent des jardins, sans forcément les posséder.

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Sur le marché des collectivités, quelles sont les nouvelles exigences des acheteurs de végétaux ? Et comment les producteurs peuvent-ils y répondre au mieux ? Tel était le thème d'une des conférences du pôle Paysage du Salon du végétal, à Angers (49), le 19 février dernier, à laquelle ont participé Thibaut Beauté, directeur général adjoint de la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise (95) et président d'Hortis, ex-association des directeurs de jardins et espaces verts publics jusqu'en octobre 2014, Damien Provendier, de Plante & Cité, qui observe les marchés publics, Michel Le Borgne, dirigeant des pépinières Drappier, dans le Nord, et animateur du pôle Paysage de la FNPHP (Fédération nationale des producteurs de l'horticulture et des pépinières) et Laurent Chatelain, directeur des pépinières éponymes près de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et président du GIE des pépinières d'Île-de-France.

Acheter des végétaux et du savoir-faire

Pour Thibaut Beauté, l'usage des espaces verts, et donc leur conception et leur gestion, est en train d'évoluer vivement. « On constate tout d'abord une demande d'une plus forte participation des habitants, une réappropriation de leur part de l'espace public, une volonté de co-construction et de cogestion des espaces verts. Les gens se disent que ce sera moins cher s'ils font certaines choses eux-mêmes. On est en train de passer d'une économie de la possession à une économie d'usage : les citoyens veulent jouir des espaces verts sans nécessairement en être propriétaires. Aujourd'hui, à Cergy-Pontoise, le mouvement des Incroyables Comestibles milite pour le partage et l'autonomie alimentaire en investissant l'espace public et en réintroduisant des espèces fruitières et légumières oubliées. » Mais, au-delà de ces tendances, Thibaut Beauté retient surtout que « les contraintes budgétaires sont actuellement énormes. Les baisses vont de quelques pour cent à parfois 10 %. Comme la masse salariale met du temps à se contracter, nous devons agir vite, et nous le faisons sur nos pratiques. Nous démultiplions aujourd'hui les techniques alternatives de gestion, notamment différenciées, nous passons du temps à faire comprendre aux élus comment on va s'adapter à cette nouvelle donne. La première étape est de se battre contre les concepteurs qui se font plaisir mais nous proposent des jardins qui seront souvent ingérables. Ainsi, la topiaire est devenue à la mode, mais le coût de gestion de cette pratique est énorme. Les rideaux d'arbres, de tilleuls, par exemple, sont également prohibitifs. Il faut désormais faire plus simple, avec des végétaux moins poussants. Les vivaces, qui ont été longtemps présentées comme une solution miracle, permettent d'étaler l'activité dans le temps, comparées à des annuelles. Mais elles s'entretiennent, doivent être régénérées et demandent malgré tout des interventions. Nous devons réfléchir, avec les jardiniers au pourquoi de chaque action que l'on fait dans le jardin et retrouver l'intelligence du geste ».

Pour autant, on sent que le gestionnaire ne baisse pas les bras, malgré les difficultés du moment : « Nos achats de végétaux sont désormais plus différenciés, plus spécifiques. On fait face à la demande, des administrés qui veulent savoir d'où viennent les végétaux, ce qui est a priori favorable aux productions locales. On a aussi une demande plus intégrée qui n'inclut pas que des plantes, mais aussi des opérations de gestion ultérieures. Cela peut aller jusqu'à un certain transfert de savoir-faire, qui devient de plus en plus important car on constate une baisse de technicité dans les services. On n'achète plus seulement une plante, mais une plante et un service, avec sa taille de la première ou des deux premières années et des explications auprès des jardiniers sur la manière dont elle doit être faite. On doit également expliquer aux habitants pourquoi on a choisi telle espèce, pour donner du sens à notre plantation. »

Investir dans des plantes dont l'entretien est limité

Damien Provendier estime pour sa part que la loi Labbé, qui vise à interdire au plus vite les produits phytopharmaceutiques dans les espaces verts, a déjà des conséquences sur les achats de végétaux par les collectivités : celles-ci cherchent à ne plus acheter de plantes forcées, plus sensibles aux maladies et ravageurs. Elles veulent également investir dans des végétaux qui demandent peu d'entretien et qui soient capables de bien se comporter en conditions limitatives. Ainsi, Plante & Cité travaille en lien avec Val'hor sur la valorisation des végétaux d'origine locale. « Quand on veut installer une trame verte, par exemple, il est nécessaire de planter des sujets indigènes pour répondre aux objectifs de restauration de la biodiversité. » Le label Végétal local, porté par la Fédération des conservatoires botaniques nationaux, Plante & Cité et l'Afac-Agroforesteries, a été officialisé au Salon du végétal, le jour même de la conférence du pôle Paysage (voir le Lien horticole n° 921, du 18 mars 2015). « L'une des clés de la réussite lorsqu'un bureau de maîtrise d'oeuvre souhaite avoir recours à des végétaux locaux est que les lots soient disponibles en pépinière en quantités suffisantes et que ces plantes soient produites à part. Passer par des contrats de culture est certainement une solution adaptée pour lancer ces filières », estime Damien Provendier.

