Adapter la palette végétale au changement climatique : regards croisés
À l'occasion des conférences du pôle « espaces verts et aménagement » qui se sont déroulées dans le cadre du dernier Salon du végétal, à Angers (49), des professionnels de la forêt et du paysage ont échangé leurs points de vue sur l'évolution de la gamme à utiliser alors que le contexte climatique se modifie et devient plus complexe.
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L'une des conférences du pôle « espaces verts et aménagement » de la dernière édition du Salon du végétal, à Angers, animée par le Lien horticole, portait sur le thème : « Quelle palette végétale dans les villes du futur ? » Réchauffement climatique, îlots de chaleur urbains dus à une urbanisation croissante, demande sociale accentuée... Le végétal aura demain un rôle primordial à jouer dans l'aménagement de nos cités. Mais s'il paraît relativement facile d'adapter la palette de plantes à cycle court au fil du temps, en fonction de l'évolution du contexte, il n'en va pas de même pour la trame végétale pérenne. La longueur des cycles de culture et la durée de vie des plantations impliquent une forte anticipation. Quelles espèces proscrire, parce que mal adaptées aux stress hydriques et thermiques qui risquent d'être plus fréquents et plus intenses ? Quels taxons privilégier car a priori capables de s'adapter à des conditions climatiques plus complexes ? Retours sur le point de vue des professionnels de la forêt qui travaillent sur le sujet depuis plus de vingt ans et de celui de la filière paysage qui a entamé la réflexion mais doit accélérer le processus.
Changements climatiques : des faits avérés
C'est un fait désormais acquis, les changements climatiques sont en marche. En France, le réchauffement observé au fil du XXe siècle est de 0,9 degré et l'écart à la moyenne n'a cessé d'être positif depuis 1996. Concernant l'évolution des précipitations depuis 1900, on constate des situations relativement contrastées, avec une hausse de plus de 10 % surtout dans la moitié nord, en automne et en hiver, et une baisse généralisée l'été et très marquée au printemps dans le Sud-Est. À l'horizon 2100, l'un des scénarios les plus plausibles table sur une hausse de la température moyenne de 3,5 à 4 degrés et une baisse du volume des précipitations annuelles de 10 % dans la moitié sud et une augmentation de 5 % dans le quart nord-est. Enfin, il est également prévu une augmentation de l'intensité des vagues de chaleur et de leur durée.
Des conséquences multiples sur la végétation ligneuse
« Les changements climatiques sont susceptibles d'avoir de multiples impacts sur le milieu forestier », explique Philippe Riou-Nivert, ingénieur à l'Institut pour le développement forestier. Les modifications de températures, l'allongement des saisons, les gels précoces ou tardifs peuvent d'abord entraîner des changements dans la phénologie des arbres (date de débourrement, de mise à fruit ou de chutes des feuilles) ainsi qu'un risque de désynchronisation entre espèces interdépendantes (végétaux, insectes, oiseaux). En France, on a constaté que, depuis cinquante ans, le débourrement des arbres survenait 3 jours plus tôt par décennie et le jaunissement des feuilles 1,5 jour plus tard. À noter que, pour 2100, les hypothèses vont dans le sens d'une évolution de la tendance différenciée selon les régions. Avec des hivers plus doux, le risque est de retarder le débourrement, car le froid est nécessaire pour permettre la levée de dormance des bourgeons pour la plupart des espèces, ce qui aurait pour conséquence des anomalies dans la feuillaison et la fructification. Concernant la production, les forestiers ont constaté une augmentation générale de la production durant le XXe siècle, à mettre en relation avec l'allongement du cycle végétatif et l'augmentation de la teneur en CO2 de l'atmosphère. Mais les experts tablent sur une inversion de cette tendance au cours de ce siècle, en particulier dans la moitié sud, du fait des épisodes de sécheresse estivale récurrents. « La question de savoir si cette baisse de croissance sera progressive ou par à-coups n'est pas tranchée, souligne Philippe Riou-Nivert. Sur le plan phytosanitaire, les prévisions vont