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Pour dépolluer, la chimie en appui du végétal

Les plantes peuvent capter les métaux disséminés dans les sols (lire Le Lien horticole n° 1097, p. 28-29). Mais une action combinée entre végétalisation et captation chimique peut également ouvrir des perspectives intéressantes.

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Si l’idée de cultiver des végétaux pour produire des huiles essentielles est une démarche de diversification intéressante, valoriser des terrains difficiles à exploiter par ailleurs, c’est encore mieux.

Lors des journées techniques Astred­hor les 5 et 6 février 2020, Laurent Thannberger, directeur scientifique de la société Valgo, spécialisée en dépollution des sols, a exposé comment des parcelles urbaines contaminées pouvaient être améliorées par des cultures rentables.

« Nous avons cherché à mesurer quels effets bénéfiques les plantes pouvaient avoir sur des sols pollués », explique-t-il en préam­bule.

Il y a bien longtemps que des laboratoires cherchent à extraire des traces­ métalliques­ par les plantes, notamment avec des espèces « hyper ac­cumulatrices » qui acceptent dans leurs tissus certains produits dans des concentrations supérieures à celles des terrains sur lesquels elles poussent. D’autres chercheurs explorent aussi le « phytomining », c’est-à-dire qu’ils tirent parti de la capacité qu’ont certains végétaux à extraire des métaux.

Une plante pour sol ingrat

« Nous voyons deux limites à ces techniques, relève le scientifique. La première est que les plantes hyper accumulatrices ont une très faible biomasse, donc leur effet épuratoire du sol est faible et la démarche plutôt longue. Par ailleurs, les exploitations minières ne laissent pas un sol propre derrière elles, et l’utilisation des plantes ne garantit pas un “nettoyage” à terme. Nous avons donc imaginé une troisième voie, qui repose sur la culture de pélargoniums odorants. »

Planter dans un sol pollué exige des prérequis : disposer d’une espèce végétale très rustique, capable de supporter les fortes concentrations en métaux et la toxicité qui en découle, mais aussi de pousser dans des sols ingrats.

« Le pélargonium se comporte très bien dans ce genre de situations, poursuit Laurent Thannberger. De plus, il produit une biomasse très importante, jusqu’à 750 kg de matière fraîche pour 100 m2, beaucoup plus que la championne toutes ca­tégories des hyper accumulatrices, Arabidopsis. »

Autre critère : la plante ne doit pas non plus être comestible, que ce soit pour les hommes – afin d’éviter les intoxications – ou les animaux, pour qu’ils ne disséminent pas dans l’environnement les polluants captés. Autre avantage, le pélargonium n’a pas de prédateurs et acidifie légèrement le sol, ce qui aide la solubilisation des métaux.

Aider les plantes

Une expérimentation a été menée sur le site de Metaleurop Nord, dans le Pas-de-Calais, qui traitait des métaux avant sa fermeture au début des années 2000, en partenariat avec l’École nationale supérieure d’agronomie de Toulouse (31).

« Notre hypothèse était de dire que les végétaux ne seraient pas assez rapides pour capter les métaux et que nous allions donc ajouter un chélatant, une molécule qui est capable de “pincer” (chélate, du grec khêlê : « pince ») deux molécules de plomb, le métal qu’il fallait capter sur ce site pollué par les rejets d’industrie », rappelle-t-il.

« Pour collecter les eaux de ruissellement consécutives à l’arrosage des plantes et afin d’éviter que le métal ne migre dans la nappe phréa­tique, nous avons étendu une bâche plastique sous les cultures, reprend-il. Un système très artisanal, toutefois nous avons pu mesurer les traces métalliques aussi bien dans les végétaux que dans les eaux de perco­lation, pour constater que 90 % des métaux étaient présents dans l’eau ! L’augmentation de la solubilité entraînait très peu le métal vers les plantes. Toutefois, le plomb initialement présent dans le sol pouvait être extrait en six ans, selon les extrapolations. »

« Grâce à ces travaux préliminaires, ajoute-t-il, nous avons bâti un projet plus construit, DePLAssMétaux, sub­ventionné par l’Ademe à hauteur de 570 221 euros. Valgo était accompagné dans ce projet par plusieurs partenaires (lire l’encadré Repères). »

