Productions : la vente, les chantiers... et vite !
Véritablement rincés par deux mois épuisants de confinement et stratégiques pour leur survie, floriculteurs et pépiniéristes espèrent sauver un peu de leur saison. Leurs atouts dans la tempête : réactivité, cohésion d’équipe, entraide, et l’espoir d’une reconnaissance des plantes locales.
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Les situations des producteurs, sur le terrain, sont plus que jamais disparates face à la crise, en fonction de la localisation, de la dimension, des débouchés habituels, de l’énergie interne à combattre les aléas successifs ou de la créativité dans l’adaptation aux situations de crise, comme le confirment la seconde enquête du Lien horticole* sur son site Web et sa newsletter ainsi que les enquêtes téléphoniques. Des solutions ont pu être trouvées, par étapes, chacun en fonction de son contexte, de l’environnement, voire de sa préfecture...
L’essentiel des soucis et des attentes concerne la commercialisation (lire pages 30 et 31). Restent les problématiques des producteurs en solutions de crise, en moyens humains et financiers, et les lueurs d’espoir pour demain.
Le profil du producteur « à succès » au cœur de la crise
S’il devait être dressé un profil type du producteur ou de la productrice qui a pu ou su le mieux tirer son épingle du jeu, on pourrait dire qu’il avait déjà un site Internet et des réseaux sociaux actifs (avec à la clé de nouveaux contacts à fidéliser). Il avait une base de clients et de prospects pour prévenir de la mise en route d’un drive ou de livraisons (même tard, en avril) et un informaticien-webmaster (voire un enfant compétent) sous la main s’il n’avait ni Web ni système de paiement en ligne. Il avait un minimum de salariés et trouvé un partenaire pour livrer à des points de contact ou à domicile. Et, bien sûr, le Graal du moment : il avait du plant potager et des semences (légumes, aromatiques, pommes de terre…) pour sauver – un peu – la mise et le début de saison. Avec une très grande frustration : ne plus avoir de temps pour conseiller la clientèle !
Le tiercé gagnant de ce printemps : plants potagers + drive + livraisons. Mais, avec le « surcroît énorme de travail, des services supplémentaires, et jusqu’à 200 à 300 coups de fil par jour », tous n’ont pas pu suivre. Pour la plupart des producteurs, le problème, c’est la chaîne cassée entre les acteurs de la filière : « des paysagistes ne travaillant pas, donc pas de ventes d’arbres, pas de trésorerie, soit des investissements impossibles ». Ou encore : « des fleuristes fermés, donc pas de ventes de fleurs : la production en danger ». Quand les clients ne répondent pas, il faut décider sans eux… avec le coup au cœur et au moral s’il faut jeter ou brûler. « Une triple ou multiple punition : que des charges et pas ou peu de recettes ». Ainsi, entre 500 et 600 arbres restés à quai dans une seule grande pépinière, et près de 500 000 euros en jauge de plantes prêtes à partir au 13 ou 14 mars mais stoppées net par l’annonce présidentielle.
« Les producteurs n’ont jamais arrêté de travailler. Ils ont eu un surcroît de stress comme de tâches. Ils se sont vraiment mobilisés pour tenir le coup, mais à quel prix ? Ils ont été exemplaires sans attendre d’éventuelles aides », salue Véronique Brun, chargée de mission Méditerranée-Rhône-Alpes à la FNPHP**.
Sauver l’exploitation
Certaines exploitations ont eu du mal à gérer leurs effectifs, notamment pour raison de garde d’enfants ou de problèmes de santé. Quand il avait été rapidement mis en chômage partiel, le personnel a fait défaut. Les équipes réduites n’ont pas pu tout mener de front.
