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Des plantes relais pour le biocontrôle des pucerons

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Spectre d’efficacité et cultures envisagées

Intérêt : les plantes relais (appelées également « plantes banques » ou « plantes réservoirs ») sont susceptibles de rendre des services en production horti­cole ornementale. Elles sont utiles pour réaliser des élevages autonomes d’auxiliaires au sein des cultures, introduits de façon préventive dans les zones à protéger.

Vers une approche globale : la technique d’utilisation des plantes relais pour la protection biologique intégrée (PBI) sous abri s’est développée dans certaines exploi­ta­tions horticoles au cours des années 2000, surtout pour maîtriser les pucerons, puis a régressé à cause de contraintes (temps de préparation prenant deux mois, arrosage des plantes relais en période chaude, surveillance visuelle régulière des pucerons et auxiliaires, hyperparasitisme des hyménoptères parasitoïdes…) et de résultats peu satisfaisants. Ces difficultés ont parfois augmenté le coût de la PBI et réduit la rentabilité de la production. Mais actuellement, surtout grâce à la dynamique importante de développement de l’agriculture biologique dans les cul­tures légumières (parmi lesquelles le fraisier), mais aussi avec le chan­gement climatique (hivers plus doux, activité quasi permanente des pucerons durant toute l’année, même en hiver quand peu d’auxiliaires agissent), certains horticulteurs reconsidèrent l’intérêt de cette méthode dans le cadre d’une démarche agroécologique globale. Il ne s’agit plus désormais de répondre à une probléma­tique focale « ravageur/plante hôte » dans une situation donnée, mais de créer pour l’ensemble des cultures un écosystème favorable à une régulation naturelle des ravageurs, basée sur le fonctionnement durable des réseaux trophiques et des chaînes ali­men­taires. Cette stratégie nécessite une combinaison judicieuse des méthodes alternatives existantes en PBI pour favoriser la faune auxiliaire indi­gène, qui va compléter l’action d’auxi­liaires importés et acclimatés, afin de réguler les insectes nuisibles. C’est une action préventive qui cherche à favoriser la résilience des milieux cultivés face aux bioagresseurs.

Mode d’action et cibles : en cultures sous abri, le développement d’insectes ravageurs (aleurodes, pucerons…) peut être très rapide, notamment au printemps en serre ou tunnel. L’introduction d’auxi­liaires directement dans la culture ne fonctionne pas toujours très bien : le lâcher des prédateurs ou des parasitoïdes de façon préventive en l’absence de pucerons n’a souvent que peu d’intérêt et présente le risque de perdre les auxiliaires faute de proies suffisantes (absence de ressource alimentaire). À l’inverse, leur in­troduction après avoir détecté des foyers déjà développés peut s’avérer trop tardive et insuffisante pour limiter les dégâts, surtout en conditions chaudes ou tempérées sous serre. Le rôle de la plante relais ou réservoir est de permettre une installation précoce, rapide et durable des auxiliaires, et de contrer l’arrivée des premiers ravageurs sans attendre leur détection.

Trio « plante relais/auxiliaire/proie » : en production horticole ornementale sous abri, les plantes relais sont surtout utilisées pour protéger des végétaux sensibles aux pucerons, comme le cyclamen et le bégonia. L’éleusine (millet d’Inde) s’est révélée comme l’une des plus adaptées. D’origine tropicale, cette graminée supporte très bien les fortes chaleurs. Elle est souvent meilleure que le blé et l’orge, qui tolèrent moins bien les conditions climatiques des abris, en particulier les températures élevées, et le maïs, trop peu attractif pour les pucerons en milieu fermé. L’éleusine peut héberger, par exemple, l’hyménoptère parasitoïde Aphidius colemani, pertinent pour protéger les cultures florales contre divers pucerons. Cet auxiliaire parasite une quarantaine d’espèces, dont le puceron noir de la fève (Aphis fabae), le puceron du melon et du cotonnier (Aphis gossypii) et le puceron vert du pêcher (Myzus persicae).

Mise en pratique : pour réaliser l’infestation artificielle des plantes relais, on uti­lise des pucerons hôtes d’auxiliaires pa­rasitoïdes (hyménoptères Aphidius ervi, A. colemani) ou constituant des proies pour des prédateurs comme la cécidomyie Aphidoletes aphidimyza. Le puceron du merisier à grappes (Rhopalosiphum padi) et le puceron de l’épi du blé (Sitobion avenae), qui vivent sur les céréales, sont faciles à élever sur l’orge, qui est complémentaire de l’éleusine en serre. Il est possible de les acheter chez certains fournisseurs d’auxiliaires. La livraison se fait généralement sur de l’orge cultivée en boîte plastique. La mise en place de graminées en pot infestées par les pucerons au sein des cultures sous abri conduites en PBI favorise la reproduction continue des hyménoptères parasitoïdes ou des cécidomyies­ prédatrices. Par exemple, une boîte de 300 ml contenant 500 pu­cerons R. padi ou S. avenae peut couvrir une serre de 2 000 m2 et assurer ainsi le trans­fert de l’infestation vers d’autres plantes relais installées en serre comme les éleusines en pot. Pour que la dissémination des pucerons issus d’élevage puisse avoir lieu, ces plantes­ doivent être suffisamment développées (au moins 20 à 30 cm de haut). En termes de dose, prévoir un pot d’éleusine pour 100 à 200 m2 d’abris, à ajuster selon le niveau de population et la pression des pucerons. L’une des principales difficultés rencontrées dans ce dispositif réside dans l’approvisionnement des éleusines, car peu de producteurs proposent ces plantes. Il est cependant possible de réaliser la production soi-même, mais cela nécessite de posséder une serre chauffée pour obtenir une production précoce, indispensable à l’activité des auxiliaires en temps voulu et donc à l’efficacité du biocontrôle. Semer en terrine ou en motte en semaine 1 ou 2, à température minimale de 20 °C pour assurer une bonne levée, puis repiquer en semaine 4 en pots de trois litres et rempoter en semaine 7 en conteneurs de 7,5 litres. Autre exigence, les lâchers d’Aphidius doivent intervenir peu de temps après l’infestation avec les pucerons sur les plants d’éleusine (deux jours environ pour des A. colemani sur R. padi), afin que le puceron ne se développe pas trop rapidement (risque de dépérissement du plant d’éleusine). Enfin, la gestion du climat est très importante pour le parasitoïde : il faut, si pos­sible, éviter les forts coups de chaleur et veiller à l’aération de l’enceinte (au-delà de 30 °C, l’efficacité du parasitoïde diminue). Une précaution utile : pour éviter que l’éleusine ne se ressème, penser à supprimer les inflorescences avant leur installation au sein des cultures.

Plantes relais sous abris froids : des essais de biocontrôle réalisés ces dernières années contre les pucerons des cultures légumières sous tunnels ont montré l’intérêt de favoriser le parasitisme naturel. Par exemple, un producteur du sud-est de la France a débuté en 2016 la PBI sur des pastèques­ non irriguées (eau remontant par capillarité), en semant des bandes de seigle le long des parois et en interrangs de chapelles plastique. Les pucerons R. padi se sont installés seuls, suivis des auxiliaires A. colemani et de prédateurs plus généralistes (syrphes, coccinelles). Cette technique efficace a abaissé le nombre de traitements insec­ticides. La seule contrainte est qu’il faut absolument surveiller les équilibres biologiques chaque semaine, car tout peut basculer très vite.

Jérôme Jullien

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