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Îlots de chaleur urbains : le végétal à la rescousse

Le parc aux Angéliques, principal aménagement paysager en cours à Bordeaux (33), représentera à terme 40 hectares de parc en bord de Garonne, en rive droite, en lieu et place de friches industrielles, et viendra irriguer de verdure les futurs quartiers Bastide-Niel et Bastide-Brazza.PHOTO : MAIRIE DE BORDEAUX, THOMAS SANSON

La fonction du végétal en ville dépasse le cadre de l'ornement. Avec le réchauffement climatique, les collectivités devront tenir compte de son rôle essentiel dans la climatisation urbaine. Illustration à travers le travail mené par la métropole de Bordeaux (33).

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Mérignac (33) a organisé début novembre, avec Plante & Cité, Hortis et l'Agence régionale pour la biodiversité en Aquitaine, un atelier régional « Nature en ville et changements climatiques ». Parmi les intervenants, Éric Pesme, chef du service Expertise, biodiversité et génie écologique à la Direction des espaces verts de Bordeaux Métropole (33), et Marie Bonnelli, chef de projet Énergie à Mérignac, ont détaillé les enjeux des îlots de chaleur urbains (ICU) et le rôle climatiseur de la végétation.

1 DES ÎLOTS PAS TRÈS PARADISIAQUES. Les îlots de chaleur urbains (ICU) sont des microclimats artificiels qui se caractérisent par une élévation localisée des températures par rapport aux zones voisines (campagne, forêt...). Ces ICU - jusqu'à une dizaine de degrés plus chauds - sont principalement induits par la nature des matériaux de construction, l'architecture (largeur de rues, hauteur et forme des bâtiments...) et la concentration des activités humaines.

Avec le réchauffement climatique et un tissu urbain de plus en plus dense, ce phénomène tend à s'aggraver. Or, s'ils permettent d'atténuer le froid en hiver, ces îlots accentuent les impacts négatifs sanitaires et économiques de la pollution atmosphérique et des canicules (allergies, problèmes respiratoires et cardiovasculaires, consommation d'énergie...). Outre de nouvelles politiques d'urbanisme, une solution de lutte passe par la végétalisation.

2 UNE PROBLÉMATIQUE D'URBANISME ET DE VÉGÉTATION. Les villes bétonnées et goudronnées présentent des surfaces sombres qui se réchauffent rapidement au soleil, car elles absorbent l'énergie solaire et la restituent sous forme de rayonnement infrarouge qui réchauffe l'air. C'est pourquoi les aménagements doivent préférer des surfaces blanches ou claires et des matériaux réfléchissants, de manière à augmenter l'albédo (*) urbain. Les immeubles, par leur hauteur ou leur disposition, peuvent constituer des pièges radiatifs ou empêcher l'air de circuler et de rafraîchir un quartier. Par ailleurs, « la dynamique du climat est étroitement liée à la quantité d'eau dans l'atmosphère », rappelle Éric Pesme. « Or les équilibres hydriques sont modifiés dans le tissu urbain, par l'imperméabilisation et le ratio entre espaces minéraux et espaces couverts de végétation. » Quand plus de 60 % de l'eau s'évapore par évapotranspiration en zone naturelle, ce taux passe sous les 15 % en ville, avec une majorité de ruissellement. Selon l'occupation du sol (routes, parc, lac...), l'albédo, le relief et l'exposition des bâtiments, des écarts importants de température peuvent donc être relevés, à un même moment.

3 LE RÔLE BÉNÉFIQUE DE L'EAU ET DES PLANTES. La végétation joue un rôle de régulateur thermique important. Plus que l'ombre portée, c'est l'évapotranspiration qui rafraîchit l'air, la conversion de l'eau en vapeur d'eau consommant de l'énergie (chaleur prise à l'air ambiant). L'effet climatiseur vaut tant que la flore ne manque pas d'eau ! En plus d'une utilisation par les plantes, la présence d'eau permet d'humidifier l'air et a un impact « psychologique », sa vue induisant une sensation de fraîcheur. La gestion de l'eau pluviale fera appel aux noues paysagères, bassins d'orage, mares, zones humides, et aux toitures et terrasses végétalisées qui peuvent réévaporer l'eau et renforcent l'isolation thermique des bâtiments.

4 LA VILLE DE BORDEAUX SE PENCHE SUR SES ICU. Dans le cadre de sa participation au programme européen Adaptaclimat II (2013-2014), Bordeaux a étudié l'impact du réchauffement climatique. « D'ici 2070-2100, le climat bordelais équivaudra à celui de Rome, souligne Éric Pesme. L'été 2003 caniculaire pourrait se renouveler une année sur trois à l'horizon 2050. » La Ville de Bordeaux (puis la métropole) a réalisé une cartographie de ses ICU selon différentes méthodes : températures de surface par exploitation des données Landsat - précision 30 m, suffisante (**) -, images thermiques aériennes (précision 2 m), enregistreurs thermiques et hygrométriques fixes ou embarqués. Les résultats montrent que des excès d'énergie accumulée dans les ICU peuvent multiplier par 10, voire 100, le nombre d'heures au-dessus de 30 °C par rapport à une zone végétalisée. La mise en route des climatiseurs accentue l'élévation de la température dans l'espace public.

5 AUGMENTER LA RÉSILIENCE DE LA VILLE. La métropole bordelaise a étudié les solutions pour atténuer le réchauffement et abaisser les températures. Elles passent par l'optimisation de l'effet albédo (couleur claire des revêtements des espaces publics et des toitures, rugosité des matériaux qui accroît leur émissivité), la disponibilité des ressources en eau et la végétalisation - alignements, corridors verts, trame d'IFU (îlots de fraîcheur urbains...) : « Du clair, de l'eau, des végétaux », résume Éric Pesme.

La disponibilité en eau pour le maillage des îlots de fraîcheur nécessite de trouver des solutions locales d'approvisionnement pour ne pas gaspiller l'eau potable : eaux des réseaux de chaleur, des stations d'épuration, eaux d'exhaure des parkings souterrains... La mise en place de noues et l'infiltration des eaux de pluie par des sols perméables permettent de réduire à zéro le débit de fuite et de retarder les périodes à faible disponibilité. La métropole poursuit les aménagements qui favorisent le retour de la végétation : « À Bordeaux, depuis 2001, 67 hectares d'espaces verts ont été créés, 48 ha réhabilités et 14 000 arbres plantés. L'arbre est le principal contributeur dans la lutte contre les îlots de chaleur. » Les techniques de plantation et le choix des essences visent à favoriser une conception durable. « En France, l'espérance de vie d'un arbre en milieu urbain est de 46 ans en moyenne. Or, pour qu'un sujet évapotranspire bien, il doit être en bonne santé. À Bordeaux, quatre genres (platane, tilleul, frêne, marronnier), dont trois sont menacés par un ravageur émergent, composent 50 % des plantations. Il faut diversifier les essences. » Côté entretien, « le coût cumulé sur cinquante ans d'un alignement mené en rideau atteint 200 000 euros, contre 25 000 euros pour une conduite en port libre avec un espacement des arbres de 14 m. »

Valérie Vidril

(*) L'albédo mesure la capacité d'une surface à renvoyer l'énergie solaire : 0 correspond à une surface noire qui absorbe la totalité de l'énergie incidente et 1 à une surface renvoyant la totalité de l'énergie incidente. (**) L'exploitation des images Landsat suffit pour établir la carte des îlots de chaleur et de fraîcheur. Le recalage en température ressentie est réalisé à partir des sondes embarquées.

Le parc aux Angéliques, principal aménagement paysager en cours à Bordeaux (33), représentera à terme 40 hectares de parc en bord de Garonne, en rive droite, en lieu et place de friches industrielles, et viendra irriguer de verdure les futurs quartiers Bastide-Niel et Bastide-Brazza.

PHOTO : MAIRIE DE BORDEAUX, THOMAS SANSON

Proposition d'aménagement dans le cadre de l'étude des îlots de chaleur urbains à Wuhan, en Chine, par le bureau d'études Atelier Colin et Poli Paysages (33) : allier l'ombre des infrastructures, les végétaux et l'eau pour proposer un îlot de fraîcheur aux habitants. Le parc et le lac de Shahu à Wuhan sont traversés par une voie de circulation automobile suspendue. Cet aménagement crée des délaissés sous le pont. Or, l'ombre qu'il produit est une opportunité pour proposer un espace frais aux habitants.

PHOTO : ATELIER COLIN ET POLI PAYSAGES

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