Toutefois, globalement, les exploitations ayant en interne un bon relationnel et qui ont su communiquer clairement ont pu mesurer l’investissement et la bonne volonté de leurs salariés lors de périodes très chargées. Ainsi pour les paniers de drive et les livraisons, très chronophages, pour les (re)plantations ou les reprises de plantes. « Il n’a manqué aucun de nos salariés, assure Cécile Cholat, coresponsable des pépinières du même nom à Chambéry (73). Nous avons dès le premier jour exposé la situation, écouté et discuté, mis en place un protocole pour assurer la sécurité sanitaire. Tous jouent la solidarité. »
« Nos salariés ont eu conscience des efforts à fournir pour sauver l’entreprise », témoigne de son côté Laurent Nicoleau, de La Grande Pépinière à Quimper (29).
Les nouvelles règles sanitaires, éditées dans les cahiers des charges par métiers (voir en page 37), seront sûrement complexes à appliquer à la lettre. Mais nombre d’exploitations qui n’avaient pas arrêté leur activité avaient anticipé, ou ont déjà intégré l’essentiel des protocoles.
Et demain : faillites ? installations ?
On craint des faillites, dans les deux à trois ans à venir, surtout pour les exploitations déjà fragiles avant la pandémie ou « frileuses » au début du confinement.
Tout cela pourrait bien refroidir les velléités d’installation, même si des élus commencent à avancer des mesures d’aide très concrètes (terrains, équipements, facilités, services…) pour stimuler l’installation de jeunes « et miser sur les productions locales ». C’est déjà annoncé en Corse, par exemple.
Reste la douloureuse question, pour ceux qui sont le plus en difficulté, ou les plus inquiets, des « baisses et reports de charges, alors qu’il faudrait plutôt des annulations et un allègement de la fiscalité sur les stocks », une annulation « des appels MSA », « davantage d’indemnités sans conditions… et pas seulement de l’emprunt ou des prêts garantis pour s’endetter toujours plus ». « Comment imaginer pouvoir rembourser, il faudrait plusieurs saisons exceptionnelles » !
Pour « repartir » : mutualisation de services et achats en local !
En fait, les producteurs n’ont jamais arrêté de travailler. Ce qu’il faut impérativement relancer, ce sont à la fois les ventes et les chantiers laissés en suspens (voir en pages 32 et 33). « Toute commande, toute autorisation de vendre sera la bienvenue ! » était encore un leitmotiv début mai.
Un espoir : des signes montrent une réelle – et tout à fait nouvelle – appétence des Français pour le jardinage. Et une grande demande d’informations. « Après le vide et la sidération de la première semaine, nous avons vécu une période monstrueuse en coups de fil, et avec parfois jusqu’à 80 mails par jour à gérer. »
Horticulteurs et pépiniéristes de France (HPF) note des consultations qui explosent littéralement sur les vidéos-conseils de sa chaîne YouTube : jusqu’à 80 000 connexions par jour, certaines atteignant même 1,4 million de vues en vingt-huit jours de confinement.
« J’espère surtout, avec la réouverture des magasins, que chacun va privilégier les approvisionnements auprès des producteurs locaux. Et surtout que nous pourrons développer encore mieux la mutualisation des livraisons à domicile entre plusieurs secteurs (artisans compris), avec des livreurs locaux spécialisés, pour mieux servir nos clients communs avec des commandes regroupées. Ce serait idéal pour fidéliser ceux qui nous ont découverts durant le confinement », expliquait un producteur breton.
Chacun, cependant, espère fortement « que l’épidémie ne reparte pas à la hausse ». Les plus optimistes souhaitent « aller vers un monde d’égalité face au Covid-19 ».
Avec un rappel commun : le végétal est la brique élémentaire du monde « d’après », la matière première du cadre de vie de demain.
Deux mots d’ordre à prôner : « les jardins et le paysage sont nos petits paradis » et « l’antistress et la paix sont dans nos jardins », conclut Cécile Cholat.
Odile Maillard*D’autres témoignages à découvrir sur www.lienhorticole.fr courant mai.
**Fédération nationale des producteurs horticulteurs pépiniéristes.
Pour en savoir plus :
- Un témoignage sur https://tinyurl.com/y8egvmu7 (Cholat Pépinières).
- « La filière horticole face au confinement », émission La France bouge, sur Europe 1, vendredi 1er mai de 13 à 14h.
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