L’aquaponie expérimentée à l’école
L’Eplefpa de la Lozère, à La Canourgue (48), a exploré cette technique qui mêle horticulture et pisciculture. Cet établissement, dès le départ, a impliqué les élèves dans les travaux de recherche appliquée, ouvrant la voie à de nouveaux métiers et partenariats avec les professionnels.
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L’eplefpa* (1) de la Lozère (en particulier son lycée Louis-Pasteur), à La Canourgue (48), spécialisé dans les métiers de l’eau dont l’aquaculture, est associé depuis 2011 à un programme R&D en aquaponie grâce à une station expérimentale spécialement créée. En lien avec un réseau de partenaires et professionnels, le projet Apiva (aquaponie, innovation végétale et aquaculture) (lire l’encadré) vise notamment à valoriser les effluents d’élevage de poissons jusqu’à la faisabilité économique.
Catherine Lejolivet, enseignante dans cet établissement et chargée de mission, implique les apprenants dans ce projet pilote et expérimental d’aquaponie. Surtout des BTS première année en aquaculture, notamment via un module d’initiative locale (MIL). Mais aussi des bac pro productions aquacoles, des BTSA gestion et maîtrise de l’eau (Gemeau) par le biais de modules locaux, ainsi que des stagiaires ingénieurs. La démarche sert de support pédagogique à la protection biologique intégrée (PBI) en cours de biologie, aux mathématiques, aux statistiques, à l’écologie, aux cours d’informatique, de gestion et d’agroéquipements. Il s’inscrit dans la voie du « produire autrement » prônée par la DGER, le volet enseignement du ministère de l’Agriculture.
Les solutions recherchées visent à répondre au désir des élevages de recycler leurs eaux et à ceux du maraîchage et de l’horticulture de réduire les intrants de synthèse et les besoins en eau (80 % d’économies en aquaponie par rapport au maraîchage plein champ), dans un système gagnant-gagnant.
De la production à l’analyse sensorielle en passant par le volet économique
Dès le départ, l’équipe pédagogique était persuadée que les nouvelles compétences dans ce domaine seraient utiles aux étudiants. Bien avant la crise sanitaire, cette pratique culturale prenait de l’intérêt pour les projets en agriculture urbaine, poussée par les attentes des consommateurs en produits frais et circuits courts.
Lauréate lors d’un appel à projets Casdar (2) « Innovation et partenariat » du ministère de l’Agriculture, la candidature avait été déposée par l’Itavi ((Institut technique de l’aviculture), avec l’appui de Catherine Lejolivet, cheville ouvrière dans l’émergence du dossier avec d’autres partenaires (lire les Repères).
L’enseignante a bénéficié – de 2011 à 2015 – d’une décharge horaire de six heures par semaine pour concevoir et mettre en place ce projet, un dispositif de la DGER permettant d’y consacrer un tiers temps. Elle témoigne : « Dans cette expérimentation, c’est l’ensemble des acteurs de la formation du lycée, dont divers enseignants et plus largement les personnels de la restauration au travers des consommations ponctuelles de ces produits horticoles, qui œuvrent à la valorisation pédagogique des travaux réalisés. »
Lors des applications pratiques, les apprenants, futurs professionnels des métiers de l’horticulture et/ou de l’aquaculture, s’investissent quatre heures quotidiennement. Ils travaillent matin et soir en binômes, ainsi que les week-ends et pendant les vacances scolaires (pour les volontaires).
Grâce à ce projet d’aquaponie, ils abordent aussi la recherche appliquée, le programme visant à mettre au point le process et valider sa rentabilité. Car depuis 2017, un volet économique est examiné dans le cadre du deuxième plan Apiva2, avec des aides européennes à l’appui pour la conduite des études.
Les élèves prennent aussi conscience d’une approche alliant deux systèmes de culture : la production de végétaux (alimentaires et ornementaux) et l’élevage de poissons… une dualité plus complexe que l’horticulture et l’aquaculture classiques, abordées séparément.
Par ailleurs, depuis la phase Apiva2 (2018-2022), durant des ateliers-séquences encadrés, les apprenants s’initient à l’analyse nutritionnelle, organoleptique et sensorielle. Ils y dégustent et analysent les fraises, dans des exercices pour caractériser goûts et saveurs. « Ils sont ravis de pouvoir joindre l’utile à l’agréable, après avoir contribué aux travaux de récolte », ajoute l’enseignante.
La mise au point de la culture jusqu’à l’utilisation des microbiotes
La station d’expérimentation a été officiellement inaugurée à La Canourgue en mai 2015. Elle dispose de 17 m3 d’élevage aquacole, pouvant contenir 600 kg de poissons grâce à une unité high tech de traitement de l’eau et 400 m2 d’un double tunnel professionnel « froid, doubles parois » équipé de tablettes horticoles flux-reflux, de gouttières suspendues pour les fraises et de bassins à rafts (3) ou radeaux flottants. Alimentée par une source (Saint-Frézal), l’unité d’aquaponie était avant-gardiste en 2015. Un circuit quasi fermé (on parle de « recirculé »), vertueux pour l’environnement, fait atteindre des rendements élevés et une production aquacole de qualité (esturgeons, truites, carpes), sans intrants, sans traitement chimique, en biocontrôle, pour les plantes comme pour les poissons, tout en réduisant les besoins en eau. Il faut juste compenser l’évapotranspiration.
Catherine Lejolivet relate : « À partir de l’été 2015, les légumes, salades, boutures racinées de cresson s’installent. Au printemps, les récoltes de fraisiers remontants suivent la montée en puissance des bassins d’élevage. » