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« Arbres d’avenir en Méditerranée » Une palette renouvelée pour contrer les canicules

L’arc méditerranéen souffre particulièrement du changement climatique. En découle la nécessité d’y redéfinir la palette de végétaux pérennes. Des espèces qui pourraient aussi profiter à d’autres régions, le réchauffement de la planète aidant !

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Initialement prévues en avril puis reportées au mois de novembre, les rencontres « Arbres d’avenir en Mé­diterranée » organisées par l’Inrae Villa Thuret (06) dirigée par Cathe­rine Ducatillion, l’association PaysSages portée par le concepteur paysagiste Michel Péna, les associations Hortis et AITF au travers de son représentant local, Philippe Dalmasso (Ville d’Antibes), se sont tenues en visioconférence.

Créé en 2019, ce groupe de réflexion souhaite mettre en place un programme de recherche appliquée dans le long terme. L’objectif est de contribuer au développement d’une palette ligneuse plus diver­sifiée et d’espaces végétalisés urbains pertinents pour cette région, dans le contexte de changement climatique, mais aussi de problématiques sanitaires majeures. Ce projet s’inscrit dans la continuité de celui, mené au début des années 2000, qui avait alors permis la sélection d’une trentaine d’espèces d’arbres et d’arbustes présentés dans un classeur intitulé « D’autres arbres pour les villes méditerranéennes ». Une démarche qui s’est poursuivie avec la formalisation en 2016 d’un premier groupe de travail pour diffuser leur usage.

Six épisodes de canicule en dix ans

Les effets de plus en plus prégnants du changement climatique ont motivé le groupe de travail à lancer une nouvelle démarche impliquant un plus grand nombre de partenaires, issus de la recherche, de la filière paysage, de la production horticole, ainsi que de l’aménagement urbain. Trois volets de recherche et d’actions sont prévus :

- la connaissance scientifique sur le climat méditerranéen et son évolution, les ligneux présents dans cette région et les interactions climat-plantes  ;

- la connaissance opérationnelle : les contraintes de l’aménagement urbain, le cadre de vie et la contribution citoyenne, la mise en place de sites d’observation ;

- le savoir des pépinières : c’est-à-dire l’offre­ disponible, les expérimentations déjà conduites.

Ces premières rencontres « Arbres d’avenir en Méditerranée » ont été l’occasion d’établir un constat sur l’état des connaissances. La définition d’une méthodologie et d’outils pour le choix des espèces est en cours avec la contribution de deux étudiants, Éléonore Oberle et Lucas Blauwart, accueillis à l’Inrae Villa Thuret. Une première liste comportant des espèces à utiliser ou nécessitant des études ou expérimentations complémentaires devrait être proposée début 2021.

« L’évolution du climat en France depuis les années 1970 se caractérise par une situation­ particulièrement défavorable pour le Sud-Est. À cela s’ajoute une multiplication d’aléas climatiques qui peuvent intervenir à des périodes cruciales pour le développement des végétaux », explique Patrick Bertuzzi, qui est le directeur de l’unité de services Agroclim de l’Inrae d’Avignon (84).

Durant cette période, on dénombre pas moins de 41 vagues de chaleur, dont 23 après les années 2000 et 17 depuis 2010. Six épisodes de canicule ont été relevés depuis dix ans. Ces trois dernières années ont été aussi marquées par des des températures élevées en hiver et au printemps, des sécheresses, des périodes de fortes pré­cipitations et pas moins de onze épisodes de grêle au printemps et en été, depuis 2008. Alors que les différents scénarios climatiques évoqués par les spécialistes sont relativement identiques pour l’horizon 2040-2050, la situation est plus contrastée au-delà. Avec le scénario le plus défavorable, il pourrait y avoir plus de trente journées dont les températures seraient supérieures à 35 °C en région méditerranéenne.