dans le sens de l'extension de l'aire de certains pathogènes, comme c'est déjà le cas, par exemple, pour la processionnaire du pin qui a étendu son aire de plus de 5 kilomètres par an depuis 1992 ou des agents pathogènes, comme l'encre et l'oïdium du chêne, le Sphaeropsis du pin, la maladie des bandes rouges des pins. Quant aux simulations réalisées pour la période 2040-2060 portant sur l'évolution de la sensibilité des forêts aux incendies, elles font état d'une forte progression : alors que les zones les plus critiques sont concentrées sur l'extrême sud de la France, elles s'étendent pour toucher un grand quart nord-ouest (hormis la Bretagne et la zone littorale nord). Enfin, les changements climatiques vont influencer l'aire de répartition potentielle des espèces. On imagine une forte progression des espèces de la moitié ouest et des espèces méditerranéennes avec cependant une vitesse de colonisation nettement moins rapide que l'évolution du climat (100 fois moins pour le chêne vert par exemple). Cette progression se fera au détriment des espèces de l'étage collinéen et surtout des espèces communes en montagne et très présentes en plaine dans la moitié nord comme le hêtre, l'érable sycomore ou encore le pin sylvestre. »
Pour la végétation d'ornement, les constats sont assez similaires, explique Jac Boutaud, technicien en charge du patrimoine arboré de la ville de Tours (37), propriétaire de l'Arboretum de la Petite Loiterie, à Monthodon (37), et formateur. « L'évolution du climat est plus rapide que la capacité d'évolution de toutes les espèces, ornementales comme forestières. » Avec une fréquence accrue d'événements climatiques extrêmes (tempêtes, gels intenses, coups de chaud, sécheresses...), la gamme végétale adaptée est plutôt en diminution qu'en expansion. La question de la pluviométrie est particulièrement prégnante en milieu urbain, car les sols sont généralement séchants. Les décalages dans la phénologie peuvent entraîner des dégâts sur les fleurs et les fruits, qui constituent souvent les atouts esthétiques des espèces ornementales.
Gérer dans l'incertain, le défi permanent des forestiers
« En forêt, on plante pour un horizon allant de cinquante à cent ans. De ce fait, le plus grand défi pour les forestiers a toujours été de gérer dans un contexte incertain », a tenu à rappeler Philippe Riou-Nivert. La multiplicité des scénarios climatiques, l'incertitude sur le niveau d'adaptabilité des espèces et le déséquilibre des écosystèmes rendent toutefois les choses plus complexes. Les spécialistes imaginent une évolution progressive du climat ponctuée de graves crises.
Pour les forestiers, trois types de stratégies sont envisageables, en fonction de la perception et des objectifs de chacun : faire confiance à l'adaptabilité naturelle, intervenir modérément ou intervenir activement. Avec la première option, on part du principe que la diversité génétique des espèces permettra leur adaptation et que leur plasticité favorisera l'acclimatation. Avec une densité de plantation et une biodiversité élevées, une gestion avec de longues révolutions serait opportune. Mais, elle présente des inconvénients : plasticité des espèces limitée, migration naturelle lente, risques liés aux plantations denses en cas de sécheresse ou de vent. Dans une stratégie d'intervention modérée, il s'agit de tendre vers une migration « assistée », en proposant des enrichissements par plantations associées à la régénération naturelle, avec une gestion en futaie régulière claire ou en futaie irrégulière et une longue révolution. Une approche qui nécessite une grande technicité et n'est envisageable que pour des peuplements de qualité et dans leur station, avec des essences adaptées sur un horizon de cinquante ans. La troisième option consisterait à intervenir de façon active en développant l'utilisation d'espèces résistantes à la sécheresse avec un recours aux espèces exotiques et un travail d'amélioration génétique, une gestion en courte révolution de plantations monospécifiques de type « industriel ». Les risques de cette stratégie portent sur la difficulté du choix des espèces, la sensibilité aux aléas, la perte de biodiversité, la fréquence des renouvellements et la dégradation des sols.