Fournir 80 % du marché français et exporter

Les pépinières françaises sont-elles préparées à ces évolutions et peuvent-elles y répondre ? Pour Michel Le Borgne, il y a urgence : la pépinière française fournit aujourd'hui autour du tiers des végétaux destinés au marché des espaces verts, collectivités ou particuliers : « Si l'on descend en deçà, la production française sera marginalisée. Le temps joue contre nous. Si demain les acteurs du marché du paysage voulaient tout acheter chez nous, on ne pourrait pas suivre, il n'y aurait pas les plantes. Mais nous cherchons à reconquérir des parts de marché, l'objectif étant de fournir le commerce du paysage à 80 % avec des plantes produites en France et d'exporter. » Pour y parvenir, les producteurs doivent rencontrer régulièrement les donneurs d'ordre, concepteurs et maîtres d'oeuvre pour entendre leurs « exigences ». Le pôle Paysage de la FNPHP agit en ce sens et a initié des réunions de travail avec Hortis, la FFP (Fédération française du paysage) et l'Unep (Les entreprises du paysage) en 2014 et début 2015.

« Côté donneurs d'ordre, la commande publique est en train de glisser des villes vers les communautés urbaines, et l'avenir de la fourniture pour la plantation en régie est clairement posé ; leurs attentes sont de booster la biodiversité urbaine et de répondre aux attentes d'élus pas toujours bien informés, estime Michel Le Borgne. La réponse qui leur sera donnée doit anticiper la gestion ultérieure des espaces à coût maîtrisé tout en donnant plus de place aux plantes. Les concepteurs veulent connaître l'offre végétale, les bonnes pratiques et reconnaître leurs projets à la fin. À leurs demandes répétées, il serait urgent de leur apporter des repères techniques, car ils pensent mal connaître les végétaux "actuels" et avoir parfois des difficultés à exercer correctement leurs maîtrises d'oeuvre. Il faut sans cesse également leur rappeler que les producteurs français sont aussi capables de produire que d'autres. Pour eux, la valeur d'usage et botanique revêt autant d'importance que la valeur esthétique. » Reste que, comme nous l'avons maintes fois répété, le prix a pris le pas sur le rapport qualité-prix. Les producteurs sont donc preneurs de rencontres régulières et médiatisées avec les concepteurs, sachant que les projets les moins chers sont ceux dans lesquels les plantes occupent la plus large place.

« Mieux estimer la demande et faire connaître notre offre nous permettra d'augmenter nos taux de vente et donc d'améliorer notre compétitivité, poursuit Michel Le Borgne. Mais nous devons également raccourcir les cycles de production pour adapter plus pertinemment notre palette ; rechercher de nouveaux financements externes et organiser la mise sur le marché en réseaux pour être plus efficaces et remettre la production sur les rails. »

Les choses se sont complexifiées en pépinière : « Auparavant, en pépinière de gros sujets, nous avions de 80 à 100 taxons de grands ligneux en culture. Aujourd'hui, nous en avons 250, et nous en aurons rapidement plus de 300. Davantage de diversité et moins de quantité offrent la possibilité d'adapter la palette aux défis phytosanitaires actuels (les frênes locaux ont dû être remplacés par des Pennsylvanica ou des Ornus pour cette raison). Nous devons aussi explorer les espèces locales issues de semis et penser à l'avenir en privilégiant les espèces les mieux adaptables au climat futur de nos régions. »

Des contrats de culture pour garantir les ventes

« Nous sommes sept pépiniéristes de la région Île-de-France qui nous nous connaissons depuis deux générations, a quant à lui expliqué Laurent Chatelain, président des Pépinières franciliennes. Nous nous sommes réunis pour réfléchir aux moyens à mettre en place afin de concurrencer les importations de végétaux de pépinières, particulièrement importantes dans notre région. Nous avons pensé que la meilleure solution était de nous unir pour qu'un seul interlocuteur puisse proposer aux donneurs d'ordre l'offre de nos 270 hectares cumulés de pépinière. C'est ainsi que nous avons créé un GIE au sein duquel nous avons établi des règles commerciales strictes : le producteur qui a le chiffre d'affaires le moins élevé au moment de la commande est prioritaire pour le marché suivant, s'il dispose des végétaux adaptés » (voir le Lien horticole n° 782, du 11 janvier 2012). Cette démarche a permis récemment au GIE de décrocher un marché important dans le cadre du nouvel investissement de Disney à Marne-la-Vallée (77), soit 25 % des végétaux. « Ces plantes sont cultivées sous contrat de culture, ce qui nous garantit que tout ce qui est produit sera vendu à un prix compétitif déjà fixé. Pour assurer les mises en culture, nous avons contracté, au niveau du GIE, un emprunt conséquent à un taux avantageux, ce qui a pour incidence d'éviter une avance de trésorerie pour l'achat du substrat, des contenants et des jeunes plants. »

Aujourd'hui, le GIE cultive également les plantes locales. « Je pense qu'il ne s'agit pas d'une niche, mais de l'avenir », précise Laurent Chatelain. Autres pistes de travail : les usages pour « ne pas proposer des épineux devant une école, par exemple ». Qui a dit que les professionnels produisaient sans se poser la question de l'utilisation de leurs végétaux ?

Pascal Fayolle

Choisir une palette adaptée Dans le cadre d'une trame verte, l'idéal est de planter des végétaux indigènes qui permettent de respecter le plus possible la biodiversité.

PHOTO : PLANTE & CITÉ

Produire cette palette... En adaptant la palette aux attentes des collectivités, les producteurs veulent mieux approvisionner le marché français.

PHOTO : PÉPINIÈRES DRAPPIER

... et la gérer avec le public ! Les modes de gestion sont amenés à évoluer. Désormais, on peut demander, par exemple, à un pépiniériste une prestation de service.

PHOTO : PASCAL FAYOLLE

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