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SYLVAIN CONRAUD, ANCIEN HORTICULTEUR « Je suis un activiste horticole »

PHOTO : PASCAL FAYOLLE

SYLVAIN CONRAUD, ANCIEN HORTICULTEUR, A TRANSMIS SON ENTREPRISE DE PRODUCTION À SES SALARIÉS AFIN DE CRÉER SA SOCIÉTÉ DE CONSEIL ET NÉGOCE, ET PROPOSER SES SERVICES AUX PRODUCTEURS, COLLECTIVITÉS ET PAYSAGISTES. DERNIÈRE CONTRIBUTION EN DATE : LA MISE EN PLACE DE PETITE FLEUR FOLIES À PARIS EN JUIN, UN FLEURISSEMENT ÉVÉNEMENTIEL ET ÉPHÉMÈRE, MAIS SURTOUT 100 % FRANÇAIS.

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Pourquoi avoir cédé votre pépinière et créé Invecti en 2013 ?

Je suis un passionné des plantes et du métier d'horticulteur, mais, en tant que tel, je connaissais une véritable frustration à la vue de certains aménagements urbains. Une petite ville peut dépenser 70 000 euros par an en budget de fleurissement sans que le résultat soit extraordinaire, alors que sur 10 ans la somme dépensée aurait pu servir à un aménagement de qualité ! Du coup, j'ai cédé mon entreprise en 2012. 'Des racines et des pelles' (50), que j'ai créée en 2004, appartient désormais à mes anciens salariés qui se sont associés pour la reprendre. J'ai créé Invecti un an après, pour accompagner les collectivités dans l'aménagement de leurs espaces verts. J'étais plein de candeur ! Mon objectif était de proposer de 'faire plus avec moins', en construisant un projet d'amélioration du cadre de vie sur plusieurs saisons, en rationalisant le budget sur le long terme et en intégrant des contrats de culture, préférentiellement avec des producteurs français. Malheureusement, ce type de gestion n'est pas entré dans les moeurs, ça n'a pas accroché, les gestionnaires ayant l'impression que cela leur donnerait trop de travail ou qu'ils seraient remis en cause. Dans les petites collectivités (2 000 à 10 000 habitants), les responsables des espaces verts ont parfois une vision du fleurissement à très court terme (à travers le prisme de la reconduction de budget)... Mais Invecti est aussi née de mon souhait d'établir une passerelle entre la production et le terrain final. C'est aujourd'hui une société de conseil et de négoce de végétaux, partenaire des paysagistes et des architectes, aussi bien que des collectivités.

Quelle est votre vision de la filière horticole ?

En 2012, la balance commerciale de la filière était déficitaire de près de un milliard ! La France est le berceau historique de l'horticulture et pourtant 86 % des végétaux vendus sur notre territoire proviennent de l'étranger. Entre 1990 et 2010, l'importation de végétaux a doublé et plus de 60 % des entreprises françaises ont disparu, 37 % rien qu'entre 2007 et 2013. Ces chiffres donnent le vertige ! Nous devons contrecarrer ce qui a été fait pendant 20 ans où tout a été misé sur la distribution spécialisée : nous arrivons au bout du cycle. Le consommateur ne sait plus ce qu'est un horticulteur, et, pour lui, acheter une plante signifie automatiquement aller en jardinerie. Les collectivités n'ont plus le réflexe d'aller voir les spécialistes locaux pour demander les plantes qu'il leur faut. Dans les aménagements urbains, le végétal est toujours placé en second plan alors qu'il devrait être considéré en priorité.

Pourtant, la production française peut être concurrentielle, en proposant des produits de qualité ! Mais il y a deux points noirs essentiels : l'organisation de la logistique et l'élargissement de l'offre. La logistique en particulier est primordiale : un paysagiste n'a pas le temps de téléphoner à un transporteur pour se procurer un camion !

En quoi Invecti se distingue d'autres entreprises de négoce ?

Issu d'une famille d'horticulteurs, j'ai moi-même été producteur pendant dix ans. Je connais les contraintes de la production et j'ai un dialogue sincère avec les professionnels. Surtout, je soutiens l'horticulture française. L'idée d'Invecti est d'établir un lien transversal entre les partenaires (paysagistes, producteurs, collectivités), de mettre en relation les différents acteurs locaux afin de favoriser leur développement. Je veux aider à mettre en contact l'offre et la demande, dynamiser l'économie locale. Je suis un activiste horticole ! En patois normand, Invecti signifie d'ailleurs « gamin turbulent »... Mais nous avons tous la responsabilité de faire bouger les choses ! Notre capacité de production doit être mieux prise en compte, mon souhait est d'être consulté pour cela en amont, car les retombées sur la filière française doivent à présent être une priorité.

Invecti apporte du conseil auprès des collectivités et des solutions (courtage) aux paysagistes ou aux maîtres d'ouvrage ayant un volet végétal dans leur projet. Auprès des pépiniéristes, la société joue le rôle de négociant prêteur : il s'agit de permettre aux producteurs de lutter 'à gamme égale' avec la distribution spécialisée. Car le client revient d'autant plus facilement chez son détaillant qu'il sait qu'il va y retrouver une large variété de plantes. L'élargissement de la gamme entraîne donc une augmentation du trafic. Invecti définit, négocie et finance les arrivages complémentaires au catalogue du producteur (marquages en France mais aussi en Toscane, Catalogne, Andalousie et Belgique). Le dépôt de stock chez le pépiniériste par Invecti permet aussi au paysagiste d'y retrouver une gamme de premier choix pour ses projets. L'horticulteur bénéficie par ailleurs de l'ambiance créée par la présence de gros sujets, tout en ayant juste à facturer une prestation de service pour l'entretien des végétaux et la main-d'oeuvre...

En quoi a consisté votre dernier projet, Petite Fleur Folies ?

Auprès des architectes, des paysagistes et des collectivités, Invecti se charge de trouver des végétaux selon un budget et des contraintes définis. Mon expérience me permet de m'appuyer sur les bons interlocuteurs, de juger le réalisme des objectifs en lien avec le végétal, de conseiller et de rationaliser les coûts. C'est ce que j'ai fait pour Petite Fleur Folies, un événementiel commandé par Yoplait pour ses 50 ans. La société organisatrice Place grand public a choisi de confier la fourniture des plantes à Invecti. L'événement s'est déroulé du 18 au 21 juin : 2 000 m2 de végétaux, sur les berges du Quai Branly, 200 variétés de vivaces, 30 000 plantes fleuries et des oeuvres mécaniques ludiques intitulées 'Créatiles'.

Après avoir travaillé sur le choix des variétés, j'ai sollicité mon réseau pour confier des contrats de mise en culture à des producteurs français (*) en fonction des disponibilités de chacun : la demande était faite en mars pour des plantes livrées en juin ! Il a fallu anticiper les délais de floraison, définir les attributions de chaque fournisseur, gérer le transport et la logistique. Mais finalement, c'est une production 100 % française qui s'est affichée au pied de la tour Eiffel !

Propos recueillis par Valérie Vidril

(*) Jardin de Taurignan, Fleurs des 7 îles, Barrault, pépinière de Judicarré, Cerdys, Meury fleurs, Vivaces de l'Odon.

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