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Après les canicules et la sécheresse, le temps des interrogations

Après un été éprouvant pour une grande partie du territoire de la métropole et les pays voisins en Europe, humains et plantes ont beaucoup souffert. Dans quel état d’esprit les horticulteurs sont-ils au moment de préparer les saisons 2023 ?

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En cette rentrée, les producteurs ont fait le bilan mais restent avec de multiples soucis et questionnements. Que produire pour le prochain printemps ? Devrons-nous subir encore plus de restrictions d’arrosage et d’irrigation ? Quelles plantes ne décevront pas les jardiniers en 2023 ? Quel « reste à vivre » pour chacun après toutes les augmentations et dépenses ? D’autant que nul ne peut, pour l’heure, prévoir ce qu’il adviendra en 2023. Il faut se rappeler que de précédents étés caniculaires ont été suivis de saisons printanières et/ou estivales particulièrement fraîches et pluvieuses.

Cet été : inégalités de situation, dégâts très variables

Les producteurs – établis en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Bretagne, Maine-et-Loire, Île-de-France, Oise… – qui ont répondu au questionnaire du Lien horticole ou rencontrés au Salon du végétal à Angers en septembre dernier ont tous souffert des épisodes de canicule et de sécheresse. La moitié environ ont subi des restrictions, des vigilances sécheresse, voire des interdictions préfectorales pour l’arrosage et l’irrigation. Une des grandes difficultés aura été de comprendre ces mesures, ressenties comme injustes, et donc de les accepter car très variables d’une commune ou d’un bassin à l’autre. À quelques kilomètres, on pouvait arroser ou non, seulement jusqu’à midi ou uniquement la nuit... En général, c’était plus favorable pour les installations au goutte-à-goutte, rédhibitoire pour les aspersions. Être près d’une rivière, avoir un puits ou des réserves a permis de mieux tenir. Toutefois, des responsables d’essais ou d’espaces verts ont constaté à nouveau que certaines plantes ou espèces souffrent de sécheresse et pas ou peu de la chaleur, ou inversement, ou encore les deux.

Les producteurs ont noté des dégâts ou des cultures en souffrance, aussi bien en horticulture sous serre qu’en pépinière d’extérieur, et même en vivaces de plein air. Deux témoignages résument bien la situation : « Après un bon début de printemps, les ventes ont commencé à diminuer dès mai, encore plus en juin, pour s’écrouler en juillet et août. Pour nous, septembre n’est pas un gros mois, 2022 le confirme déjà. Nous espérons une reprise en octobre... » ; « La vente du printemps a été très difficile, toutes fleurs confondues. Il n’a pas été possible de répercuter les hausses du chauffage, du transport et des matières plastiques. Je m’inquiète pour 2023. »

La situation a pu être très grave : un jeune pépiniériste a ainsi perdu pour 40 000 euros de plantes, remettant presque en cause la survie de sa toute récente installation, en raison d’un forage soudainement à sec dès la mi-juin alors que ses voisins arrivaient à arroser leurs maïs à grands jets…

La Toussaint pourrait être affectée, en particulier avec des plantes potentiellement irrégulières sur chrysanthèmes en extérieur. Mais ce n’est pas le cas partout. Et chacun espère que cette fête pourra rassurer les producteurs et renflouer leur trésorerie.

Des mesures pour les plantes, la clientèle, les personnels

Certaines cultures ont subi des pertes significatives : bégonias (feuillage brûlé), impatiens de Nouvelle-Guinée (fleurs brûlées) ou encore les repiquages (pousses très irrégulières, par exemple sur pensées). Il a fallu réagir rapidement, compte tenu de l’urgence : arrosage plus souvent par subirrigation, mise en place d’ombrières « précaires », déplacement des plantes pour éviter l’effet de réchauffement sous les ouvrants, aération de la totalité des serres par ouverture des portes même la nuit (avec un risque de vol)… Malgré cela, l’air trop chaud a pu occasionner des brûlures superficielles. Certaines plantes sont ou seront retravaillées, retaillées, retardant d’autant la commercialisation et « embouteillant » la production. La pousse de la première série de pensées, très inégale, va nécessiter un travail supplémentaire pour garantir une qualité indispensable à la vente au détail.