Aucune solution n'est « LA » meilleure, car le choix d'une stratégie appropriée doit tenir compte de nombreux paramètres et notamment des contraintes économiques et socio-environnementales qui conditionnent la gestion courante. Ce choix doit être fondé sur un diagnostic approfondi permettant de connaître et de comprendre la station (climat, sol, topographie), le peuplement(composition, âge, structure), le contexte socio-économique (marchés, moyens, contraintes sociales et environnementales). Cette première étape permet ensuite de proposer un classement des peuplements, de définir des objectifs de gestion avec la plus grande variété possible pour le propriétaire et des itinéraires de cultures adaptés. Les moyens d'agir existent malgré les incertitudes, en s'appuyant sur les expériences passées, en privilégiant la diversité, la souplesse, la réversibilité, les compromis. Afin de progresser ensemble, les forestiers et les chercheurs ont créé un réseau mixte technologique baptisé Aforce pour l'adaptation des forêts au changement climatique.
Quelles orientations choisir pour la gamme des ligneux d'ornement ?
Face aux difficultés pressenties pour certaines espèces, il est opportun de se reporter sur des essences du même genre, mais a priori mieux adaptées. « Par exemple, plutôt que d'utiliser Acer pseudoplatanus, sensible à la maladie de la suie après des étés chauds ou A. platanoides, exigeant en humidité atmosphérique, on peut s'orienter vers A. campestre, A. cappadocicum, A. monspessulanum et A. opalus. Pour les chênes, on peut sélectionner Quercus cerris, Q. ilex, Q. petraea ou Q. pubescens plutôt que Q. pedunculata qui supporte mal la sécheresse. Chez les sorbiers, choisir Sorbus domestica ou torminalis plutôt que S. aucuparia, mal adapté aux conditions atmosphériques sèches. Lorsque le choix n'est pas possible dans le même genre, on peut aller chercher du côté des "cousins'', souligne Jac Boutaud. Par exemple, retenir Ostrya carpinifolia ou Melia azedarach (en sol bien drainé) pour se substituer au charme commun. Nous devrions aller explorer de façon plus systématique les arboretums et les pépinières qui se trouvent dans des régions soumises à des températures basses pour sélectionner, parmi les vieux sujets, les essences réputées résistantes à la sécheresse et à la chaleur qui y prospèrent correctement. Ainsi, on disposerait de ligneux adaptés au réchauffement climatique mais capables de supporter des épisodes de froid qui ne manqueront pas de survenir. Autre piste de travail, diversifier les origines génétiques d'une même espèce dans les plantations pour disposer du meilleur potentiel adaptatif, ce qui implique de préférer, chaque fois que cela est possible, les plants issus de semis. Enfin, pour les essences exotiques, il serait bon de sélectionner les origines géographiques les plus adaptées lorsque celles-ci ont une aire de répartition très large, comme c'est le cas pour Fraxinus americana. C'est une démarche adoptée depuis fort longtemps par les forestiers y compris pour les essences indigènes. » Jac Boutaud plaide également en faveur de plantations plurispécifiques et d'essences indigènes chaque fois que la possibilité se présente et d'une sélection de variétés horticoles prenant plus en compte des critères de bonne résistance climatique et mécanique. La diversification de la palette végétale d'ornement en adéquation à la fois avec le contexte climatique et avec les critères de développement de villes durables plaide aussi en faveur d'essences arborescentes et arbustives de petites et moyennes dimensions.
Yaël Haddad
Pour en savoir plus : - www.reseau-aforce.fr - www.lapetiteloiterie.fr - ww.arbres-caue77.org (133 fiches sur les arbres de petit développement).
Acer monspessulanum
Il est capable de remplacer Acer pseudoplatanus, sensible à la maladie de la suie après des étés chauds. PHOTO : JAC BOUTAUD
Quercus ilex
On peut le retenir de préférence à Quercus pedunculata, qui supporte mal la sécheresse. PHOTO : YAËL HADDAD
Sorbus torminalis
Il doit être préféré à Sorbus aucuparia, mal adapté aux conditions atmosphériques sèches. PHOTO : JAC BOUTAUD
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