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Protéger Les araignées : des alliées à ne pas mésestimer

La saltique chevronnée (Salticus scenicus) est une araignée sauteuse. Elle ne construit pas de toile et préfère la chasse à l'affût.

Ces créatures à huit pattes constituent une première ligne de défense, en retardant et limitant l’apparition des foyers de ravageurs. Démonstration sur le contrôle des pucerons et des psylles.

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Au-delà de la peur qu’elles occasionnent chez certains, les araignées sont un indicateur de la santé et de la résilience d’un écosystème agricole. Elles jouent un rôle important dans la régulation biologique des ravageurs. C’est ce qu’a souhaité démontrer Alain Ferre, directeur recherche et innovation d’Astredhor Loire Bretagne, lors d’une intervention sur le sujet à la station des Ponts-de-Cé (49), en septembre dernier. À travers des résultats de trois projets (1), il a rappelé pourquoi il est crucial de protéger ces auxiliaires parfois mal aimées.
> A lire également ici : "Astredhor Loire-Bretagne : deux journées pour diffuser les avancées techniques"

Comprendre les forces en présence

« Prédateurs vs. parasitoïdes, oubliez ça, introduit Alain Ferre. Ce qui est signifiant dans la lutte biologique, ce sont les auxiliaires généralistes ou spécialisés : ceux qui mangent tout et ceux qui mangent les ravageurs de foyer (pucerons, acariens…). » La lutte biologique repose sur l’action complémentaire de ces deux types d’auxiliaires aux stratégies bien distinctes (voir tableau). Comprendre leurs différences est la clé pour apprécier le rôle unique des araignées. Ainsi, si les généralistes sont des prédateurs polyphages, souvent territoriaux, les spécialistes sont des prédateurs oligophages et souvent en groupe. La population des premiers n’est pas proportionnelle à la population d’un ravageur, contrairement aux seconds.

Ainsi s’exclamer « Chouette, j’ai plein de coccinelles ! » signifie en réalité que vous avez beaucoup de ravageurs. À l’inverse, avoir de nombreuses araignées signifie que vous aurez moins de ravageurs. « C’est donc une excellente nouvelle d’avoir plein d’araignées, mais pas forcément d’avoir plein de coccinelles... »

Ces deux groupes ne sont pas en compétition mais sont complémentaires : l’action des généralistes prépare et conditionne l’efficacité des spécialistes.

Un cycle de régulation en trois phases : exemple sur concombre

L’interaction entre les auxiliaires généralistes et les auxiliaires spécialistes suit un cycle dynamique. Une étude menée en 2015 sur culture de concombre bio sous tunnel illustre ce ballet en trois actes.

- Phase 1, la surveillance permanente : les arrivées de ravageurs (dans l’essai, des pucerons ailés) sont faibles et dispersées. Les auxiliaires généralistes, comme les araignées ou les chrysopes, patrouillent et consomment les ravageurs isolés avant qu’ils ne puissent fonder une colonie.
Dans l’essai, pendant plus d’un mois (mai), aucune colonie de pucerons ne s’est développée, bien que des arrivées de pucerons ailés aient été constatées chaque semaine. Les araignées suffisaient à contenir la pression.

- Phase 2, le débordement et le début de l’infestation : le nombre de ravageurs arrivant devient trop important et dépasse la capacité de régulation des araignées. Une première colonie commence à se former. Les auxiliaires spécialistes adultes (coccinelles, syrphes) arrivent et « évaluent » la taille du foyer. Ils ne pondent pas encore, car la ressource n’est pas jugée suffisante pour nourrir leur progéniture.
Le foyer de pucerons aptères commence à croître, car les généralistes sont débordés et les spécialistes sont en attente.

- Phase 3, l’intervention des « forces spéciales » : le foyer de ravageurs atteint une taille critique, devenant une source de nourriture abondante. C’est le signal pour les auxiliaires spécialistes. Ils arrivent en masse et pondent au cœur de la colonie, limitant la vitesse de propagation des ravageurs.
Le foyer est contrôlé et éliminé en quelques semaines par cette intervention ciblée et massive.

L’efficacité de la phase 3 dépend entièrement du travail de retardement et de limitation accompli par les généralistes durant la phase 1. Sans les araignées, les foyers de ravageurs exploseraient bien plus tôt et plus fort.

La thomise variable (Misumena vatia), ou araignée crabe, est capable de changer de couleur pour se camoufler. (© Leslie J. Mehrhoff, University of Connecticut, Bugwood.org)

Des traitements hivernaux aux effets… ravageurs

Que se passe-t-il lorsque cet équilibre est rompu par des interventions extérieures ?

Le projet Biofruiti (2022-2024), mené en pépinière fruitière (pommier, poirier, abricotier, prunier, cerisier), offre une démonstration du rôle important mais souvent invisible des araignées. L’étude a comparé deux parcelles voisines, l’une menée en conventionnel, l’autre en bio.

Paradoxalement, avec cinq applications d’insecticides (quatre substance actives) et quatre applications de biocontrôle (trois de soufre et une d’huile de paraffine), la parcelle conventionnelle présentait 68 % de pommiers touchés par le puceron cendré. Sur la parcelle bio, avec zéro application d’insecticide et cinq applications de biocontrôle (trois de soufre, une d’huile de paraffine et une de kaolin), 0 % de pommiers étaient touchés par le puceron cendré.

L’étude a révélé que les araignées pourraient jouer un rôle stratégique à deux moments clés de l’année, sachant qu’elles sont pratiquement les seules à être actives à basses températures :
– à l’automne : c’est la période où les populations d’araignées sont les plus fortes dans la parcelle bio. Elles interceptent et consomment les femelles de puceron cendré qui reviennent sur les arbres fruitiers (plantes-hôtes primaires) pour se reproduire sexuellement et pondre les œufs qui y passeront l’hiver. En empêchant la ponte, les araignées préviennent l’infestation du printemps suivant ;
– au début du printemps : les araignées sont parmi les tout premiers auxiliaires à redevenir actifs. Elles sont présentes pour contrôler les premières éclosions de ravageurs, bien avant que les coccinelles et les syrphes ne soient sorties de leur dormance hivernale.

« Si on valide cette hypothèse, les traitements auraient deux impacts négatifs :
– les traitement hivernaux tueraient plutôt les araignées que les ravageurs, empêchant tout contrôle aux printemps. »

Il s’agirait alors de limiter ou d’arrêter les traitements pendant l’été et/ou d’arrêter tous les traitements d’hiver pour ne faire la première application que sur les premiers foyers (pas de préventif).

L'épeire diadème (Araneus diadematus), araignée emblématique de nos jardin, construit une toile verticale en spirale au centre de laquelle elle se tient à l’affût, tête en bas. (© Karen Snover-Clift, Cornell University, Bugwood.org)

Comment favoriser les araignées en hors-sol ?

Selon les observations réalisées durant les essais Phybi 2, les araignées pondent entre les tiges des fagots à l’automne et hivernent dans les tiges creuses. Une expérimentation sur Bergenia a montré qu’en installant au printemps ces tiges contenant des œufs d’araignées, il était possible de retarder significativement l’infestation par les pucerons par rapport à une parcelle témoin. Un moyen de promotion et de dissémination est donc la disposition de fagots ou de boîte d’œufs avec de la paille à l’automne pour une dispersion dans les cultures au printemps.

(1) Lutte biologique en culture de concombre bio (projet Agréable, 2015) ; Itinéraires bio en pépinières fruitières (projet Biofruiti, 2022-2024) ; Essai de lâcher d’araignée au printemps sur Bergenia (projet Phybi 2, 2025).

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