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Interview « Un bras de fer commence entre les vrais producteurs et les négociants »

Michel Le Borgne, gérant des pépinières Drappier (59) et animateur du pôle paysage de la FNPHP et Président délégué à la Pépinière de la FNPHP Michel Le Borgne, gérant des pépinières Drappier (59) et animateur du pôle paysage de la FNPHP et Président délégué à la Pépinière de la FNPHP

Michel Le Borgne, gérant des pépinières Drappier (59) et animateur du pôle paysage de la FNPHP et Président délégué à la Pépinière de la FNPHP

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Michel Le Borgne, gérant des pépinières Drappier (59) et animateur du pôle paysage de la FNPHP et Président délégué à la Pépinière de la FNPHP

Lors du dernier congrès de la FNPHP (notre édition web du 29 juin 2017), Michel Le Borgne a présenté le travail du Pôle paysage de la FNPHP et l'a replacé dans le contexte actuel, égratignant au passage les critiques formulées à l'égard de sa profession dans une interview publiée récemment dans nos colonnes (le Lien horticole n° 1013 du 3 mai 2017). Explications...

Vous avez défendu la vision d'une pépinière qui innove, et pas seulement au niveau technique et économique. Que voulez-vous dire ? Modifier le climat des échanges dans la filière paysage devient urgent. Qu'il s'agisse de la démarche commerciale ou de la mise en oeuvre des nouvelles règles des marchés publics, les pépinières FNPHP innovent tous les jours et sont force de propositions. Reste à innover en matière de négociation commerciale pure, nécessité absolue pour retrouver des marges et sanctuariser de nouveau le rapport qualité-prix. Un grand pas a été franchi quand les producteurs ont décidé de créer Végéstock pour publier en permanence un stock « commun ». Le sourcing par les donneurs d'ordres est désormais possible et les intentions des acheteurs seront plus transparentes. La contribution importante des producteurs à Végébase-Floriscope signe une volonté d'informer les concepteurs sur le possible et le disponible...

L'un de vos objectifs est de faire savoir qui est producteur et qui ne l'est pas. Comment y parvenir ? La fourniture des marchés du paysage est théoriquement hyper-bordée par les descriptifs et les justificatifs des appels d'offres. Il apparaît que le client public et parfois privé tient à acheter les plantes à un pépiniériste producteur. De plus, le décret de mars 2016 et la jurisprudence poussent l'acheteur public à s'informer sur les disponibilités locales, à acheter « régional », à allotir ses marchés, à favoriser la transparence chez ses fournisseurs (groupements, sous-traitants...). Un véritable bras de fer commence entre les vrais producteurs qui font du négoce pour livrer la totalité des commandes et les négociants non propriétaires d'entreprises de production. Si on continue à accepter que ces commerçants se drapent du titre de « pépiniériste », une « lactalisation » du métier est en marche.

Vous avez dit vouloir profiter de la mode du « local », elle n'est pas encore perceptible ? Fort heureusement, si ! En France comme nulle part en Europe, les contraintes des appels d'offres sont draconiennes, théoriquement ! Le déclaratif suffit en général à y répondre. La réalité de l'exécution des marchés s'en éloigne souvent radicalement. Le désir des élus, des commissions d'attribution et de nombreux responsables techniques va vers l'approvisionnement local. C'est la raison pour laquelle les producteurs régionaux sont souvent déclarés comme fournisseurs retenus, qu'ils apportent moult fiches techniques et photos. Ils servent de faire-valoir à la notation des dossiers, à favoriser l'attribution, mais ce sont ensuite des négociants (belges), affublés du titre de « pépiniériste », qui livrent. Pour que le « local » soit une réalité, la maîtrise d'oeuvre doit être puissante et compétente. Il faut accepter de mieux la rémunérer !

Vous avez dit avoir fait pour une enseigne un book des producteurs assorti de conseils... Si les collectivités territoriales se laissent parfois berner par leurs fournisseurs malgré leur connaissance théorique de la filière, les investisseurs privés (immobilier commercial ou d'habitat) ne sont pas du métier et ne font pas toujours appel aux bonnes maîtrises d'oeuvre (VRD - voirie réseaux divers) pour y pallier. Soit ils se comportent comme des « acheteurs » et la déception est au bout du chemin. Soit ils suivent une voie plus qualitative (paysagiste concepteur, maîtrise d'oeuvre, entreprise qualifiée, fournisseurs agréés...) pour sécuriser l'implantation de ce qu'ils considèrent de plus en plus comme un investissement, l'écrin paysager de leur investissement. La FNPHP a donc répondu à une demande d'un grand de l'immobilier commercial pour éclairer sa stratégie, décrire les pratiques et mettre en avant les producteurs qui font vivre le pôle paysage de la FNPHP.

Chaque année vous réunissez la filière pour réfléchir sur la palette végétale (le Lien horticole n° 1001 du 1er février 2017). Un prochain rendez-vous est prévu en janvier 2018. Qu'apporte ce travail ? Les producteurs ont besoin de visibilité pour éclairer leurs choix. Ce qui les différencie des commerçants purs, c'est la prise de risque que constitue l'investissement dans une liste de plantes et dans un mode de culture. La production pour le paysage n'obéit pas aux règles du théâtre classique : pas d'unité de temps, de lieu et d'action. Se rencontrer régulièrement pour échanger permet d'informer sur les disponibilités, les maladies, les techniques. Ce rendez-vous sert aussi à harmoniser les concepts (« plante locale », invasivité potentielle...) et à anticiper l'inflexion des tendances (statut génétique, formes...). La presse est invitée et le Lien horticole s'est fait l'écho avec beaucoup de justesse de notre dernier débat. La FNPHP veut tout mettre en oeuvre pour que cette négociation avec les collectivités et les concepteurs, notamment, ait lieu très en amont.

Quel est le « paysage » actuel des pépinières tournées vers les espaces verts ? La première réponse qui vient à l'esprit est que la production de pleine terre est en voie de paupérisation partout en Europe. Il est probable que ses fragilités, en grande partie dues à la contraction du marché et aux pratiques de prédateurs de ses clients, feront la force des rescapés dans peu de temps, justement parce que la pépinière ne répond pas aux règles des marchés « classiques ». Le stock européen s'épuise, vieillit mal et fera bientôt défaut. La seconde réponse concerne les lieux de production. Pour des raisons évidentes de « développement durable » et de culture, les lieux d'approvisionnement se rapprocheront géographiquement des lieux de plantation, qui vont évoluer vers plus de hors-sol (unité de temps), plus de services (unité de lieu), plus de conseils (unité d'action).On estime qu'en moins de dix ans la moitié des producteurs a disparu. Les pépiniéristes producteurs qui demeurent ont une carte à jouer s'ils sont enfin considérés et respectés. C'est au moins 50 % de parts de marché national qu'il faut reconquérir chez les négociants non producteurs. La solidarité territoriale dans la filière paysage est-elle prête à se mettre en action ? Ce serait une vraie innovation collective et l'amorce d'une véritable reconstruction de la production en France.

Propos recueillis par Pascal Fayolle

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