Interview « Je fais tout pour changer les mentalités »
Cédric Pollet, photographe botaniste, auteur du livre Jardins d'hiver, publié cet automne 2016.
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Cédric Pollet, photographe botaniste, auteur du livre Jardins d'hiver, publié cet automne 2016.
Vous venez de clore un opus en trois tomes sur les écorces... Est-ce l'oeuvre de votre vie ? Cela en prend le chemin. Ça m'a occupé pendant 17 ans. Disons que désormais, grâce ou à cause de cette trilogie, j'ai une étiquette de spécialiste des écorces. Mais je continue à travailler sur ce sujet qui me passionnera toute ma vie tellement il est immensément riche, diversifié et fascinant. Il y a toujours quelque chose à découvrir tant la littérature horticole et scientifique en la matière est pauvre...
Qu'apporte de plus ce dernier ouvrage par rapport aux deux précédents (*) ? Celui-ci n'a strictement rien à voir avec les deux autres. Chacun traite, certes, du même sujet, mais abordé sous un angle très diffèrent. Le tome I a pour but de vulgariser les écorces auprès d'un large public en faisant le tour du monde des plus belles peaux d'arbres que j'ai pu trouver, tout en apportant quelques informations simples, accessibles et informatives sur chaque arbre pris en photo in situ. Le deuxième reste une approche artistique avec uniquement des photos « macro » d'écorces pour entrer dans la matière, les textures variées, les couleurs surprenantes. Ce troisième tome traite de l'aspect paysage et jardins, les écorces étant les pièces maîtresses de toutes les compositions hivernales. Son but est d'inciter les jardiniers, professionnels ou non, à planter des arbres et arbustes aux écorces multicolores pour illuminer le jardin en hiver, mais pas seulement... C'est un peu un retour aux sources puisqu'ayant fait des études de paysagiste, j'avais envie d'apporter humblement un nouveau regard, un nouveau souffle à cette profession.
Comment un professionnel peut-il « révolutionner » ses pratiques à partir d'un ouvrage sur les écorces comme l'annonce votre éditeur ? Savez-vous si certains ont déjà pu « jouer » sur l'effet artistique que permet une utilisation judicieuse des écorces ? Les rares ouvrages qui traitent de la thématique des jardins d'hiver parlent essentiellement des floraisons, des feuillages automnaux ou persistants, des ports de plante..., mais ne consacrent que deux à trois pages aux écorces. J'ai voulu faire l'inverse. Même pour un professionnel, il deviendra très vite une référence pour qui veut colorer un jardin en hiver, de façon simple, efficace et avec une dimension très contemporaine. Car ce style de jardins, avec une utilisation massive des tiges et des écorces colorées, est très récent.J'apporte un nouveau regard en prenant comme point de repère l'écorce, ce qui n'est quasiment jamais fait car méconnu.Je propose plus de 300 espèces, cultivars et variétés particulièrement attractifs pendant l'hiver. Il y a, bien sûr, quelques floraisons et fructifications incontournables, mais je propose surtout une grande gamme d'écorces, traitées par nuances de couleurs, ce qui facilite ensuite le choix pour les compositions. Les genres Betula, Acer, Cornus ou Salix sont très vastes, on peut vite s'y perdre. J'ai fait une sélection très rigoureuse des meilleurs cultivars, tant au niveau de leurs écorces que de leur feuillage automnal, et de leur facilité de culture...Il y a également tout un chapitre - jamais abordé - à savoir tous les paramètres qui interviennent sur la coloration même des écorces. Sans la connaissance indispensable de tous ces critères, le professionnel, comme l'amateur, peuvent passer complètement à côté de leur sujet. Enfin, dans les légendes des photos, je donne souvent quelques conseils pour réaliser à coup sûr un beau jardin d'hiver. J'ai voulu faire un livre accessible au grand public, donc je reste simple et pédagogique, avec des propos toujours illustrés.C'est encore un peu tôt, mais depuis la sortie de mes premiers livres, je sais que des jardiniers se sont rués sur certaines espèces (Idesia polycarpa, Betula albosinensis ‘Red Panda', Betula gynoterminalis, Syringa pekinensis 'China Snow', Acer negundo ‘Violaceum' et ‘Winter Lightening'...).
Comment avez-vous trouvé et sur quels critères avez-vous choisi les 20 jardins mis à l'honneur ? J'ai commencé mes recherches en 2007, en menant l'enquête auprès des deux principaux jardins d'hiver français (Le Bois Marquis, à Vernioz - 38, et L'Étang de Launay, à Varengeville-sur-Mer - 76) et en consultant beaucoup de magazines horticoles anglais. Au bout de plusieurs années, j'en ai trouvé quelques-uns en France mais la majorité, précisément les plus riches et les plus matures (excepté les deux grands français cités ci-dessus), se situent en Angleterre. Il a fallu les dénicher. En neuf ans, j'en ai découvert et visité près d'une centaine. Je fonctionne beaucoup au ressenti, à l'émotion, au feeling... Mais ce qui a guidé ma sélection, c'est aussi l'aspect historique (les premiers créés) et tout simplement ceux qui sont réussis à mes yeux, que ce soit dans la complexité et la diversité des essences utilisées ou dans la sobriété de la composition. Il fallait aussi montrer diverses approches, différentes associations de plantes pour éviter d'être trop redondant.
Quand l'enthousiasme anglais franchira-t-il the Channel pour inciter des milliers de visiteurs à braver les froidures de l'hiver en France, à l'exemple des winter walks au coeur de jardins particulièrement colorés et odorants ? Je ne suis pas devin mais je fais tout pour changer les mentalités, inciter les gens, dans un premier temps, à réfléchir à cette problématique hivernale. D'ici quelques années, les jardiniers seront peut-être fiers et heureux d'ouvrir leur petit paradis en cette saison si triste et monochrome... Cela prendra toutefois du temps.
Après avoir consacré de nombreuses années aux écorces, quels sont vos projets ? Envisagez-vous de travailler sur d'autres thèmes ou pensez-vous revenir à votre métier initial de paysagiste ? Je souhaite tout d'abord souffler. C'est passionnant mais épuisant d'écrire un livre comme je le conçois. Cela fait plus de quatre années que je n'ai pas voyagé dans des contrées lointaines et exotiques. Je rêve plus que tout de grands espaces, de nature grandiose, de retourner en Australie - comme à mes débuts - pour partir à la découverte des eucalyptus des neiges de Tasmanie (entre autres), un de mes arbres favoris. 2017 sera donc synonyme de voyages : Australie, mais également Afrique du Sud, Namibie et sans doute La Réunion, les Caraïbes ou le Sri Lanka... Je compte poursuivre en tant que photographe botaniste voyageur. Sans oublier ma démarche de sensibilisation pour transmettre ma passion et mes connaissances aux futures générations grâce aux multiples « valises pédagogiques » que je ne cesse d'enrichir un peu plus chaque année pour le plus grand bonheur des petits et des grands enfants...
(*) Écorces, voyage dans l'intimité des arbres du monde, en 2008, et Écorces, galerie d'art à ciel ouvert, en 2011.
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