Déconfinement : un défi pour la distribution
C’est un peu grâce aux plants potagers, considérés comme des « produits de première nécessité », que des points de vente ont vite rouvert. Avec le drive, ils ont gardé une activité minimale.
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Entre les points de vente qui ont pu rester ouverts car ils vendaient de l’alimentation pour les animaux, ceux qui ont fermé et ont vite trouvé des solutions pour rouvrir, ceux enfin qui sont restés fermés quasiment jusqu’à la fin avril, on pourrait presque dire qu’il existe autant de scénarios que de magasins horticoles en France en ce printemps. Pour les entreprises de commerce ainsi que de production (page 26), les mots cacophonie ou distorsion de concurrence occuperont une bonne place dans le lexique postconfinement. Ce ne seront bien sûr pas les seuls, on se souviendra aussi de la notion de produit de première nécessité, drive, livraison, logistique…
Parmi les produits, le mot clé qui restera pourrait bien être celui de « plants potagers ». Non pas parce qu’ils constituent l’une des valeurs sûres du commerce horticole en France, c’est un fait avéré depuis plusieurs années qui n’a fait qu’exploser encore plus en 2020, mais car c’est grâce à cette gamme que beaucoup de magasins ont pu rouvrir entièrement alors que leur activité se restreignait à peau de chagrin.
Très rapidement, la profession s’est battue pour que les plants potagers puissent continuer à être écoulés : la FNPHP avait lancé un appel en ce sens au ministère de la Santé dès la mi-mars, relayé dans la rubrique actualités du site www.lienhorticole.fr le 20 mars (« Producteurs : malgré le coup de massue, anticiper le rebond »). Et elle a bien fait. Les points de vente pouvant commercialiser des aliments pour animaux et des plants de légumes, il devenait assez cohérent de les autoriser à vendre l’ensemble de leurs rayons. C’était conforme à ce qui se passait dans les supermarchés, ouverts pour vendre de l’alimentation, sans pour autant fermer leurs rayons loisirs ou vêtements… Les plants de légumes ont été le cheval de Troie, le coin dans la porte qui a permis de desserrer l’étau qui s’était refermé sur la filière le 15 mars. Reste que résoudre ce problème d’équité entre jardineries et supermarchés n’a pas réglé, loin s’en faut, les problèmes d’inégalité entre les points de vente ouverts et ceux qui ont dû rester fermés pendant deux mois…
À peine 20 % de fleuristes au travail en avril
Reste que ces ouvertures plus ou moins complètes et les solutions mises en place par tous ceux qui n’ont pas pu ouvrir pendant deux mois cruciaux – retrait sur place de marchandise ou livraisons à domicile – n’ont permis à la filière de n’écouler qu’une petite partie de ses productions. Il n’est pas encore temps de dire si ces pis-aller auront pu sauver l’essentiel, à savoir la survie des entreprises. Ce que l’on sait, pour l’instant, c’est que la Fédération nationale des métiers de la jardinerie (FNMJ) a estimé que la perte de chiffre d’affaires des jardineries, en mars, se montait à 62 %. Au cours du premier trimestre, le manque à gagner est de 31 % par rapport aux trois premiers mois de 2019. Janvier et février avaient été bons, comme le second semestre de l’an dernier.
Le marché du jardin surfait sur une vague plutôt bonne que le coronavirus a brisée brutalement. Début mai, il était trop tôt pour connaître les tendances d’avril, qui devraient aussi se montrer difficiles…
Du côté des fleuristes, si tous ont baissé le rideau le 15 mars, offrant parfois les stocks invendables à des maisons de retraite ou à des personnels d’hôpitaux, on estime entre 10 et 20 % le nombre de boutiques qui ont rouvert assez rapidement en mettant en place un service de livraison à domicile. Mais de l’avis de nombreux observateurs, cette activité a plus souvent permis aux chefs d’entreprise de s’occuper les bras et la tête que de réellement faire tourner leur magasin. Entre les difficultés d’approvisionnement, les surcoûts générés par la mise en place des services de livraison et des procédés de protection des livreurs face à la faiblesse de la demande, les marges réalisées sont de l’avis de beaucoup avant tout symboliques. De nombreuses tergiversations gouvernementales concernant la possibilité ou non d’ouvrir le 1er mai afin de vendre le muguet devant leurs points de vente a été plus souvent vécu comme une vexation de plus que comme une petite victoire apportant un bol d’oxygène bien limité à un secteur en grande souffrance.
Le made in France à la relance
Il ne faut toutefois pas négliger les chanceux ou les plus agiles qui ont su s’adapter vite et qui ont montré que la crise ouvre de nouvelles perspectives pour le secteur. Des magasins ayant pu rester ouverts parce que certaines préfectures ou autres administrations se sont montrées conciliantes ont particulièrement bien travaillé. Car, évidemment, au vu du nombre de points de vente fermés, ceux qui étaient ouverts avaient un boulevard devant eux, mais aussi pour d’autres considérations qui doivent être analysées comme des composantes positives soit à court terme, soit à plus long terme pour le secteur.
Première raison du succès des magasins ouverts, le confinement en lui-même, qui a encouragé plus que fortement les possesseurs de jardins à désherber, tailler et… planter quand ils le pouvaient. Dans leurs achats, ils ont largement sollicité les plants potagers, qui étaient, fin avril semble-t-il, en rupture de stocks chez certains producteurs. Les jardiniers ont ainsi donné raison aux responsables de la filière qui ont défendu l’idée que vendre des plantes potagères était utile aux foyers socialement et économiquement moins favorisés, et aux élus qui ont lâché du lest sur ce point.
Seconde raison qui explique le succès des produits horticoles dans les points de vente : la crise, on l’a bien perçu avec le problème des masques, devrait renforcer le besoin exprimé par les Français de remettre en valeur le made in France. Cette tendance, déjà exprimée depuis quelque temps, pourrait connaître un nouvel essor ces prochaines années. Val’hor, qui a mis en place un Conseil stratégique (lire en page 12) pour imaginer comment le secteur doit envisager l’avenir, croit fermement à cette hypothèse à laquelle la violente secousse de cette année donne du crédit.
Enfin, corollaire de ce constat, la crise sanitaire est aussi en train de renforcer les points de vente de proximité. Du fait en France acheté à côté de chez soi, livré au besoin par des véhicules propres ? La perspective ne chante pas vraiment un air nouveau. Simplement, la situation actuelle fait qu’elle est chantée plus fort et par davantage de monde.
Malgré les incertitudes, réussir son déconfinement
Il faut maintenant savoir si la réouverture de l’ensemble des points de vente va pouvoir sauver la saison pour que les entreprises puissent survivre afin de bénéficier pleinement de ces tendances. L’opération s’avère délicate. À quelle vitesse les consommateurs répondront-ils présent ? Comment les approvisionnements pourront-ils se faire ? Les outils logistiques ne seront-ils pas accaparés par les autres secteurs, qui auront également besoin de relancer la machine économique ? Comment les surcoûts liés à tout ce qu’il faut mettre en place pour faire du commerce sans mettre en danger la vie de chacun seront-ils compensés ? Autant de questions auxquelles il est délicat de répondre.
À l’image du gouvernement, la filière doit elle aussi réussir son déconfinement. L’opération ne sera pas forcément plus simple pour les uns que pour les autres. C’est pourtant à ce prix que les professionnels du végétal pourront respirer à nouveau cette année et poursuivre leur activité. Aussi prometteuses soient-elles, les perspectives ne valent que pour ceux qui les vivent !
Pascal FayollePour accéder à l'ensembles nos offres :