Login

Répondre à la détresse des exploitants

« Lors d'une cessation de paiement, le but est d'obtenir un redressement auprès d'un tribunal de grande instance. Il n'est pas obligatoire de faire appel à un avocat, ni à un comptable. Peu de personnes le savent », regrette Marc Coussy, viticulteur et bénévole à Solidarité Paysans Aquitaine.

Aider les agriculteurs en difficulté, sans frais et en toute confidentialité : c'est possible. Témoignage en Aquitaine, avec Marc Coussy, viticulteur et bénévole de l'association Solidarité Paysans.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Comment s'exerce une aide à un exploitant en difficulté ? « Chaque fois que c'est possible, nous proposons une première rencontre sur site afin de bien mesurer l'importance du problème. C'est bien plus délicat, par exemple, quand il y a une vraie divergence de vision entre parents et enfants. » Marc Coussy parle d'expérience, de par son parcours en agriculture, et comme bénévole à Solidarité Paysans Aquitaine. Viticulteur, il a d'abord géré pendant 10 ans les dossiers d'installation à la direction départementale de l'agriculture (DDA), puis a été, 10 ans également, en poste à la protection des végétaux (ex-SRPV). À ce titre, il a exercé des contrôles pour le passeport phyto en pépinière et a constaté les profondes mutations dans l'agriculture et l'horticulture, dont le renforcement de la concurrence étrangère et ses impacts : développement des importations, primauté des activités de revente au détriment de la production, départ des productions de boutures vers le Portugal pour les plantes méditerranéennes et l'olivier, vers le Maroc pour le géranium, reconversion vers le paysage... « Nous avons perdu beaucoup de petites exploitations artisanales. La redevance pour la protection des végétaux n'a pas été efficace ; elle s'est ajoutée aux autres charges. Les entreprises qui ont survécu ont dû investir ; il y a eu un phénomène d'ultraconcentration. Les obtenteurs, avec un savoir-faire spécifique, ont réussi à se maintenir, notamment certains en pépinière horticole ou arboricole, et en chrysanthème dans le secteur de Bergerac (24). Mais pour beaucoup d'autres, à l'époque et encore aujourd'hui, il y a des difficultés sérieuses, notamment économiques, à surmonter », regrette le viticulteur.

Souvent, l'appel à l'aide arrive très tard, presque trop tard. Mais un accompagnement, voire une médiation, sont toujours possibles pour un diagnostic, une procédure... « S'il y a eu une déclaration de cessation de paiement, nous pouvons encore tenter d'obtenir un redressement, auprès d'un tribunal de grande instance (TGI) dans lequel les juges de métier ont souvent de l'empathie pour le monde paysan. À cette phase, il n'est pas obligatoire de faire appel à un avocat, ni à un comptable ; il y a juste un formulaire de déclaration Cerfa à remplir. Souvent ce n'est pas connu. Nous-mêmes, à nos débuts, avions contacté des avocats qui faisaient appel à des experts comptables et autres spécialistes... D'où des dépenses non négligeables. Certaines fois, on peut parler d'un marché des entreprises agricoles en difficulté, surtout pour les grosses exploitations. »

Le prélèvement privé, un moindre mal

Solidarité Paysans (*) ne fait pas payer ses interventions. « Si besoin, nous mandatons un groupement national d'employeurs qui connaît les problèmes juridiques, et qui a une expérience de terrain. Il y a alors, pour l'exploitant, juste une cotisation symbolique à payer (25 euros par an en Gironde). Ce partenaire va proposer un plan de redressement. Il existe des possibilités de ce type, quasiment sans frais, par exemple sur 15 ans ; ça peut-être intéressant pour une personne en difficulté et assez récemment installée, sans dotation jeune agriculteur (DJA). Parfois, il faut établir un point sur la situation familiale, faire appel à la MSA, au département, à la région, envisager une demande de RSA ou, ultime recours, exceptionnellement, bénéficier de l'aide des Restaurants du coeur ! »

Pour protéger la famille, « il y a eu des tentatives gouvernementales. La MSA a anticipé en introduisant la notion de prélèvement privé (ligne comptable 108) pour que l'exploitant dissocie son compte de résultat d'exploitation de son revenu personnel. Car trop souvent, le réflexe et la tentation, en début de crise, c'est de décapitaliser l'exploitation, de prélever sur la dotation aux amortissements : alors, au mieux, on réajuste le résultat, provisoirement... Au final, toute la famille en pâtit. Ce revenu par prélèvement privé, c'est un moindre mal, quand il est choisi. Mais généralement, peu de mesures sont vraiment adaptées, ni au point. Souvent, la situation est compliquée à résoudre à cause d'aberrations dans les calculs, de critères opaques et non détaillés. C'est le cas notamment du RSA : les non-salariés agricoles y auraient droit, mais si le résultat comptable est pris en référence pour le revenu... Notre association intervient dans l'urgence, avec si besoin un mandataire judiciaire. Il nous arrive de suivre un exploitant durant deux ou trois ans. Toutefois, nous ne pouvons pas assurer un suivi sur le très long terme. Cela manque. Nous ne sommes qu'une douzaine de bénévoles (dont un banquier), mais seulement 5 à 6 pour supporter la plus grosse partie du travail. En 2016, nous suivions 59 dossiers d'exploitations agricoles, juste pour notre secteur, dont 41 nouveaux cas. Nous échangeons et discutons avec les intéressés, notamment sur ce qu'il ne faut pas reproduire quand le problème vient de la façon de gérer. C'est différent si « l'accident » est conjoncturel. Nous proposons aussi une formation à la gestion : parfois, il faut revoir la façon de vendre, les choix de production par rapport au contexte. »

Pour Marc Coussy, il est important que les jeunes qui s'installent ne délèguent pas toutes leurs responsabilités : « Il faut qu'ils soient polyvalents dans leur rôle de chef d'entreprise, qu'ils mettent la main à la pâte dans les problématiques de gestion. Il ne suffit plus d'être un bon technicien, d'avoir sa force de travail et du savoir-faire. »

Odile Maillard

(*) L'association s'inscrit dans le cadre de l'économie sociale et solidaire. Pour en savoir plus : Palliez vos difficultés avec Solidarité Paysans, le Lien horticole n° 979 du 6 juillet 2016.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement