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« Des liens à tisser entre cosmétique et horticulture »

PATRICE ANDRÉ, ANCIEN DIRECTEUR D'UN LABORATOIRE DE LVMH RECHERCHE, ET AUJOURD'HUI À LA RETRAITE, CONTINUE DE METTRE À PROFIT SON EXPÉRIENCE AU SEIN D'UNE ENTREPRISE QU'IL A CRÉÉE : BOTANICOSM'ÉTHIC. IL EST NOTAMMENT CONSULTANT POUR CHRISTIAN DIOR.

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Que faisiez-vous exactement à LVMH Recherche ?

Lorsque j'étais responsable de laboratoire, à Saint-Jean-de-Braye, près d'Orléans (45), mon objectif était de développer l'innovation en ethnobotanique. Autrement dit, de comprendre ce que les plantes peuvent apporter aux produits cosmétiques. LVMH Recherche mène des travaux sur la biologie de la peau, mais aussi sur l'obtention de nouveaux ingrédients issus de végétaux. Je parcourais donc le monde en quête de plantes aux caractéristiques variées. La base de l'ethnobotanique, c'est avant tout le relationnel.

Quelle relation faites-vous entre cosmétique et horticulture ?

Il est primordial de rapprocher ces deux mondes. Les plantes sont à la base des produits cosmétiques. Dans le vivant, tout est bon, tout a une raison d'être. Au départ, dans les années 1990, nous recevions chaque année de 200 à 250 plantes afin de les étudier. Aujourd'hui, la recherche se concentre autour de 10 à 15. Je suis persuadé qu'il y a des liens à tisser entre l'horticulture et la cosmétique. Même si l'horticulture est ancrée dans la terre et que la cosmétique papillonne dans les nuages, les deux secteurs créent et vendent de la beauté.

Y a-t-il une place pour l'horticulture sur le marché de la cosmétique ?

Le marché de la cosmétique est extrêmement diversifié. Il existe plus de 400 « principes actifs » anti-âge par exemple ! Les marques essayent sans cesse de se différencier et de trouver de nouveaux produits. Il y a un avenir pour l'horticulture dans ce secteur, mais il faudra y aller par petites touches. Cela restera un marché de niche, qui ne va pas prendre la place des cultures traditionnelles, mais qui pourrait apporter un complément aux horticulteurs.

Avez-vous des exemples concrets de producteurs qui travaillent pour la cosmétique ?

Je connais Promoplantes, dans l'Anjou. Cette entreprise, spécialisée dans la culture de plantes médicinales, produit de plus en plus de végétaux pour la cosmétique. Par exemple, chaque année, une parcelle de mauves est semée pour les besoins de la société Christian Dior.

Comment la cosmétique et l'horticulture pourraient-elles se rapprocher ?

Il faut changer de paradigme par rapport aux matières premières. Aujourd'hui, l'horticulture subit une crise sévère. Je ne comprends pas que ce secteur ne soit pas plus soutenu publiquement. Il faut inverser le système : c'est la matière première qui doit être au coeur du procédé et être rémunérée pour cela et non le marketing... Il faut redistribuer la valeur à l'amont. Ce n'est pas simple car l'horticulture s'est fait bouffer par la distribution. Mais nous avons de grands savoir-faire en région Centre-Val de Loire et ailleurs. Il est possible d'inverser la tendance. Les industriels ont tout intérêt à travailler localement, avec une traçabilité irréprochable, plutôt que d'aller chercher les plantes de l'autre côté de la planète. L'Oréal, par exemple, relocalise beaucoup la production de ses matières premières. Après avoir mis en avant pendant trente ans des produits exotiques, on assiste à un retour au made in France.

Maîtrise-t-on les techniques ?

Les horticulteurs maîtrisent de nombreuses techniques de production comme l'aquaponie, l'aéroponie, la production hors-sol... Mais ils cultivent des plantes entières. Pour la cosmétique, ce qui compte, ce sont les principes actifs. Il faut donc adapter ces techniques, mais les outils sont déjà en place. Avec le centre d'expérimentations horticoles de la région Centre (CDHRC), réseau Astredhor, nous testons, depuis deux ans, deux plantes, le Coleus forskohlii et l'Artemisia annua. Cette année, nous avons fait un grand pas en matière de mise au point des modalités de culture. Nous savons désormais cultiver Artemisia annua dans des conditions où la teneur en artémisinine est au maximum. Pour Coleus forskohlii, nous savons maintenant produire de la biomasse racinaire en grande quantité, mais nous souhaitons augmenter encore la concentration en forskoline de ces racines. L'an prochain, nous optimiserons la production de ces molécules en développant des processus innovants de la production à l'extraction.

Peut-on imaginer d'autre partenariat que la production de principe actif ?

Bien sûr, tout reste à créer. Lorsque je travaillais pour LVMH, le service marketing m'a demandé une plante emblématique pour la marque. Je me suis rapproché d'André Eve pour imaginer une rose qui symbolisait une beauté subtile et la longévité. Nous avons travaillé pendant dix ans pour mettre au point une variété avec ces critères, en production biologique, qui apporte des bénéfices pour la peau. Nous avons abouti à la rose « Jardin de Granville® » (N.D.L.R. : ville de la Manche où se situe la maison d'enfance, aujourd'hui musée, de Christian Dior). Des liens sont possibles entre les sélectionneurs et les marques. Autre piste, les sous-produits végétaux. Nous travaillons, toujours avec les établissements André Eve, sur les qualités cosmétiques des tiges et des racines de rosiers. Peut-être que ces sous-produits végétaux, non exploités aujourd'hui, pourront être transformés en produits sophistiqués.

Comment s'y prendre concrètement ?

La première étape est d'entrer en relation avec le secteur de la cosmétique. Il faut que le producteur se remette en question et aille de l'avant. En ces temps de crise, ce n'est pas simple, mais la cosmétique peut être un nouveau débouché intéressant, et ce ne sera pas le seul.

Propos recueillis par Aude Richard

Contacts et informations : jean-marc.delacour@loiret.chambagri.fr ou patrice.andre0@orange.fr

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