S’adapter sur différents fronts

Ainsi, pour les végétaux – et en particulier les ligneux, qui vivent longtemps –, il s’agit non seulement de s’adapter à une tendance de fond (la hausse globale des températures) mais également de réduire la vulnérabilité aux variabilités interannuelles et de résister à des phénomènes extrêmes. En cas de températures élevées ou de sécheresse, la stratégie d’évitement de la plante passe principalement par une fermeture des stomates afin de limiter la transpiration des feuilles et la consommation d’eau du sol. Cela conduit à restreindre la photosynthèse et à stopper sa régulation thermique, avec des risques de brûlures mais aussi de cavitation ou d’em­bolie au sein des vaisseaux conducteurs. La vulnérabilité à ces phénomènes est variable selon les espèces et peu étudiée.

« Le suivi physiologique en conditions contraignantes est un atout pour comprendre les capacités de résilience. Il contribue aussi à connaître les essences qui conservent une activité d’évapotranspiration et sont intéressantes pour le rafraîchissement de l’atmosphère », souligne Thierry Améglio, chercheur au sein de l’unité de recherche PIAF (Physique et physiologie intégratives de l’arbre en environnement fluctuant) de l’Inrae de Clermont-Ferrand (63). Des études menées dans le cadre du programme CoolTrees (2017-2021) démontrent que lorsque la densité foliaire augmente de 1 m2 et de 1 m3 de houppier, la température au sol diminue­ de 5 °C.

« Être un arbre, c’est ne pas pouvoir bouger, subir tout à la fois le contexte local et ses contraintes, le changement clima­tique pouvant être considéré comme une fluctuation de plus à supporter. Il régule son fonctionnement afin de survivre, de se développer et de se reproduire », sou­ligne Yves Caraglio, chercheur au Cirad de Montpellier (34).

Tout ou presque se passe au niveau des méristèmes, avec des stratégies de colonisation du milieu variables selon les espèces, mais aussi en fonction des conditions environnementales et de la plante (variabilité intraspécifique en fonction de la provenance bioclimatique). Un argument de plus en faveur de la diversification spécifique et génétique. La connaissance des systèmes racinaires est tout aussi importante.

Claire Atger, du bureau d’études Pousse conseil, rappelle que la plasticité des systèmes racinaires dépend des espèces et que, à la suite d’une coupe, la régéné­ration racinaire et le recouvrement de la plaie entrent en concurrence. De plus, elle rappelle que les plantations équipées de goutte-à-goutte favorisent le développement d’un système racinaire superficiel, fragilisant le sujet en cas de sécheresse. S’il est nécessaire de trouver de nouvelles essences d’avenir, il faut également produire différemment et poursuivre le travail d’amélioration des différentes techniques de plantation.

Un plaidoyer partagé par d’autres inter­venants dont Caroline Mollie, architecte paysagiste, auteure de l’ouvrage Des arbres dans la ville (Actes Sud) et de L’Urbanisme végétal (sous le nom de Caroline Stefulesco), et Véronique Mure, expert botanique, jardins et paysages, qui plaide pour une approche des plantations en ville­ basée sur des associations de strates et d’espèces, afin de favoriser les « solidarités biologiques ».

Partager les observations

La deuxième partie des rencontres a souligné l’intérêt d’un plus grand partage des connaissances acquises par les pépiniéristes, qui cherchent à élargir leur palette mais peinent parfois à les produire ou à les vendre. Un rapprochement, également, à renforcer avec les gestionnaires de parcs publics ou privés, à l’image de la promenade du Paillon ou du parc Phoenix de Nice (06), ou du parc botanique du château Pérouse­, à Saint-Gilles (30). Créé par le Néerlandais­ Jan-Willem Vos, il abrite 18 000 espèces, dont 2 000 essences d’arbres.

En dépit de ses contraintes, le climat méditerranéen présente des conditions favorables au développement d’une grande diversité d’espèces, qu’elles soient autochtones ou exotiques. Ces dernières ont été introduites en grande quantité depuis le xixe siècle, mais elles sont souvent assez mal connues et peu produites, d’où l’in­térêt de renforcer les connaissances les concernant. La migration de certaines d’entre elles vers le nord et l’évolution globale du climat devraient offrir des possibilités d’en utiliser une partie pour les zones­ plus tempérées du territoire. Le programme « Arbres d’avenir en Méditerranée » s’avère ainsi bénéfique au-delà de cette seule région.

Yaël Haddad

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