Demain, des plantes persistantes, résistantes au soleil
Définir les gammes végétales du futur passe par un dialogue entre les acteurs de la filière. Elles vont devoir répondre à de nouveaux enjeux plus techniques qu’esthétiques et, surtout, l’offre des pépinières devra coïncider avec les attentes des utilisateurs !
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Reprises par Les Fermes de Gally (Bailly, 78) il y a neuf mois, Les Pépinières Imbert (Les Chères, 69) ont invité des professionnels à se retrouver le 13 octobre dans le respect des gestes barrières pour débattre d’un des grands sujets du moment : quels arbres pour demain ? Une rencontre organisée autour d’un débat et d’une visite des cultures de l’entreprise.
Xavier Laureau, qui dirige Les Fermes de Gally, a ouvert la discussion du matin en expliquant pourquoi son entreprise, qui avait abandonné la production de pépinière il y a des années, y était revenue en rachetant une unité de production en région lyonnaise : « Nous sommes préoccupés par la raréfaction de l’offre végétale à venir, alors que l’arbre en ville est de plus en plus reconnu pour ses rôles fonctionnels. La pépinière s’inscrit dans le temps long, et une grande agilité est nécessaire pour adapter l’offre à la demande. »
Et pour bien mettre en accord cette offre et cette demande, Xavier Laureau en est persuadé, il faut de façon urgente se parler, trouver des moments de partage entre les producteurs, les concepteurs et les gestionnaires de collectivités.
Vers un paysage moins accessoire et plus serviciel
La journée du 13 octobre s’inscrivait donc dans cette logique de dialogue horizontal. Jean-Marc Bouillon, paysagiste, Frédéric Ségur, gestionnaire, Thomas Bur, qui a cofondé l’entreprise Urbasense, ainsi que Michel Le Borgne, à la tête de Pépinières Drappier, dans le Nord, ont échangé leurs points de vue.
Jean-Marc Bouillon dirige le cabinet Takahé Conseil, a été président de la Fédération française du paysage (FFP) et préside Intelligence Nature. Il a exposé la manière dont il perçoit l’avenir des villes et leur végétalisation. L’obsolescence programmée des infrastructures doit faire place à des espaces de nature multiserviciels, en capacité de mieux gérer l’eau tout en apportant davantage de services écologiques : de l’ombrage afin de supporter le réchauffement climatique, une dépollution, un apport de bien- être, etc. « Le paysage va quitter le champ de l’accessoire », estime-t-il, pour devenir central dans des villes qui, sans lui, vont vite devenir invivables. Les plantes, choisies de nos jours pour leur aspect esthétique, le seront demain surtout pour leurs rôles fonctionnels. Un discours assez proche de celui qu’il a tenu lors d’une conférence sur la végétalisation des villes à Salonvert, en septembre, à Saint-Chéron (91) (lire Le Lien horticole n° 1100, en pages 42 et 43).
Pour Michel Le Borgne, président du Pôle paysage de la Fédération nationale des producteurs horticulteurs pépiniéristes (FNPHP), cette notion de « caractère fonctionnel de la plante » est la plus importante. « Le fait que l’arbre pompe de l’eau grâce à l’énergie solaire est simple mais n’a pas été assez pris en compte. Nous sommes confrontés à deux choses : il faut mettre en culture des arbres qui résistent au soleil et qui apportent un maximum d’ombre – et donc de rafraîchissement – en été. » Or nos repères concernant « ce qui résiste au soleil » aujourd’hui, alors que le réchauffement climatique s’emballe, n’est plus forcément évident.
« Le climat change depuis dix ans, mais on le constate plus nettement depuis deux ou trois ans », note-t-il. Certaines espèces telles que les hêtres produisent beaucoup de graines et commencent à montrer des signes de faiblesse face à la chaleur et au manque d’eau, avec des branches entières qui sèchent, elles pourraient mourir rapidement. Il est donc essentiel que la palette évolue, « car on ne plantera que ce qui est disponible en pépinière », euphémise le pépiniériste, qui plaide par ailleurs pour une réécriture du code des marchés, car si une plante parfaitement adaptée est choisie sur un chantier mais qu’elle n’est pas arrosée, le résultat sera catastrophique.
Michel Le Borgne dresse quelques pistes de l’orientation générale des gammes végétales qui pourraient caractériser le catalogue de sa pépinière, demain : « Nous cultiverons davantage de persistantes, de plantes résistantes au soleil. Quelles espèces précisément ? Il est encore tôt pour le définir, mais nous allons nous concerter avec le monde du paysage pour proposer des plantes adaptées à un marché plus fonctionnel qu’esthétique. »
Effets rapides du changement climatique
Frédéric Ségur, le responsable ingénierie arbres et paysage à Lyon-Métropole (69), se souvient être arrivé dans son service il y a une trentaine d’années et avoir considérablement diversifié une palette alors axée aux trois quarts sur le platane. Il fallait à l’époque anticiper l’arrivée à Lyon du chancre coloré. Actuellement, il est nécessaire d’enclencher le même processus face au changement climatique : « On n’a pas conscience de la rapidité du phénomène », insiste-t-il. L’adaptation a pu se faire il y a trente ans grâce à un dialogue avec les concepteurs et les producteurs, il doit en être de même aujourd’hui. « Les gens demandent parfois des arbres qui n’existent pas en pépinière et les exploitations qui prennent des risques à la plantation ne vendent parfois pas leurs plants : seul le dialogue permet de mettre en adéquation l’offre et la demande. »
Pour Frédéric Ségur, il faut faire « remonter le paysage dans la logique des projets, il y a encore des résistances ». Et il y a urgence car la « question de l’habitabilité des villes est posée. En effet, comment pourra-t-on supporter les 50 ou 55 °C prévus dans certains centres urbains ? Nous avons travaillé sur le sujet à partir de 2003 en agissant sur différents leviers. L’arbre en est un, qui se révèle efficace, surtout s’il est correctement alimenté en eau ».
De fait, l’arbre limite les îlots de chaleur en procurant de l’ombre, mais surtout en transpirant et donc en évaporant de l’eau. S’il fait trop sec, la plante va fermer ses stomates et le bénéfice du végétal se réduira à la fourniture d’ombre. L’idéal est donc de pouvoir irriguer, mais se pose alors le problème du stockage de l’eau. « Afin de résoudre cette question, nous avons travaillé sur les sols, la palette végétale… Et si les plantes peuvent tenir dans les périodes de sécheresse, le fait de les irriguer semble pouvoir abaisser la température de un degré supplémentaire. » (Lire l’encadré.)
Les villes sont de plus en plus confrontées à la problématique des îlots de chaleur, les élus doivent en prendre davantage conscience. Les prévisions de plantations pléthoriques peuvent constituer une solution, mais il faut veiller à ce que les masses végétales soient bien réparties, au risque de créer des inégalités dans la population en matière de confort urbain.
Des outils tels que la charte de l’arbre sont à la disposition des élus, mais il est important de considérer que 70 % des arbres sont actuellement situés dans le domaine privé. Il faut que la gestion de ce patrimoine soit intégrée dans les politiques d’aménagement, que le secteur privé soit incité à désimperméabiliser les surfaces. Il y a urgence, mais le chantier reste d’une grande ampleur !
Pascal FayollePour accéder à l'ensembles nos offres :