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Interview Philippe Peiger (Ferme de Jade)

« On peut faire des toitures avec des produits bons pour l'environnement »

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« On peut faire des toitures avec des produits bons pour l'environnement »

Philippe Peiger dirige la Ferme de Jade, entreprise du paysage qui conçoit et installe des toitures végétalisées, et produit des substrats et des plantes. Avec Nathalie Baumann, écologue urbaine travaillant en Suisse, il a écrit « Végétalisation biodiverse et biosolaire des toitures » (éditions Eyrolles, voir Lien horticole n° 1066 du 11 juillet 2018).

Quelle est la particularité de votre ouvrage par rapport à tout ce qui existe déjà sur ce sujet ? Avant d'écrire le livre, nous avions regardé ce qui se produisait en termes d'écrits sur les toitures végétalisées biodiverses et biosolaires, et nous avons constaté qu'il n'existe rien sur le sujet. Rien par exemple sur les compensations écologiques in situ, rien non plus sur tout ce qui concerne le biosolaire. Les seuls écrits disponibles font suite à une formation mise en place par un groupe de professionnels de cinq pays européens, dont quelques-unes ont eu lieu en France. Notre objectif est donc de donner aux maîtres d'oeuvre une vue globale des notions d'aménagements et de techniques du bâti, permettant de poser des toitures végétalisées de qualité.

Vous parlez de végétalisation biodiverse, vous considérez donc qu'il existe des procédés de végétalisation des toitures qui ne sont pas favorables à la biodiversité ? Selon différentes études qui ont été menées en Suisse, Allemagne ou Angleterre, et ce qui a pu être mis en avant par Natureparif ou Plante & Cité, l'essentiel de ce qui se fait sur le terrain est plutôt d'assez mauvaise qualité. On a affaire essentiellement à de la monoculture, ce qui ne permet pas de composer avec une grande biodiversité et surtout qui empêche de bien gérer la qualité de l'eau et de l'air dans la ville. Et cela n'apporte pas de bénéfice en termes d'infrastructure verte. Sur la qualité des sols également, il n'existe à ce jour aucune littérature, sur un sujet pourtant crucial. Aujourd'hui, les donneurs d'ordre ont à leur disposition un catalogue de formules toutes prêtes, disponibles chez les étancheurs. D'où l'idée de fournir les différentes recettes qui donnent un bon substrat, en obtenant le meilleur bilan au niveau de l'énergie grise. Cela veut dire qu'il faut que les matériaux qui constituent ces substrats ne doivent pas trop voyager, que l'on doit utiliser, quand c'est possible, des matériaux recyclés, etc. Cela offre de nombreuses possibilités, et le livre n'a pas la prétention d'être exhaustif, mais l'idée est toujours qu'au final, le toit végétalisé selon la méthode que nous proposons est plus respectueux de l'environnement que les autres.

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur le marché des toitures végétalisées ? On utilise encore beaucoup de membranes goudronnées pour l'étanchéité, malgré le message que nous cherchons à faire passer pour dire que cette solution n'est pas bonne et que l'on peut faire des toitures avec des produits meilleurs pour l'environnement. Les donneurs d'ordre sont bien trop souvent amenés à ne parler qu'avec les étancheurs, alors qu'il faudrait pouvoir interagir avec d'autres corps de métier, charpentiers, couvreurs... Nous cherchons à amener les maîtres d'oeuvre à réaliser des cahiers des charges permettant de sortir de ce schéma. Qu'ils aient les armes pour définir ce qu'ils veulent précisément, quel substrat et sur quelle épaisseur, pour obtenir un résultat intéressant. En Suisse, où la norme est la plus qualitative au monde, on parle de compensation écologique avec des écologues, des ornithologues, on définit comment et quand mettre sur le toit des cailloux, des branchages, on crée des biotopes différents et donc plus de biodiversité. Mais les choses bougent. Une journée a été organisée par Plante & Cité en juillet où l'Unep, qui avait laissé l'Adivet (l'association qui regroupe essentiellement des étancheurs), écrire les règles professionnelles du métier, a repris son indépendance et fera désormais elle-même ce travail. Je vois de plus en plus de petites collectivités rechercher des solutions techniques avantageuses.Les substrats se diversifient... Mais il faudra encore au moins cinq ans pour transformer ce qui se fait sur le terrain, comme l'ont fait les Anglais ou les Allemands.

Quel serait pour vous l'idéal de développement de ce marché ? L'idéal serait que les écoles d'architecture et du paysage aient une formation adaptée dans leur cursus. Que les concepteurs soient prêts à travailler avec les compétences capables de faire évoluer les cahiers des charges des réalisations. Et que les donneurs d'ordre rédigent des pièces administratives leur permettant d'avoir des résultats à hauteur de leurs attentes. Tout ceci aboutira si les marchés sont bien allotis, si la réalisation du toit et de sa couverture végétale sont dissociés dans l'appel d'offres.

Vous parlez à la fin du livre de points de blocages, quels sont les principaux et quelles sont pour vous les solutions au problème ? Ils sont nombreux, culturels, psychologiques... Certaines personnes ont peur qu'une toiture végétale amène de l'humidité dans le bâti, ils ont peur que des insectes s'y développent ou que les oiseaux viennent s'y nicher. Parfois, des professionnels tels que les architectes des bâtiments de France, par exemple, sont rétifs à faire évoluer leur regard sur les toitures. C'est un gros travail culturel qui reste à mener !

Vous présidez une association, Nature en toit, quel est son objectif et son rapport avec les toitures végétalisées ? Le collectif « Nature en toit » regroupe des personnes d'horizons différents, avec des compétences complémentaires pour informer, via un blog, sur les réalisations remarquables de végétalisation biodiverse des toitures, mais aussi de nature en ville, d'infrastructure verte, et de l'état des avancées de la recherche et des marchés à travers les pays.

Légende photo : "L'idée est de fournir les différentes recettes qui donnent un bon substrat, en ayant le meilleur bilan au niveau de l'énergie grise", affirme Philippe Peiger. (c)Pascal Fayolle

Propos recueillis par Pascal Fayolle

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