Quel est votre diagnostic ? C'est le tigre asiatique du Pieris
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DÉTECTION
La texture très nervurée des ailes, dite réticulée, et les pièces buccales de type piqueur-suceur de l'insecte observé sur les Pieris, caractérise une punaise phytophage de la famille des tingidés et de l'ordre des hémiptères. L'espèce la plus nuisible à l'Andromède du Japon est le tigre asiatique du Pieris (Stephanitis takeyai) Drake & Maa, 1955. Ce ravageur a été détecté pour la première fois en France en septembre 2003 dans une pépinière du Maine-et-Loire par le service régional chargé de la protection des végétaux des Pays de la Loire, tandis que son signalement dans une publication entomologique française date de 2004. Le tigre du Pieris a été ensuite mis en évidence dans des pépinières, ainsi qu'en jardins et espaces verts d'autres régions (Bretagne, Basse-Normandie, Île-de-France, Aquitaine...). Hormis Pieris japonica, son hôte de prédilection, Stephanitis takeyai infeste des plantes appartenant à la même famille des éricacées (Azalea, Leucothoe, Lyonia, Rhododendron), de même que des lauracées (Cinnamomum, Lindera), salicacées (Salix) et styracacées (Styrax). Sa distribution géographique mondiale est actuellement localisée aux pays suivants : Japon (aire d'origine, première description en 1905), Inde, États-Unis d'Amérique (nord-est), Canada (Colombie-Britannique), Europe (Pays-Bas 1994, Royaume-Uni 1998, Pologne 1998, Italie 2000, Allemagne 2002, Belgique 2003, France 2003, Hongrie 2011). À la suite de son émergence en Europe et à cause de son impact économique potentiel sur l'Andromède du Japon, Stephanitis takeyai a été inscrit sur la liste d'alerte de l'OEPP (*) de 1998 à 2004. Une fois reconnu endémique dans plusieurs pays européens, il a été retiré de cette liste. Cet insecte n'en demeure pas moins un ravageur important de Pieris japonica et d'autres plantes de grande valeur ornementale. En France, sa fréquence de détection en pépinières est faible à moyenne selon les situations, mais ponctuellement, ses attaques sont souvent fortes et graves. Les Pieris atteints deviennent impropres à la vente. Les sujets les plus attaqués encourent des mortalités de rameaux et peuvent même dépérir en totalité. Compte tenu de la nuisibilité potentielle du tigre, qui plus est sur des végétaux à feuillage persistant, une surveillance visuelle régulière s'impose de mai à novembre (parfois au-delà en zones géoclimatiques et/ou milieux de culture favorables) pour détecter au plus tôt les premiers foyers d'infestation. Sans attendre l'apparition de marbrures blanc jaunâtre sur la face supérieure des feuilles, il est utile de scruter chaque semaine le revers du limbe pour vérifier la présence éventuelle des petites punaises. L'utilisation d'une loupe de poche de grossissement x 10 facilite l'observation. Comme tous les tingidés, Stephanitis takeyai a des moeurs grégaires. Il vit en colonies denses au-dessous des feuilles où il se nourrit, tant à l'état adulte que larvaire. Ses piqûres d'alimentation, de type opophage, se traduisent par des ponctions intracellulaires du liquide contenu dans les cellules végétales. Elles entraînent des décolorations et des dépigmentations rapides du feuillage. Les taches foliaires associées aux exuvies blanches et à des crottes noires parsemées au milieu des oeufs, sont typiques de l'activité du tigre. Ce contexte favorise le développement de la fumagine au détriment de la photosynthèse.
CONFUSIONS POSSIBLES
Lorsqu'on détecte Stephanitis takeyai sur Pieris japonica, un risque de confusion est peu probable. En revanche, quand le diagnostic porte sur une azalée ou un rhododendron, une méprise est possible avec le tigre du rhododendron (Stephanitisrhododendri). Cette autre punaise de la famille des tingidés, probablement originaire d'Amérique du Nord, mesure 4 mm de long et ne connaît, contrairement à Stephanitis takeyai, qu'une seule génération par an. Cet insecte ne vole pas, bien que muni d'ailes bien développées, veinées de réticulations de couleur crème. Il hiverne au stade oeuf, pondu à la face inférieure d'une feuille, le long de la nervure centrale. La larve, jaunâtre, est ornée d'épines brunes. Une autre espèce voisine, le tigre de l'azalée (Stephanitis pyrioides), parasite de préférence les azalées à feuillage persistant, mais également les cultivars à feuilles caduques, ainsi que les rhododendrons et Kalmia latifolia. Dans de nombreux pays, cet insecte est considéré comme le ravageur le plus nuisible de l'azalée, depuis sa première description au Japon en 1874. L'adulte mesure de 2,8 mm à 3,3 mm. Il produit jusqu'à quatre générations par an.
En cas de doute sur l'espèce de tigre observée, il est judicieux de recourir à une détermination spécifique auprès d'un laboratoire d'entomologie. L'identification se fait sur un échantillon de spécimens adultes mâles. Les prélever à l'aide d'un pinceau ; les placer dans un ou plusieurs tubes rigides contenant de l'alcool éthylique à 70 % rempli au maximum ; les expédier dès que possible (moins de deux semaines après le prélèvement).
TRANSMISSION ET DÉVELOPPEMENT
Stephanitis takeyai est présent en pépinières, jardins et espaces verts. Il peut donc vivre en plein air ou sous abri. En l'absence de mesures de lutte, on le retrouve d'une année sur l'autre sur la même plante hôte. Ce tigre effectue un à quatre, voire cinq générations par an. L'hivernation a lieu sous forme d'oeufs pondus de façon éparpillée à la face inférieure des feuilles. Ils sont tolérants au froid. En revanche, les oeufs d'été sont déposés en général à proximité de la nervure médiane. Le tigre adulte apparaît d'ordinaire en mai-juin. Il a un pronotum arrondi caractéristique. Son thorax présente des expansions foliacées du pronotum et ses hémélytres sont ornées de réticulations semblables à de la dentelle. C'est la raison pour laquelle, comme tous les tigres, il est parfois nommé « punaise dentellière ». Malgré ses ailes translucides tachées de noir, Stephanitis takeyai ne vole qu'en de rares occasions. Les femelles peuvent pondre plus de 350 oeufs dans les tissus foliaires et les dissimulent par leurs excréments. L'oeuf mesure environ 0,5 mm. Le stade larvaire se déroule en cinq étapes et chaque mue donne lieu à une production d'exuvies. Le cycle de développement complet de l'insecte (de l'oeuf à l'adulte) dure environ 23 jours à 25 °C. Les larves et adultes piquent les tissus foliaires avec leur stylet buccal, injectent une substance qui digère la cellule végétale et sucent ensuite les sucs digérés pour s'en nourrir. En cas de fortes infestations, les feuilles parasitées se décolorent fortement, se dessèchent, puis tombent. Les situations très ensoleillées qui provoquent un déficit hydrique de la plante hôte, accentuent l'intensité des dégâts. À Kyoto, au Japon, en 1990-1991, des entomologistes ont constaté une alternance saisonnière de Stephanitis takeyai entre ses deux principales plantes hôtes. Le tigre colonisait Pieris japonica au cours de l'hiver et Lyonia elliptica durant l'été. Mais lorsque Lyonia elliptica était rare, comme dans le parc public de la ville Nara, situé au pied du mont Wakakusa, la punaise vivait uniquement sur Pieris japonica, bien que Lyonia elliptica soit une ressource alimentaire de meilleure qualité pour l'insecte. Cette affirmation a été démontrée grâce à une comparaison de la longévité et de la fécondité des adultes.
(*) Organisation européenne et méditerranéenne de protection des plantes.
Par Jérôme Jullien, expert horticole
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