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Choix de l’espèce : l’indigénat fait débat

Face à la perte de biodiversité, des collectivités font le choix de ne plus planter que des espèces locales. Cette position, qui réduit de beaucoup le panel d’arbres, suscite la controverse.

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Il n’existe pas d’arbre providentiel, peu sensible au chan­­gement climatique et apte à répondre à tous les enjeux ou contraintes de la ville. En milieu naturel, l’adaptation est un processus qui s’étale sur des centaines, voire des milliers d’années. De plus, les conditions environnementales actuelles changent trop rapidement pour permettre ce processus.

Pour François Freytet, responsable du service arbre en ville, direction jardins espaces verts de la Ville de Toulouse (31), il est impératif de s’intéresser à la déclinaison locale du dérèglement climatique. Il existe de nombreux travaux de recherche qui donnent des renseignements fiables et des scénarios de l’évolution possible du climat à l’échelon local. Les Plans climat air énergie sont aussi des sources intéressantes et adaptées aux préoccupations des gestionnaires d’arbres.

Se limiter ou non aux espèces locales

L’autécologie des espèces, principalement sauvages et forestières, permet d’apprécier leur domaine de tolérance aux facteurs climatiques. « Les connaissances sur les essences orne­men­tales sont souvent encore largement insuffisantes et les collectivités en sont réduites à tester comme on le faisait au xixe siècle ! Les financements publics ne sont pas assez développés pour des travaux de recherche et d’expérimentation. Le centre d’ingénierie Plante & Cité, qui est reconnu pour ses compétences sur le végétal en ville, devrait pouvoir disposer de moyens supplémentaires pour renforcer le travail dans ce domaine », souligne Emmanuel Eigenschenck, ingénieurconseil au sein du cabinet Aubépine. Ce bureau d’études de Rennes (35) travaille ainsi avec Betton, une ville de la métropole rennaise, pour tester sur un site de 5 ha des essences supposées adaptées à l’évolution du climat dans la région. Des boqueteaux de 1 000 m2 chacun sont plantés avec des chênes (Quercus pubescens, Q. ilex) de même qu’avec des espèces originaires de Turquie, tels les marronniers et noisetiers.

Autre constat d’Aubépine et divers professionnels : la nécessité de renforcer les liens avec les arboretums, au plan national et à l’échelon in­ternational. Car ceux-ci renferment des connaissances précieuses sur le comportement d’espèces ornementales exogènes qui pourraient pour certaines s’accommoder des conditions édapho-climatiques urbaines. Le jardin botanique de la Villa Thuret, à Antibes (06), œuvre en ce sens.

La question de l’orientation de certaines collectivités vers une palette exclusive d’essences indigènes ou locales suscite le débat. Pour un bon nombre d’écologues,c’est la seule voiepossible pour répondre à la néces­sité de préserver la biodiversité en danger. Ils s’appuient sur le fait que les espèces présentes naturel­lement dans les écosystèmes ont un pa­trimoine génétique diversifié, qui facilite leurs capacités d’adaptation aux évolutions du milieu. La plupart des professionnels de la gestion des arbres et des producteurs opposent à cette démarche de nombreux arguments pour une approche qu’ils estiment moins dogmatique, laissant la place à un panel d’espèces plus large, essences d’origine locale mais aussi introduites.

La notion floue de l’indigénat

La liste des arbres indigènes rencontrés en France métropolitaine comporte quinze conifères et 62 feuillus (lire l’encadré). Ces essences sont plutôt forestières et ne conviennent souvent pas aux conditions urbaines, toujours beaucoup plus sèches. « À titre d’exemple, on peut citer les sorbiers Sorbus aucuparia ou S. aria, le chêne pédonculé (Quercus robur), le hêtre (Fagus sylvatica) ou encore les saules et les aulnes, qui demandent des sols vraiment frais », relève Au­gus­tin­ Bonnardot, qui est forestier arbo­riste au Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de Seine-et-Marne (CAUE77).

Un certain nombre de ces espèces sont des arbres de première grandeur, dont les dimensions sont difficilement compatibles avec la densification urbaine actuelle et dont la plantation engendre des coûts d’entretien récurrents pour les contenir. Enfin, plusieurs d’entre elles sont touchées par des pathologies graves et parfois incurables, telles que la graphiose de l’orme, la chalarose du frêne, Xylella fastidiosa, l’encre du châtaignier, les scolytes du pin…

La définition même de l’indigénat interroge. En effet, des essences à l’image du merisier (Prunus avium) ou le noyer commun (Juglans regia) sont considérées comme indigènes en France aujourd’hui, alors qu’elles sont originaires d’Asie (bords de la mer Caspienne, Anatolie et Caucase pour le merisier, Turkestan, Himalaya et Chine pour le noyer).

« La souche pétrifiée d’un conifère apparenté au cyprès chauve, datant de l’ère tertiaire (soit environ 33 millions d’années), a été découverte en 1986 dans une carrière de Villejust (91), dans le sud de la région parisienne. De nos jours, cette essence est considérée comme exotique en France et comme indigène dans le sud-est des États-Unis ! » souligne Augustin Bonnardot.

Concernant le caractère envahissant des espèces introduites, il faut rappeler qu’une très faible proportion le développent. Dix sur mille vont se naturaliser, en s’adaptant à leur nouveau milieu de vie, et une seule risque de le coloniser.

Enfin, si certains écologues reconnaissent que la présence d’espèces exogènes envahissantes peut s’avérer réellement problématique dans certains milieux, principalement des zones spécifiques telles que les îles ou les « hot spots » de biodiversité, la perte de cette biodiversité dans le monde est d’abord et surtout liée aux activités humaines. Certaines de ces plantes peuvent cependant être considérées comme bé­néfiques­ car elles peuvent s’installer dans des milieux fortement dégradés.

Les hybridations, la sélection variétale, l’introduction d’es­pèces végétales ve­nues d’ailleurs ont façonné depuis ses débuts l’horticulture ornementale et ont contribué à susciter l’intérêt des hommes pour les jardins, le végétal et la nature, voire à faire naître des passions.

Yaël Haddad

© P. FAYOLLE - Certaines espèces indigènes ne peuvent pas être plantées en ville, comme ici le hêtre (Fagus sylvatica), car le milieu y est trop sec. P. FAYOLLE

© P. FAYOLLE - D’autres espèces indigènes peuvent,elles, être utilisées en plantation, comme­ ici du chêne vert (Quercus ilex) à Nîmes (30).P. FAYOLLE

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