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Difficultés : des outils juridiques à connaître (1re partie)

En cas de problèmes structurels, conjoncturels, relationnels ou financiers, les entreprises disposent de divers dispositifs juridiques. Mandat ad hoc, conciliation, sauvegarde, redressement judiciaire... que recouvrent ces différents termes ? Comment utiliser ces procédures à bon escient ?

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Dans le cadre des portes ouvertes de l'Astredhor Sud-Ouest, le 24 juin dernier à Villenave-d'Ornon (33), la FNPHP Aquitaine a organisé son assemblée générale suivie d'une réunion d'information sur les procédures juridiques que doivent connaître les entreprises qui rencontrent des problèmes : mandat ad hoc, conciliation agricole ou de droit commun, sauvegarde, redressement, voire liquidation judiciaire. Maître Bernard Quesnel, avocat spécialiste des restructurations d'entreprises en difficultés à Bordeaux (33), a apporté son éclairage sur ces questions.

La sauvegarde de l'entreprise

UNE PRIORITÉ DANS LES TEXTES DE LOI

La loi française du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires (loi n° 85-98 du 25 janvier 1985) institue une procédure prioritairement destinée à protéger les établissements en difficulté, en permettant « la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif » (*). « Le redressement judiciaire est assuré selon un plan arrêté par décision de justice à l'issue d'une période d'observation. Ce plan prévoit, soit la continuation de l'entreprise, soit sa cession », précise la loi.

D'autres lois complètent le texte de 1985 (loi n° 94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés, loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 relative à la sauvegarde) en insistant sur les procédures deprévention (mandat ad hoc et conciliation) et en introduisant la « sauvegarde ». En particulier, la loi du 26 juillet 2005 vient réformer en profondeur le droit.

L'entreprise agricole en difficultés

SES SPÉCIFICITÉS

Comme l'introduit Bernard Quesnel, « un établissement se conçoit dans sa globalité, on ne peut pas avoir une vision uniquement juridique ». Les difficultés rencontrées peuvent être structurelles, conjoncturelles, relationnelles ou financières, elles ne confrontent pas moins le dirigeant à un sentiment d'échec. Car « entreprise en difficultés » rime souvent, dans l'esprit des gens, avec « exploitation mal gérée, dont le patron a failli ». Cette vision « infamante » prédomine en agriculture tant il est vrai que « le monde rural est très mal préparé à restructurer ses effectifs pour augmenter sa rentabilité ». Un levier d'action utilisé par les industries, mais auquel n'a souvent recours le producteur que lorsqu'il est trop tard...

« L'entreprise peut se servir des capacités offertes par la multiplicité juridictionnelle », affirme Bernard Quesnel. « Par exemple, faire appel au tribunal de première instance de la Sécurité sociale permet de bloquer une situation et de bénéficier d'un gain de temps... » Tout est bon pour décrocher de précieuses semaines, encore faut-il savoir « employer les bases processuelles ».

L'agriculture dispose des mêmes outils juridiques que les autres secteurs, avec quelques spécificités. Ainsi, la durée du plan (mis en place lorsqu'une exploitation a une possibilité sérieuse d'être sauvegardée) est limitée à quinze ans au lieu de dix. La conciliation de droit commun n'est pas ouverte aux agriculteurs.

Procédures préventives

NE PAS AGIR SOUS LA CONTRAINTE

Le mandataire ad hoc et le conciliateur aident l'entreprise à réaliser un accord avec ses créanciers afin de faciliter sa restructuration. Le dirigeant reste en fonction tout au long de la procédure. Souple et confidentiel, le mandat ad hoc peut être utilisé comme un préalable à la procédure de conciliation ou de sauvegarde. Il n'est possible que si l'établissement n'est pas déjà en état de cessation des paiements (c'est-à-dire quand il ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible). C'est le responsable légal qui demande au tribunal de commerce (pour les sociétés commerciales) ou au tribunal de grande instance (pour les autres cas) la désignation d'un mandataire ad hoc. « Au contraire de la conciliation et des procédures curatives qui respectent des délais stricts, un mandat judiciaire n'a pas de condition de délai », souligne Bernard Quesnel. L'avocat ne reconnaît pourtant qu'un seul cas dans lequel cette procédure est intéressante : pour le traitement des difficultés bancaires. Car en cas de dettes fiscales et sociales, le mandataire saisit la Commission départementale des chefs des services financiers (CCSF) qui met certes en place un échelonnement des dettes, mais sur une durée de un à trois ans maximum : « Un délai souvent trop court. »

Concernant la conciliation de droit commun, seules les sociétés commerciales exerçant une activité agricole en bénéficient. Les agriculteurs restent soumis au règlement amiable prévu aux articles L 351-1 à L 351-7 du Code rural. « La conciliation est enfermée dans un délai contraint (cinq mois maximum) », précise Bernard Quesnel, qui recommande de se faire accompagner à la fois par son expert-comptable et son avocat. Autre différence avec le mandat ad hoc : la conciliation est ouverte aux entreprises dont l'état de cessation des paiements est récent (moins de quarante-cinq jours).

Une clé de réussite

BIEN PRÉPARER LE TERRAIN EN AMONT

Lorsque les problèmes pointent leur nez et que les négociations commencent - notamment sur les crédits bancaires -, s'ouvre en fait devant le gérant un véritable parcours du combattant. « Les banques ont beaucoup de mal à conceptualiser l'évolution de l'entreprise sur une durée plus longue que celle prévue dans le contrat d'origine », illustre Bernard Quesnel. L'interlocuteur du dirigeant étant un employé qui n'a pas intérêt à prendre de risques, « il faut vous attendre à une réponse négative ». Les négociations sont d'autant plus compliquées qu'un établissement horticole exerce de multiples activités (production, transformation, commercialisation), avec différents statuts, et travaille avec diverses sociétés bancaires.

« De fait, une conciliation bien préparée est une conciliation organisée en amont, d'où l'intérêt du mandat ad hoc. Car une fois passé le délai de la conciliation, il est trop tard. Le travail préparatoire permet de "déminer" le terrain, de connaître ses interlocuteurs, de poser les vraies questions. » Obtenir le rééchelonnement d'une dette, solliciter un nouveau crédit bancaire, obtenir un moratoire pour le paiement d'une somme due à un organisme, rechercher de nouveaux investisseurs ou partenaires... : autant de démarches qui peuvent donner une bouffée d'air, quand elles ont pu être accomplies à temps !

Si les mesures préventives peuvent rester confidentielles, les procédures curatives laissent quant à elles une trace : « Tous les partenaires seront au courant, c'est pourquoi il vaut mieux bien connaître la nature de ces pratiques et les moyens de les éviter... »

Procédures curatives

LE PLAN

Les procédures curatives permettent le gel des dettes antérieures à cette action dans l'attente d'une restructuration aidée par la mise en place d'un étalement des créances. Le délai d'apurement des dettes court sur une durée de quinze ans pour les sociétés agricoles (au lieu de dix ans pour les autres).

Lorsque l'accord de conciliation a échoué, la situation financière détermine le choix de la procédure curative. « En réalité, durant le temps de la conciliation, si elle a mal été préparée et qu'elle aboutit à un échec, les difficultés continuent (car il n'y a pas de suspension des poursuites) et souvent l'entreprise se retrouve en cessation de paiement », avertit Bernard Quesnel.

La sauvegarde est une procédure strictement volontaire mise à la disposition des établissements qui ne sont pas en état de cessation des paiements. L'objectif de cette pratique est d'inciter les chefs d'entreprises à dévoiler leurs difficultés de manière précoce. Comparée à un redressement, elle offre donc plus de liberté au dirigeant, qui est le seul à pouvoir en demander l'ouverture. Il assure l'administration de la société pendant la période d'observation (d'une durée maximale de six mois, renouvelable une fois). À l'issue de cette période, il présente au tribunal un bilan économique et social (pour établir avec précision la situation), voire un bilan environnemental, ainsi qu'un plan de sauvegarde (pour déterminer quelles sont les mesures de redressement envisagées, ainsi que les modalités d'apurement du passif). L'adoption du plan par le tribunal clôture la période d'observation.

Le redressement judiciaire s'adresse aux entreprises en état de cessation des paiements. Il leur permet de retrouver un second souffle grâce à une restructuration aidée par l'étalement des dettes. Il faut savoir qu'au lendemain du jugement arrêtant le plan de redressement, les créanciers peuvent poursuivre la caution personne physique, engageant l'établissement dans une voie sans issue. Dans le cadre d'un plan de sauvegarde, les créanciers doivent attendreles échéances du plan pour poursuivre la caution !

Processus douloureux pour le gérant mais peut-être moins qu'une liquidation, la cession dans le cadre du redressement judiciaire permet la sauvegarde de l'outil de production et d'emplois grâce à un apurement au moins partiel du passif.

Valérie Vidril

(*) http://tinyurl.com/p76pn4f. Découvrez dans la prochaine édition (le Lien horticole n° 948 du 11 novembre 2015), la seconde partie de ce sujet consacrée à l'anticipation des difficultés.

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