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THIERRY LAVERNE, PAYSAGISTE « La pépinière, une des formes les plus abouties d'agriculture urbaine ? »

PHOTO : AGENCE LAVERNE

THIERRY LAVERNE, PAYSAGISTE. IL A RÉALISÉ LE JARDIN DU PAVILLON FRANCE DE L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE MILAN, DONT LE THÈME EST « NOURRIR LA PLANÈTE, ÉNERGIE POUR LA VIE ». À VISITER JUSQU'EN OCTOBRE.

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Quelle est la principale caractéristique du Pavillon France de l'exposition de Milan ?

C'est un des seuls qui réponde vraiment au thème général choisi par les organisateurs et donne une place et un rôle aussi importants au jardin. L'ensemble offre au visiteur un sentiment de plaisir et de liberté : il est possible de déambuler librement dans le jardin ou le bâtiment. La plupart des autres pavillons sont essentiellement axés autour d'un bâtiment... D'ailleurs, celui de la France est le plus visité après celui de l'Italie, pays hôte de la manifestation.

L'agriculture urbaine est le grand sujet actuel. En quoi le paysage y est-il impliqué ?

Le paysage est le reflet et le produit du projet de société. À titre personnel, j'ai été élu local pendant trois mandats, délégué au projet de territoire de Marcoussis (91). Nous avons accueilli le centre national du rugby, en lieu et place d'une zone industrielle prévue par la municipalité précédente. Nous avons su démontrer que le paysage et l'environnement étaient des valeurs fondatrices de notre projet municipal, et avons su convaincre les responsables de la Fédération française de rugby que ces valeurs et ressources méritaient d'accueillir et de promouvoir leur centre de formation. Ils ont été séduits et ont choisi notre commune et notre vallée. En échange, ce coup de projecteur a donné à Marcoussis une visibilité et une audience qui ont imposé l'excellence de son projet.

Aujourd'hui, on ne peut plus raisonner l'aménagement d'un territoire sans prendre en compte les exigences du développement durable, le besoin d'infrastructures et de logements, mais aussi la part active de la nature en ville, qui implique de redonner une place à une agriculture de proximité. La responsabilité alimentaire ne peut être confiée à la seule grande distribution. L'agriculture des villes doit être diverse et indispensable aux urbains au point que sa place et son rôle soient indiscutables dans le territoire et le projet des collectivités. Mais pour que tout cela fonctionne, il faut aussi qu'acteurs, responsables et habitants définissent ce projet partagé ; tout cela est une question de dialogue et d'engagement entre citoyens, agriculteurs et collectivités.

Toutes les communes n'ont pas de zones agricoles...

La commune n'est pas forcément la bonne échelle pour mener un projet. Le Triangle Vert, sur lequel nous avons travaillé depuis trois mandats et que nous avons inventé et mis en oeuvre il y a douze ans, rassemble cinq communes de droite et de gauche sur la reconnaissance et la valorisation de l'équilibre existant. Il est établi sur la base d'un tiers d'urbanisation, un tiers d'infrastructures de transport et un tiers d'agriculture.

Historiquement, et jusque dans les années 1940, l'Arpajonnais était un tramway qui parcourait l'ensemble de nos communes pour rejoindre Les Halles, à Paris. Il permettait de transporter les légumes produits localement. Cette histoire permet d'assumer désormais les nouveaux enjeux de la ville écosystémique, répondant non seulement aux problèmes de qualité de l'air et de l'eau, de biodiversité et de réchauffement planétaire, mais aussi de responsabilité alimentaire. Le tout en développant une agglomération de proximité qui réponde à ses enjeux sociaux et de développement nécessaire de logements. Mais notre projet permet aussi de confirmer la place de l'agriculture dans le mode de vie de nos villes et de nos habitants, en déployant des économies de transformation (brasserie, conserverie d'insertion) qui confirment et démontrent la responsabilité urbaine des agricultures.

La démarche rejoint le thème de l'exposition. Comment en être arrivé à réaliser ce jardin ?

Nous avons été intégrés à l'équipe de conception à l'issue du concours. Il nous a fallu, en quelques mois, dessiner un jardin, trouver une entreprise locale et définir avec elle les conditions de production, de mise en oeuvre et de renouvellement pendant les six mois de l'exposition. Il a aussi fallu préciser, avec les représentants de chaque filière des agricultures françaises, les espèces et variétés représentatives et mettre en culture les végétaux...

Est-il si difficile de trouver aujourd'hui des plantes ?

L'idée était de présenter la diversité et la vivacité françaises par la mise en scène des différents systèmes de production au travers de leur évolution tout au long de l'année... Faire un blé, puis griffer et mettre en place un engrais vert, par exemple. J'ai insisté pour faire partager une vision dynamique et évolutive du jardin, capable de traduire le fait qu'il soit prévu pour durer six mois. Mais il fallait aussi offrir, à chaque instant, au public, un lieu attractif et séduisant. Nous avons donc mis en culture, chez un producteur local, trois répliques afin de pouvoir remplacer les cultures abîmées et d'assurer les rotations à chaque saison.

D'où viennent les végétaux qui ont été utilisés ?

Ils sont tous issus de semences ou de jeunes plants représentatifs et produits par les obtenteurs français. Y compris les arbres du verger, qui ont été prélevés chez des arboriculteurs d'Île-de-France.

Quel regard portez-vous sur la production française ?

Pour les gros sujets, nous sommes condamnés à nous fournir chez nos partenaires européens... La fiscalité des pépinières pose vraiment un problème. Mais de nouvelles initiatives comme le GIE des pépinières d'Île-de-France nous ont permis de revenir vers la production française. Cela dit, en réponse aux nouveaux enjeux environnementaux et de nature en ville, les horticulteurs doivent de plus en plus prendre conscience qu'ils n'ont pas intérêt à réduire leur savoir-faire à la seule production de plantes, mais au contraire élargir leurs compétences pour embrasser l'ensemble des enjeux dans le domaine du vivant.

Les choix en matière de plantations et d'aménagement ne se résument plus à des critères esthétiques et de décoration. Il faut également répondre aux mesures environnementales et de biodiversité qui élargissent le rôle et la place de la nature en ville, tant dans sa présence et ses contributions à l'aménagement durable des territoires, que dans les modes de production des pépinières...

La pépinière peut, dans cette perspective, constituer une des formes les plus abouties d'agriculture urbaine.

Propos recueillis par Pascal Fayolle

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