Le phellin des arbres fruitiers indissociable des vieux pruniers

1 PORTRAIT DU CHAMPIGNON

Le phellin des arbres fruitiers (Phellinus tuberculosus) colonise essentiellement les pruniers. Dans les vergers, il infecte fréquemment les vieux amandiers ou pruniers à fruits. Chez les Prunus d'ornement, son hôte de prédilection est Prunus cerasifera 'Atropurpurea' (syn. 'Pissardii'). Les pruneliers ou « épines noires » et les aubépines qui poussent spontanément dans les haies champêtres l'hébergent également fréquemment. Il est cité sur des oliviers, des noisetiers, des poiriers et des pommiers. Pour des sporophores développés sur les aubépines, certains auteurs évoquent la variété crataegi.

Répartition géographique : le phellin des arbres fruitiers est présent dans toute l'Europe, ainsi qu'en Amérique du Nord, en Asie et en Afrique.

Description de la fructification : sa forme est très variable ; le chapeau peut être dimidié et bien individualisé, en « sabot de cheval », résupiné tapissant étroitement le support ou plus communément semipiléé (1). Il est systématiquement dépourvu de pied et souvent mal formé. Parfois il est arrondi, noduleux. Autour des carpophores, un duvet cotonneux peut se développer ; il s'agit d'un tissage réalisé par des insectes mycophages. La fructification est pérenne et sa taille toujours assez réduite : 3 à 10 cm de diamètre pour une projection de 3 à 6 cm.

Lorsqu'une console se forme au fil des années, la surface piléique est constituée de gros bourrelets zonés. Elle est lisse, grisâtre et mate. Elle se craquelle et devient noire charbonneuse chez les vieux spécimens. Dans sa forme étalée-réfléchie, la face supérieure du chapeau est très réduite et lisse ; de couleur gris sombre, elle prend parfois une teinte verte en raison de la présence d'algues. La marge est obtuse et bien nette, elle forme un bourrelet de couleur cannelle à grisâtre. La face inférieure comporte des pores minuscules (4 à 5 par mm) et arrondis. Elle est de couleur cannelle-rouille en période d'activité puis grise en vieillissant. Lorsque des consoles se développent, la face inférieure est décurrente (2). La sporée émise est blanche. Les tubes sont stratifiés de 2 à 3 mm de long et difficiles à distinguer. La trame est subéreuse, très coriace, de couleur brun rouille clair.

Confusions possibles : lorsqu'il se développe en forme de console, le phellin des arbres fruitiers peut être facilement confondu avec un autre phellin : Phellinus ignarius communément appelé le faux amadouvier. Mais ce dernier est en général bien plus gros (trois fois supérieur), son chapeau apparaît plus sombre et sa trame est de couleur rouille foncé. Sous sa forme résupinée, Phellinus tuberculosus peut être facilement confondu avec le phellin tacheté (Phellinus punctatus). Ses fructifications sont cependant plus fines et aucune ébauche de marge ne s'observe.

Période de fructification : les chapeaux sont vivaces et donc visibles toute l'année.

2 CONSÉQUENCES POUR LES ARBRES

Le phellin des arbres fruitiers colonise exclusivement la partie épigée des Prunus. Il s'installe à la faveur de blessures de taille ou de plaies naturelles (fissuration du bois au niveau des fourches, brûlure des écorces ou « coup de soleil »). Dans de nombreux alignements urbains, il infecte fortement les pruniers de Pissard conduits en gobelet en raison des tailles répétées qu'ils subissent et des blessures liées au choc des véhicules sur leurs troncs.

Dégradation du bois : ce champignon provoque une pourriture blanche fibreuse ; le bois atteint est fréquemment parcouru par des traînées brunes, noirâtres.

Activité lignivore : le phellin des arbres fruitiers est réputé assez actif. In vitro, il peut provoquer des pertes de masse de l'ordre de 30 % en trois mois sur des échantillons de merisier. Dans un arbre vivant, sa progression dans le bois est plus lente ; il est généralement bien compartimenté dans les tissus internes. Par contre, sur des sujets âgés, il semble pouvoir s'étendre à l'aubier périphérique encore vivant et permettre ainsi le dépérissement progressif des branches colonisées.

3 DIAGNOSTIC ET RECOMMANDATIONS

La présence de Phellinus tuberculosus se détecte sans grandes difficultés sur un arbre, notamment pendant la période hivernale. Le champignon fructifie facilement et souvent, plusieurs carpophores sont présents. Il se développe aisément au niveau des enfourchements, sur d'anciens chicots ou au revers de grosses branches mortes. De par leur caractère vivace, les chapeaux persistent sur leur support et sont visibles toute l'année.

Décision : sur des arbres âgés, la dégradation du bois interne est souvent importante ; les axes infectés sont alors fragilisés en cas de surcharge ou de contrainte exceptionnelle. Dans des vieux vergers de pruniers, il n'est pas rare de voir des branches colonisées par le champignon se rompre en été sous le poids des fruits. Les cas de rupture sur les arbres d'ornement sont assez peu fréquents et ne concernent généralement que des axes de dimension modérée qui de surcroît chutent d'une faible hauteur. Ainsi, ce champignon n'inquiète guère les gestionnaires ou les propriétaires d'arbres. Pour se prononcer sur la dangerosité réelle d'un sujet, l'importance de la pourriture interne doit être quantifiée (mesures effectuées à l'aide d'un pénétromètre par exemple). Souvent, des tailles destinées à maintenir le houppier dans un faible volume (réduction régulière de la couronne) suffisent pour conserver l'arbre dans des conditions acceptables de sécurité.

Pierre Aversenq

(1) Se dit d'un chapeau souvent de taille réduite qui descend le long du support. (2) Lorsque la surface porée se prolonge sur le support.