C’est dans la ville de Graulhet (81), qui compte pas moins de 167 friches industrielles, souvent en lien avec le travail du cuir, que DéPLAssMétaux a été mis en œuvre en bord de rivière, dans une ancienne tannerie. Cette activité était fortement polluante. Les peaux étaient plongées dans des bains de métaux pour les teinter : chrome (pour le vert, le marron, l’orange), plomb (le blanc), cobalt (le bleu), par exemple, puis rincées dans le cours d’eau…

Des terres récupérées en différents points du site ont été stockées, analysées et repérées sur un plan selon leur concentration en métaux. Un travail a permis de définir la nature des chélatants à mettre en place par type de sol, et chaque lot a été testé au préalable en serre. Des bacs de culture des pélargoniums – permettant de collecter les lixiviats et de les analyser – ont été réalisés sur le modèle de ce qui devait être installé au sein de la friche industrielle.

Les différentes variétés de plantes testées ont des comportements différents sur les métaux à capter et sur l’or­gane dans lequel elles vont le stoc­ker, tige ou racine. Certains métaux comme le chrome sont principalement absorbés par la plante et se retrouvent­ peu dans le lixiviat, contrairement au cuivre. Ce travail a permis de choisir les variétés les plus adaptées. L’un des meilleurs traceurs de l’essai, le plomb, pouvait être éliminé des terres en trois ans, par extrapolation des résultats.

Une récolte d’huiles essentielles correcte

En pleine terre, un concept de « Phytotertre » (voir le schéma ci-dessus) a été imaginé pour cultiver les végétaux en collectant les eaux de ruissellement. L’eau chargée en métaux est épurée en sortie de drain et régénérée en solution déminéralisante pour l’arrosage. Une fois par an, les plantes sont récoltées, les huiles essentielles extraites. La plantation a été réalisée sur bâche pour éviter la diffusion de poussière vers le voisinage. Une station météo reliée à une sonde d’humidité gère l’arrosage et offre la possibilité d’intervenir à distance en cas de panne. En cours d’essai, la parcelle a été abritée pour éviter le brouillage dû à la pluie.

Le séchage et la concentration des boues formées par les lixiviats analysés n’a permis de diviser que par trois les volumes finaux à mettre en décharge, trop peu pour obtenir une rentabilité du processus. Et surtout, en pleine terre, la diminution de la teneur en métaux est assez insignifiante d’une année à l’autre, alors qu’en serre il semblait qu’en trois ans un sol puisse être dépollué.

Les arrosages au site de pleine terre étaient très inférieurs à ceux de la modalité sous serre. Le piétinement ajouté aux chélatants a aussi tassé la terre, faisant baisser la fertilité et entraînant des mortalités de plantes. La première année, 350 kg de ma­tière fraîche ont été récoltés, 730 kg la seconde et 453 kg la troisième, à cause des mortalités. La production d’huiles essentielles s’est montée à 3,5 l/ha, soit la moitié du résultat en culture intensive, ce qui est hono­rable vu les conditions. Ces huiles peuvent se vendre 1 000 euros/l.

« Cela peut s’avérer intéressant si un jour on doit proposer ce type de culture à un agriculteur, note Lau­rent­ Thannberger. En conclusion, nous avons combiné chimie et biologie pour accélérer un procédé que nous savions trop long en biologie seule. Il va falloir s’atteler à d’autres projets, car le processus se montre trop lent. Mais il est intéressant car il isole la terre polluée du sol. Celle-ci étant déplacée, cela peut intéresser les aménageurs : traiter des terres in situ reporte le chantier de construction. Enfin, le procédé s’insère dans le paysage, tout en dégageant une bonne odeur, ce qui est plutôt bénéfique lorsque le milieu est urbain. La culture du pélargonium est de meilleur rapport que celle – à visée énergétique – du miscanthus, ce qui est profitable, au moins sur de petites surfaces. Enfin, nous avons créé un nouvel usage du sol, rendant son exploitation compatible malgré sa haute teneur en métaux. »

Autant de perspectives qui pourront s’ouvrir pour plusieurs sites indus­triels comme ceux de la Vallée de la chimie, au sud de Lyon (69).

Pascal Fayolle

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