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Arbres du xxie siècle Face au vent, adapter la palette et la gestion

Bien choisir les végétaux de demain passe par des choix liés à la résistance à des aléas climatiques de plus en plus nombreux. Celle-ci dépend de l’espèce, mais aussi des méthodes de plantation et de gestion du patrimoine.

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Chaque épisode de vent violent voit son lot d’arbres cassés ou déracinés, que ce soit des sujets de grande taille ou de plantation récente. C’était le thème mis en avant lors d’une journée technique EchoPaysage Auvergne-Rhône-Alpes en octobre 2019 intitulée « Arbres et sécurité, de la santé des citadins à la gestion des risques de rupture ». Les travaux menés au sein de l’UMR PIAF*, à Clermont-Ferrand (63), montrent que les plantes peuvent modifier leur physiologie afin de se défendre contre des contraintes répétées. On parle de processus d’acclimatation.

Face au vent, par exemple, la flexion de la tige déclenche un mécanisme induisant la production de molécules spécifiques qui envoient un signal aux zones en croissance. « L’arbre décide alors de faire davantage de division cellulaire et de croître plus en épaisseur. La tige ainsi renforcée devient peu à peu, au fil du temps, plus résistante au vent », explique ainsi Éric Badel, chercheur Inrae/ UMR PIAF.

Ce processus d’adaptation va s’observer à différentes échelles, tout d’abord dans l’archi­tec­ture globale de l’arbre (croissance des organes tels que tige et branches), en fonction du type de bois formé ensuite et, enfin, au niveau moléculaire.

Les arbres de lisière sont plus résistants

Lors des nombreuses expérimentations consistant en l’application répétée de flexions contrôlées des tiges pendant des périodes de croissance plus ou moins longues, on observe une réduction de la croissance en hauteur, une très forte augmentation de la croissance en diamètre de même qu’un système racinaire renforcé.

La réduction de la hauteur d’une tige ou d’un arbre diminue fortement les efforts mécaniques appliqués par le vent par un effet de bras de levier. D’un autre côté, l’augmentation en diamètre de la tige accroît considérablement sa rigidité, tandis qu’un système racinaire plus important favorise un meilleur ancrage au sol.

Ainsi, en lisière de forêt, les arbres soumis régulièrement aux sollicitations du vent sont plus trapus et s’avèrent plus résistants lors d’une tempête que ceux situés à l’intérieur des parcelles protégées, et donc moins acclimatés.

Dans les régions très ventées comme en bord de mer ou dans la vallée du Rhône, les arbres sont soumis à de fortes sollici­tations mécaniques, la croissance en diamètre est renforcée dans la direction principale­ du vent, ce qui aboutit à une ovalisation des tiges­ fléchies (thigmomorphogenèse). La production de bois est ainsi plus importante aux endroits les plus sollicités. De plus, à l’échelle du bois, dont la fonction première est le soutien mécanique, le processus d’adaptation conduit, sous l’effet de l’oscillation dans le vent, à de nettes modifications structurelles et fonctionnelles de ce matériau avec la formation d’un bois particulier, dit « de flexion ». Des études sur peuplier ont montré que celui-ci est moins poreux, plus dense, et qu’il bénéficie de propriétés particulières, comme une plus grande aptitude à résister à de grandes déformations. Un arbre constitué de ce type de bois sera apte à supporter des vents plus forts sans dommage.

Ne pas tuteurer trop fortement

Ce processus d’acclimatation doit être pris en compte dès la plantation par un tuteurage­ adapté. En effet, si l’arbre est maintenu trop fortement, il a peu la pos­sibilité de se mouvoir et ne perçoit pas les effets mécaniques du vent. Il peut ainsi se trouver fragilisé lors du retrait du tuteur. Les systèmes de maintien plus souples sont à privilégier. Ainsi, l’arbre s’accorde au vent, en interaction avec son environnement proche. Tout changement peut avoir des conséquences : élagage trop important, éclaircies, abattage d’un ou plusieurs arbres aux alentours, travaux autour des racines… Le sujet doit alors se réacclimater et s’ensuit une période d’insécurité d’autant plus longue que la perturbation a été importante.

Diagnostic de dangerosité, le rôle des experts arboricoles

Au-delà d’un choix approprié d’espèce et de mode de gestion pour adapter la palette végétale au risque climatique, l’expertise, qui a pour objectif de déterminer l’état sanitaire­ et sécuritaire des arbres, constitue une aide à la décision pour le gestionnaire. L’acte induit une prise de risque plus ou moins importante selon les cas. Il consiste à évaluer l’état général : physio­logique, mécanique, sanitaire. Il comprend différentes étapes :

- l’analyse situationnelle. C’est-à-dire la façon dont l’arbre se situe dans son environnement proche : les vents dominants, la proximité d’autres arbres ou arbustes, de bâtiments, la fréquentation des lieux ;

- le contexte historique. Les interventions dont il fait l’objet au cours de sa vie (tailles, travaux à proximité…) et les incidents éventuels survenus (chute de branches, dégradations…) ;

- l’analyse individuelle. Elle est visuelle en premier lieu, pour évaluer l’état physiologique, l’âge, la vitalité (prendre du recul afin de déceler des indices pouvant ré­véler un éventuel stress), ainsi que l’état sanitaire­ : agents pathogènes visibles, cham­pignons lignivores, pourridié… ou encore l’état mécanique, avec un relevé des défauts susceptibles de provoquer une rupture mécanique de tout ou partie de l’arbre (collet, tronc, ramifications, arrachements, inclusions, cavités, fissurations…). Différents niveaux d’expertise sont pos­sibles suivant les situations, de l’analyse rapide depuis le sol jusqu’au diagnostic complet. Dans ce cas, différents outils sont à disposition de l’expert : tests so­nores au maillet pour déceler les cavités, pénétromètre pour analyser la résistance du bois, tests de traction pour vérifier la tenue de l’arbre et le niveau de contrainte auquel il est capable de résister, tomographe à ondes qui permet de dresser une cartographie en couleur de la tranche d’arbre où un défaut est suspecté ;

- synthèse des résultats et estimation de la dangerosité. Évaluer les risques de rupture par rapport à la fréquentation du site et la tendance évolutive, sachant que le risque zéro n’existe pas. En découlent des préconisations : l’arbre doit-il être conservé ? Le cas échéant, quelles mesures – travaux et/ou surveillance éventuelle – doivent être mises en œuvre pour y parvenir.

Claude Thiery

*L’UMR PIAF « Physique et physiologie intégra­tives de l’arbre en environnement fluctuant » étudie les réponses des plantes, et plus particulièrement des arbres, aux facteurs environnementaux thermique-lumineux, hydrique et mécanique, et leurs conséquences sur la production et la vulnérabilité aux stress abiotiques et biotiques (ravageurs, maladies fongiques).

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