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Pépinière fruitière de la lande : une installation de longue haleine

À Laulne, dans la Manche, Émeric Levoy a pris son temps pour s'installer: celui de se former, d'acquérir du métier, d'établir son réseau professionnel et d'enrichir son parc de matériels... tout en restant salarié. Aujourd'hui, ce passionné quitte progressivement son employeur en vue de se consacrer, à terme, uniquement à sa propre entreprise.

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« En 2011, quand je suis allé à la chambre d'agriculture pour les aides “Jeune agriculteur”, ils m'ont répondu “Mais vous êtes déjà installé !” », raconte en souriant Émeric Levoy. Bien qu'officialisée en début d'année 2012, la Pépinière fruitière de la lande, à Laulne (50), ne s'est pas faite en un jour. Et à 32 ans, le jeune pépiniériste a déjà accumulé dix ans de métier avant de s'installer, construisant au fil des années son projet, patiemment mais sûrement.

Formation et expérience

DÉJÀ... SAVOIR CE QU'ON VEUT FAIRE

Après un bac pro « production horticole spécialité pépinières » au lycée professionnel Lemonnier (Caen), puis un BTS à l'école d'horticulture de Saint-Ilan (Langueux), Émeric Levoy est embauché à la pépinière Armor multiplants (22) pour travailler à la multiplication. « En fait, je me suis rendu compte que ce n'était pas du tout ce que je recherchais. Ce travail sous serre était répétitif... Je me suis alors posé la question de ce que je voulais faire. » La réponse, le jeune homme la trouve dans son amour de la terre, des fruits et sa passion pour le greffage. « J'ai fait ma première greffe à 14 ans! » Il apprend ensuite les bases de son métier en production d'arbres fruitiers aux pépinières Ogereau (Ambillou-Château) d'octobre 2002 à janvier 2004. « Le travail était dur, mais enrichissant. Puis l'opportunité s'est présentée de retourner dans ma région. Je suis allé voir mon ancien maître de stage (en bac pro) qui m'avait proposé un poste à ma sortie de BTS. Ça l'intéressait toujours que je travaille pour lui. » Émeric Levoy et son épouse (qui travaille en jardinerie) retournent auprès de leurs familles. Jusqu'en 2010, le jeune homme travaille à temps complet pour Emmanuel Lebas, aux pépinières du Havre de la Vanlée (50). Mais il ne cache pas son objectif à son employeur: monter sa propre entreprise. Emmanuel Lebas comprend ce désir tout en posant une condition: « Tu ne pars pas d'un seul coup. » Message reçu : en 2010, Émeric Levoy passe à 80 %, début 2012 à 50 %.

Double activité

ENSUITE... ÊTRE MOTIVÉ

Il y a très peu d'installations en pépinière en Basse-Normandie. « Cela implique énormément de sacrifices », explique ce père de deux enfants. « Quand je ne travaille pas en tant que salarié, j'interviens le weekend sur mon exploitation. » En 2005, il a planté 2 500 m2. Depuis deux-trois ans, il a atteint son rythme de croisière d'un hectare planté par an: « Je suis au maximum. » Il travaille de 50 à 60 heures par semaine, voire 70 heures lors des arrachages fin octobre-début novembre: « Tout le monde veut être livré pour la Sainte-Catherine... » Son souhait: atteindre 4 hectares plantés, mais pas plus: « Mon but, c'est déjà de vivre de mon exploitation. » Il assume seul tous les travaux, dont la plantation, à la main avec un plantoir, dès le mois de janvier. « Une planteuse coûte cher, et une telle machine nécessite plusieurs opérateurs. » L'investissement se réfléchit également selon la surface et le temps d'utilisation. Pour ce travail, il a besoin de dix jours, à une cadence de 2 000 plants en 8 heures. Il y a aussi le greffage, le désherbage, la taille, les traitements... L'arrachage s'effectue avec une souleveuse attelée derrière le tracteur pour les scions et les quenouilles, et avec une arracheuse à collier pour les tiges. Le traitement avec l'atomiseur a lieu essentiellement au printemps, période critique pour le démarrage des greffes avec des produits respectueux des auxiliaires.

Régime d'imposition

DU STATUT DE COTISANT SOLIDAIRE AU FORFAIT AGRICOLE

Émeric Levoy est officiellement installé depuis février 2012. « De 2007 à cette date, j'étais cotisant solidaire, avec moins de 1,5 hectare de pépinière planté. » Cette surface correspond à une demi-SMI (surface minimale d'installation) en pépinière pleine terre dans la région, seuil en dessous duquel « l'activité est considérée comme annexe ». Désormais, il est au forfait agricole, un statut qu'il conservera tant qu'il ne dépassera pas le plafond de 76 300 € de chiffre d'affaires, son imposition étant calculée sur une base de 7 000 euros de bénéfice par hectare. « Pour embaucher un salarié, je devrais réaliser un chiffre d'affaires largement supérieur au plafond du forfait et passer au réel. » Même si Émeric Levoy a commencé ses premières plantations en 2005, puis commercialisé deux ans après, il n'a été prêt « à passer le cap » qu'en 2010. « Avant je commercialisais, mais les rentrées, modestes, me servaient à remettre en culture. » Peu à peu, le pépiniériste a pris de l'assurance, tout en prospectant pour exposer sa gamme de fruitiers. « J'ai consulté l'annuaire du Lien horticole, j'ai téléphoné et je suis allé chez les producteurs pour leur présenter mes produits. Par rapport au marché, il faut avoir un peu de tout. » Aujourd'hui, sa clientèle se compose de producteurs, quelques jardineries, points de vente de détail, quelques grossistes, paysagistes... Il livre lui-même ou délègue à un transporteur.

Aides à l'installation

LE « COUP DE POUCE » : LA DJA

En 2011, il se rend à l'Association départementale pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (Adasea), afin de se renseigner sur les aides « Jeune agriculteur » à l'installation. « Il était temps, car j'arrivais à une surface et à un chiffre d'affaires limites pour prétendre aux aides. » Ces dernières constituent un coup de pouce pour lui. Après quelques stages de trois jours et des démarches administratives, son installation est officialisée au bout de huit-neuf mois. Bien que dans les faits, ça n'ait rien changé, « si j'avais commencé à planter seulement maintenant et s'il avait fallu attendre quatre ans, je n'aurais pas pu m'en sortir! » La dotation jeune agriculteur (DJA) varie entre 8 000 et 17 300 € en zone de plaine selon l'expérience du candidat et la viabilité du projet. Émeric Levoy a reçu 15 000 €, en une seule fois. Il dispose de cinq ans pour dégager un Smic, sinon il devra restituer cette dotation. Il doit par ailleurs s'engager à tenir ses projets d'investissement. En cas de problème, il peut toutefois demander à réviser son plan prévisionnel d'investissement (PPI). Par ailleurs, il bénéficie d'un prêt « Jeune agriculteur » à 2,5 % et d'une diminution des cotisations d'assurance de 50 %, dégressive sur cinq ans (40 % l'année suivante, puis 30 %...), ainsi qu'une exonération partielle de cotisation MSA sur les cinq années suivant l'installation.

Apports personnels

DES INVESTISSEMENTS PROGRESSIFS FINANCÉS EN PROPRE

Depuis le commencement, Émeric Levoy a dépensé plus de 90 000 € en matériels et jeunes plants, et pour la construction d'un bâtiment. Sur les 80 000 € d'investissements à réaliser d'ici à 2015 en tant que « Jeune agriculteur », il a déjà fait l'achat de son cheptel (quatre vaches salers pour valoriser ses terres en rotation) et une nouvelle bineuse (12 000 € HT). Cette dernière a été subventionnée à hauteur de 50 % par le conseil régional et l'Europe dans le cadre du plan végétal environnement (PVE). « Je l'avais vue il y a quatre-cinq ans au Sival et au Salon du végétal: elle me faisait déjà envie! » Il lui reste à acheter un fourgon, une remorque, un nouveau tracteur, une arracheuse et du foncier. Pour l'instant, il possède une parcelle de 2 500 mètres carrés avec le bâtiment; il va acheter une autre parcelle de 1,6 hectares. Il loue le reste des terres à son grand-père, agriculteur à la retraite. Ses revenus générés en tant que cotisant solidaire ont été investis dans l'achat de matériel. Le tracteur vigneron a été acheté d'occasion en Anjou chez un concessionnaire (environ 13 000 € HT). Avant son installation « officielle », il a aussi investi dans un rotavator neuf, une souleveuse (pour les plants d'un an et demi à deux ans), une arracheuse de tiges (pour les arbres de quatre-cinq ans), un pulvérisateur et un atomiseur. Après les deux premières années de plantation, les chevreuils ont fait des dégâts. « Je dois grillager toute nouvelle mise en culture, car les dommages peuvent aller jusqu'à la perte quasi totale de la culture. Je sollicite la fédération des chasseurs, qui subventionne la clôture à hauteur de 50 %. » Ainsi sur les 2 000 € par an et par hectare que lui coûtent les fournitures de grillage, la moitié est subventionnée par les chasseurs.

Plusieurs soutiens

DES ATOUTS DANS LA MANCHE

« J'ai eu la chance de pouvoir profiter des terres familiales pour démarrer mon activité », reconnaît Émeric Levoy. « De nos jours, il est en effet difficile d'obtenir du foncier. » Le jeune homme récupère les terres de son grand-père loués à d'autres agriculteurs au fur et à mesure de leur libération. « Je travaille sur la terre où j'ai grandi. » Il énumère d'autres points forts de son parcours: « Les banques m'ont toujours suivi. Ce qui m'a aussi beaucoup aidé, c'est d'avoir un patron conciliant qui a accepté de me laisser du temps quand je le lui demandais. Ça l'embête que je parte, mais il est content pour moi, il comprend. Il a même été mon premier client: alors qu'il ne faisait pas de fruitiers en conteneur, il a lancé cette gamme et, au final, il s'y est retrouvé. » Il peut compter sur le soutien d'Emmanuel Lebas, qui ne tarit pas d'éloges sur son futur ex-salarié: « Émeric est un très bon gars, un sacré caractère, un bosseur, un passionné... »

Une fois installé, le jeune homme a adhéré à Horti-Pépi, l'association des horticulteurs et pépiniéristes de Basse- Normandie: « Pour me faire connaître de la profession et échanger avec mes collègues et clients. »

Valérie Vidril

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