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La mise en lumière, outil à double tranchant

Les médias grand public ont durant la crise plus largement relaté les difficultés du monde horticole qu’habituellement. Mais certains messages sont apparus contre-productifs en termes d’image pour la filière.

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Rarement sous les feux médiatiques, la filière ornementale a, dans la crise qui l’a secouée en mars et avril, été bien présente, que ce soit dans la presse écrite et télévisée ou sur le Web. Pour quelle raison ? On sait que lorsqu’un média se saisit d’un sujet, les autres auront toujours un peu tendance à suivre. Mais cette explication n’est pas suffisante.

La violence avec laquelle les producteurs ont été victimes du confinement, alors que la saison débutait et que de nombreuses séries de végétaux étaient prêtes à être mises sur le marché et ont parfois dû être détruites, a aussi attiré les rédactions : les images chocs que représentaient ces mises au rebut restent malheureusement assez « vendeuses ».

Il faut dire aussi que de nombreux producteurs ont réalisé un travail de sensibilisation auprès des médias grand public pour faire part de leur désarroi face à une situation inédite. Certains ont ainsi contacté la rédaction du Lien horticole pour obtenir les coordonnées de confrères de la presse généraliste.

L’émotion palpable, un bon sujet pour les télévisions

Un dernier élément d’explication est peut-être le fait que beaucoup de Français con­finés aient continué à jar­diner, voire que cette activité ait même paru plutôt renforcée par la pandémie, a dû être perçu comme une tendance forte, suscitant l’intérêt des rédactions. Ces dernières ont aussi peut-être ressenti la grande frustration née des attentes des jardiniers face à l’impossibilité de pouvoir se fournir en végétaux pendant un certain temps.

Quoi qu’il en soit, les reportages ont fleuri, dans des médias régionaux­ mais également nationaux (Val’hor en dresse une liste non exhaustive, mais qui traduit bien la diversité des sujets abordés, sur son site Internet). Un sujet a même été présenté dès la fin mars, au journal télévisé de 13 heures de France 2. L’événement ne se présente pas tous les jours ! La filière subissait à ce moment-là le pire de la crise­, les points de vente avaient dû fermer, sauf ceux qui proposaient de l’alimentation pour animaux. Les plants de légumes n’avaient pas encore­ été réautorisés à la vente. L’inquiétude était à son comble et l’émotion palpable chez les producteurs, ce qui garantissait de bons sujets pour les télévisions.

Mais le plus remarquable dans l’appétence dont ont fait preuve les médias grand public pour les métiers du végétal est que le phénomène a duré et dure encore. Une chaîne d’info en continu s’est intéressée la seconde semaine de juin à la végétalisation des bureaux, par exemple. Les premiers sujets hor­ticoles télévisés remontaient alors à deux mois et demi, une éternité dans le monde pressé et avide de renouvellement­ du paysage audiovisuel.

Surfer sur l’engouement en tirant des leçons

Reste que la profession doit profiter de cet engouement, mais aussi en tirer­ quelques leçons. Les médias, aujourd’hui, ce sont toujours bien sûr les télévisions, qui ont paraît-il retrouvé de l’audience à la faveur du confinement. Ce sont aussi des revues en tout genre, mais, de plus en plus, des médias du Web et des réseaux sociaux. Ces outils sont interactifs, ils permettent au public qui les consulte d’exprimer leur ressenti face à ce qu’ils découvrent.

À ce titre, Internet est un énorme amplificateur du sentiment immédiat des citoyens. Les commentaires qui y sont postés peuvent vite se montrer dithyrambiques, mais également assassins, avec un effet d’entraînement probable, d'autant qu’ils sont souvent envoyés sous pseudonyme, donc dans l’anonymat. Sur www.lienhorticole.fr, nous avons relayé en avril une vidéo du média d’information sur le Web Brut., qui traite chaque jour l’actualité sous forme de courts films documentés par du texte ou par des dialogues.

Jeter des plantes, un message inaudible

Cette vidéo présentait alors les dif­ficultés rencontrées par la filière et relayait le fait que certaines entreprises avaient été contraintes de jeter­ ­des séries de plantes prêtes à vendre. Les commentaires qui ont suivi cette diffusion étaient parfois à la limite de l’insulte, certainement assez insoutenables pour les personnes qui témoignaient dans cette vidéo d’un réel désarroi. Les internautes ne pouvaient sûrement pas comprendre que l’on puisse jeter de la marchandise alors que l’heure était à la solidarité et aux dons.

L’époque est ainsi faite que certains messages peuvent passer alors que d’autres doivent être évités. Le succès rencontré par la filière en termes de communication au cours du confinement permettra sans doute aux spécialistes de déterminer quels sujets sont audibles par les citoyens et ceux plus tabous. Mais on peut avec certitude avancer que les initiatives de dons et de solidarité qui ont été très fortement valorisées dans les reportages (par exemple, les fleurs coupées of­fertes aux soignants, occupant avec certitude le haut de la hiérarchie en la matière) ont particulièrement séduit. Le recours à la destruction de plantes ne pouvant trouver preneur, lui, ne passe pas. Peu importe les raisons conduisant à ce que des séries soient jetées, que l’on ne puisse offrir certaines catégories de végétaux ou qu’il faille mettre en place une lo­gis­tique bien délicate en période de confinement, la rationalité n’est pas de mise dans les relais de l’immédiateté.

Présenter à un élu, pour obtenir des aides, un bilan dans lequel on a dû mettre à la benne des plantes est une démarche indispensable, mais, dès lors que l’on s’adresse à un public qui réagit plus à l’émotion qu’à la rationalité, il se doit adopter d’autres codes. Ne pas communiquer sur certains points, c’est sans doute l’un des enseignements de cette crise.

Pascal Fayolle

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