Même si, à l’heure où ces lignes sont écrites, mi-décembre, les prix sont en baisse assez sensible, l’année 2022 restera incontestablement marquée par le coût prohibitif de l’énergie et le retour de l’inflation. Traduction immédiate pour le secteur du végétal : les plantes demandant de la chaleur subissent des surcoûts, le prix du transport flambe et l’achat de fournitures, que ce soit pour les chantiers en espaces verts ou pour la production, est problématique. Certains produits ont des disponibilités aléatoires et, dans tous les cas, la volatilité des prix complique la réalisation de devis et impose d’en limiter considérablement la durée de validité.
Le constat : l’énergie flambe, l’inquiétude est palpable
Toutefois, à la différence de ce qui se passe aux Pays-Bas, par exemple, peu d’entreprises semblent avoir totalement arrêté de travailler. Et elles ne sont qu’une poignée à penser que la situation pourrait remettre en cause la survie de leur activité, si l’on en croit une enquête menée via notre newsletter hebdomadaire du 2 décembre dernier. Mais l’inquiétude est palpable. En particulier pour les entreprises dont les contrats d’approvisionnement en énergie arrivent à terme, et qui se voient proposer des prix doublés pour les trois prochaines années. Virginie Oddo, qui gère le dossier énergie pour Verdir, explique même que certains fournisseurs proposent, pour la fourniture de gaz, des prix au mois, refusant de s’engager dans des contrats sur plusieurs années. Pas simple, dans ces conditions, d’avoir de la visibilité sur ses prix et de négocier avec ses clients !
Même les producteurs chauffant avec une énergie alternative sont inquiets. C’est le cas pour ceux qui ont recours au bois. Cette énergie est devenue un refuge pour bien des particuliers rebutés par les prix du gaz et de l’électricité. Ils participent ainsi à une raréfaction de la matière première, et donc à la montée des prix…
Enfin, les éventuels délestages et les coupures d’électricité ou gaz afférentes, annoncées pour les prochaines semaines au cas où la demande serait plus forte que l’offre, inquiètent sérieusement. Ce sont en particulier les horticulteurs qui se sentent concernés, malgré des messages rassurants de certains ministres, en particulier Bruno Le Maire, à la mi-décembre. Malgré des annonces de coupures d’électricité de deux heures, tournantes entre les secteurs, et concentrées les jours les plus froids (risque surtout en janvier et début février), les producteurs ne sont pas certains qu’une culture fragilede serre puisse supporter deux heures sans chauffage à la nuit tombée, quand la demande en énergie devient plus importante. « Le niveau d’isolation de la serre fera la différence, alors même que les faibles coûts de l’énergie ces dernières années incitaient peu à ce type d’investissement », précise Virginie Oddo. Or, quel que soit le mode de chauffage, c’est le plus souvent l’électricité qui gère le déclenchement des chaudières et la régulation du climat dans la serre !
Quant au risque de délestage pour le gaz, il inquiète dans une moindre mesure car, d’une part, il concerne les seuls « gros consommateurs « (+ 5 GWh/an) et, d’autre part, il se traduira par des obligations de baisse de pression et non par des coupures complètes. Il faut noter que toutes les informations, notamment « météo », pour l’électricité et le gaz, sont respectivement disponibles sur les sites EcoWatt et EcoGaz.
Les conséquences : distorsion de concurrence, incertitudes et baisse de production
La filière se retrouve aujourd’hui dans une situation plutôt inédite pour la production : entre ceux ayant des contrats garantis pour la prochaine année, voire deux, et ceux qui ont dû renouveler leur contrat de fourniture, une distorsion de concurrence importante a été générée.
Mais ce n’est peut-être pas ce qui tracasse le plus les chefs d’entreprise. L’inquiétude dont ils font le plus souvent part dans leurs réponses à l'enquête du Lien horticole porte sur le comportement des consommateurs au printemps prochain. Il s’agit d’une période capitale, et c’est à ce moment que l’impact sur les citoyens de la flambée des coûts de l’énergie pourrait être maximal. En effet, les différents boucliers mis en place par l’État pour les carburants ou l’électricité prendront fin pour les premiers et seront allégés pour la seconde, risquant d’augmenter d’autant les dépenses des ménages. Évidemment, si le prix de l’énergie retombait, ces préoccupations deviendraient sans fondement, mais malgré un reflux des coûts en décembre, la plupart des experts estiment que les cours du pétrole et du gaz devraient rester durablement élevés. Et c’est aussi le sentiment de la grande majorité des personnes ayant répondu à cette enquête… La conséquence : la consommation pourrait bien continuer de fléchir au printemps prochain et le chiffre d’affaires de la filière en pâtir fortement. Aux Pays-Bas, la banque ABN Amro a publié une estimation : les volumes de plantes commercialisés pourraient baisser de 20 % en 2023 après 10 % en 2022, en raison de la baisse du pouvoir d’achat. Ces prévisions « sont entourées de nombreuses incertitudes », précise l’étude, que s’est procuré Brand Wagenaar, consultant. « Dans l'horticulture sous serre (-7 %), de nombreuses entreprises ont ajusté leur stratégie de culture, mettant les produits sur le marché plus tard. Il y a alors pénurie en hiver, alors qu'il y a risque de surplus en été. Les coûts restent également élevés pour les cultures en 2023 ».
Les attentes : des aides, mais surtout un plafonnement des prix
Le gouvernement français a mis en place plusieurs dispositifs d’aide pour les entreprises (lire l'encadré). Un panel que les professionnels ne remettent pas en cause, mais ils préféreraient majoritairement un plafonnement des prix de l’énergie. Une demande en ce sens est d’ailleurs portée par Verdir et, pour l’ensemble du monde agricole, par la FNSEA. Pour l’heure, elle a été retoquée au motif d’une contrainte budgétaire trop forte pour les pouvoirs publics.
Restent aussi les emprunts garantis par l’État pour faire face aux difficultés immédiates de trésorerie. Contrairement à la période Covid, les professionnels se montrent plus circonspects sur ce point. Ils s’interrogent sur le taux et la durée de remboursement, craignant peut-être aussi le cumul avec des aides passées pas encore soldées…

Sur le terrain, on s’adapte comme on peut
Hormis quelques-uns qui préfèrent serrer les dents et attendre, ne rien faire « car c’est compliqué et coûteux », beaucoup d’entreprises que nous avons interrogées dans notre enquête ont cherché à anticiper. Les actions vont de l’achat d’un groupe électrogène pour faire face aux éventuelles coupures d’électricité a des cuves importantes – jusqu’à 6 000 litres dans un témoignage – pour alimenter soit un groupe, soit des engins si jamais une nouvelle grève venait à se déclencher dans les transports (les ruptures de carburant liées aux grèves de l’automne sont encore bien présentes dans les têtes. Elles ont largement perturbé l’organisation du quotidien des entreprises !). Certains affirment avoir changé les brûleurs des chaudières pour utiliser indifféremment du gaz ou du fioul, selon ce qui sera le plus facile et le moins cher à se procurer.
Dans les points de vente, la crise a accéléré la mise en place d’éclairages à LED à la place des néons ou autres éclairages classiques gourmands en électricité. La lumière est plus parcimonieuse, en particulier dans les parkings : des minuteries modernes et fiables sont par exemple citées dans un témoignage pour réaliser des économies non négligeables. Les décorations de Noël et leurs incontournables lumières sont aussi plus limitées, parfois supprimés en extérieur et conservées dans les points de vente ou dans les entreprises. La température des espaces de vente est souvent abaissée.
Les locaux techniques des salariés voient leur chauffage limité à leur durée d’utilisation par des minuteries, les appareils obsolètes remplacés par des radiateurs nouvelle génération moins gourmands en énergie. Et les salariés ont parfois été équipés de vêtements plus chauds pour supporter des conditions de chauffage limitées.
Dans les cultures, comme cela a été dit pour les Pays-Bas, certains ont décalé les mises en culture et vendront plus tardivement. On peut imaginer qu’il y aura moins d’annuelles très précoces dans les rayons au printemps prochain ! Un producteur a choisi de ne plus produire d’annuelles pour passer à des vivaces en plus gros volumes. Et les cultures sont regroupées pour chauffer moins de surface, et tant pis pour la compatibilité des besoins des unes par rapport aux autres, chacune devra s’adapter…
Un temps d’adaptation sera nécessaire
Il y a fort à parier que ces adaptations, partant un peu dans tous les sens, n’en soient qu’à leurs débuts. Ne serait-ce que parce que la situation risque d’évoluer encore, que ce soit le prix de l’énergie, le comportement des consommateurs ou, même si l’on n’en parle plus, la menace est toujours là, la situation sanitaire. À suivre, donc !