Pour certains producteurs détaillants, les mesures à prendre ont aussi concerné la clientèle, par exemple la mise en place de points d’eau, de la ventilation pour les attentes aux caisses.

L’été 2022 restera dans les mémoires, notamment pour son fort impact sur la fréquentation et donc les ventes : avec parfois 45 °C dans les serres, certains ont parfois fermé leur espace de vente quelques après-midi, accentuant la baisse de chiffre d’affaires, pouvant atteindre 20  %...

Le personnel a aussi souffert. Des mesures spécifiques ont été prises, ici ou là, notamment l’adaptation des horaires, un roulement des présences de salariés dans les serres de vente, des pauses plus longues…

Mais, si les difficultés perdurent, des questions se poseront aussi sur d’éventuelles mesures de chômage partiel à venir. Généralement, les professionnels de l’horticulture étaient assez habitués à jongler avec les facéties climatiques. Malgré tout, nombre d’entre eux se trouvent maintenant dans de grandes incertitudes : « Le problème de ce type d’événement, la canicule – imprévisible dans le temps et dans son inten­sité –, empêche toute anticipation­ possible à échelle mesurable. »

Quelles plantes pour préparer 2023 ?

Climat, guerre, pénuries d’approvisionnement, hausses des coûts de l’énergie, spéculations : toutes les strates de soucis s’ajoutent pour les producteurs. Du coup, faut-il reculer les achats et les mises en production ? Faut-il supprimer totalement certaines cultures ? En général, c’est le flou total pour le moment sur ce qu’il convient de produire en 2023, en espèces comme en quantités, avec une incapacité à décider. Sans réponses, les fournisseurs de semences et plants subissent des commandes encore plus tardives que d’habitude, bousculant toutes les planifications en amont. Les producteurs confirment : certains n’envisagent pas de grosses modifications dans les quantités mais plutôt des ajustements dans les plannings d’approvisionnement en jeunes plants. Mais à la suite des baisses de ventes au printemps 2021, les plantes à massifs, dont les « géraniums », en particulier les types lierres doubles, sont sur la sellette. Si certains vont supprimer les cultures précoces nécessitant du chauffage, d’autres vont diminuer (jusqu’à 30  %) les productions les plus tardives nécessitant un apport d’eau plus important. Des reports sur cultures de niche sont de plus en plus souvent évoqués : fleurs locales, fleurs coupées, fleurs à sécher (immortelles, statices)... Sont également évoqués les cactées, plantes grasses, Anigozanthos

Au-delà des cultures, les remises en cause concernent aussi plus globalement les investissements. Pour nombre de producteurs sous serre, après les sommes engagées pour réduire les consommations en énergie, certains doivent en plus reconsidérer leurs installations par des travaux spécifiques pour se protéger de la canicule. Quand ils ne sont pas présents, écrans thermiques, brassage d’air, aérations latérales démontables, humidificateur en zone de caisse pour rendre l’attente de la clientèle plus supportable… devraient faire l’affaire des fournisseurs. Or « les marges actuelles, des augmentations de prix au printemps 2023 vont nous obliger à une limitation des cultures “gourmandes” en énergie et en intrants, avec forcément des choix engageant l’avenir de nos productions,et d’autres pistes encore à découvrir et imaginer ».

L’avis est assez partagé : « Nous n’avons que peu, voire aucune projection pour envisager des cultures plus adaptées à la sécheresse. » Et Christophe Jarry, président du Cercle des horticulteurs d’Île-de-France, de préciser : « J’ai commencé à interroger notre clientèle des collectivités publiques : celles-ci souhaitent ne plus utiliser des plantes “aquavores”. Même le vocabulaire s’adapte aux crises ! »

Odile Maillard

Que soient ici remerciés tous les témoins qui ont permis de réaliser cette synthèse.

Pour en savoir plus : « Sécheresse : Causes et actions pour économiser l’eau » : https://www.ecologie.gouv.fr/secheresse-economiser-leau

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