Conjuguer qualité de vie au travail et horticulture connectée
La QVT a désormais droit de cité (1). Elle va tirer parti de la robotisation et de la numérisation, en tenant compte de leurs travers potentiels. L’innovation indispensable — organisationnelle et sociale — sera plus aisée via des réflexions et actions en collectif.
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Praticiens, chercheurs, experts extérieurs à nos filières ont, au cours de très nombreuses rencontres nationales et régionales récentes (2), communiqué leur analyse des évolutions souhaitées pour mieux vivre (de) son travail tout en restant connecté(e)s.
Les promesses de la transition numérique
Robots désherbeurs, engins sans chauffeur, drones, outils d’aide à la décision (OAD) en tous genres (capteurs connectés, logiciels de surveillance et de pilotage des cultures…), réalité augmentée sur tablette, big data et, demain, l’intelligence artificielle… modifient le monde du travail. Si les cultures sous abri pratiquent déjà l’hyper-connexion, celles d’extérieur n’ont encore guère sauté le pas.
L’Agtech (ou transformation du secteur agricole par les nouvelles technologies) améliore l’ergonomie des postes et rend certains métiers plus attractifs (recrutement facilité et fidélisation). La surveillance digitalisée affine la connaissance de l’état des végétaux, réduisant ainsi les intrants de traitement et protégeant la santé des opérateurs.
Et pourtant… il faut prendre quelques distances avec les promesses de la transition numérique.
Santé numérique
« L’agriculture connectée offre la promesse d’alléger la charge mentale en permettant d’anticiper. À l’inverse, elle provoque un alourdissement par du travail “invisible” (maintenance, disponibilité élargie, amplitude horaire…) » témoignait, en ouverture des Rendez-vous Esaconnect (3), le philosophe Alain Loute, maître de conférences au centre d’éthique médicale de l’Université de Lille (Nord), où il est co-titulaire de la “Chaire Droit et éthique de la santé numérique”.
La connexion permanente aux divers outils augmente la charge mentale du décideur. Le mal-être ressenti par les exploitants face au numérique est avéré, car il existe un double risque de dessaisissement : d’une part, par l’exécution robotisée ou digitalisée des tâches, et d’autre part, par la perte de “connexion matérielle” aux données devenues virtuelles.
Durant le même colloque, Coralie Hayer, conseillère nationale en prévention Santé sécurité en agriculture (SSA) à la caisse centrale CCMSA, analysait : « on assiste à une nouvelle révolution agricole, identique à celle de l’introduction de la mécanisation. L’exploitant s’interroge sur le sens à donner à son métier. »
Conserver son libre arbitre
Prenons un cas d’école. Les capteurs avec une assistance numérique sont une aide dans le choix de l’itinéraire technique, mais l’exploitant doit garder le libre arbitre. En parallèle, le statut de l’opérateur — exploitant ou salarié — est modifié, le faisant passer d’une position d’exécutant à celle d’intermédiaire gestionnaire de données. Les conseillers en prévention questionnent les conséquences de la digitalisation sur l’organisation du travail et accompagnent, sur le terrain, pour aider à prendre du recul sur les métiers. Le service SSA de la CCMSA va lancer un « Guide d’accompagnement pour intégrer un outil numérique au service de mon exploitation (voir actualité à venir sur www.lienhorticole.fr) ». Coralie Hayer plaidait pour le droit à la déconnexion. « L’innovation digitale va très vite et n’est pas toujours accompagnée. La technologie choisie ne convient pas forcément aux besoins. Une mauvaise utilisation (par manque d’accompagnement dans la prise en main, par absence de formation) crée de la déception et des soucis de santé corrélés à l’usage ».
De fait, les nouveaux capteurs collectent énormément de données. Lesquelles sont vraiment utiles ? Comment gérer l’urgence ? La charge mentale du décideur augmente car il est connecté à 100 %. Le temps de loisir accordé n’est pas pris à 100 % ; avant, il était peut-être moindre mais “goûté davantage”. D’autres travers de la digitalisation sont relevés, sans être propres au monde agricole. Le besoin de compétences spécifiques entraîne une hausse du chômage pour la main-d’œuvre peu qualifiée. De plus, la numérisation et la robotisation des tâches font ressortir l’illettrisme et, en corollaire, l’illectronisme.
Poser un autre regard, via la mutualisation
La combinaison de plusieurs intervenants de la prévention fournit divers angles d’attaque pour une approche socio-technique de la transition numérique. C’est le choix qu’a fait le pôle de compétitivité Végépolys à l’issue de son événement Plant Event. Par ailleurs, la Mutualité sociale agricole (MSA), l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) et le conservatoire national des arts et métiers (CNAM) via son institut d’hygiène industrielle et de l’environnement – sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (IHIE-SSET), conjuguent leurs efforts dans les déclinaisons régionales du troisième Plan National Santé au Travail. Ce plan comporte diverses thématiques, dont les TMS et les risques psycho-sociaux (RPS). D’autres mutualisations et partenariats sont souhaitables, y compris avec les fournisseurs. Anne-Marie Nicot, chargée de mission au département Études, capitalisation et prospective de l’ANACT, rappelle combien « l’usage enrichit l’outil. L’idéal est d’acheter la fonctionnalité, c’est-à-dire le matériel et la prestation associée, pour assurer son efficacité. »
La qualité de vie au travail concerne autant l’employeur que les salariés permanents et saisonniers ! Les améliorations induites par un nouvel équipement high-tech seront optimisées en actionnant deux leviers :
• la formation qu’il faut savoir anticiper ;
• l’ouverture de la parole aux salariés en les associant au projet d’investissement.
La grande leçon à tirer de ces témoignages et considérations : il faut aborder les investissements technologiques également par le prisme des ressources humaines.
Linda Kaluzny-Pinon(1) Via un accord national interprofessionnel.
(2) Esaconnect-les RV de l’agriculture connectée 2018, Plant Event 2018, les Rencontres du Végétal 2018, Hortipaysages 2019.
(3) Rendez-vous 2018 de l’ESA, École supérieure des agriculteurs, à Angers (49).
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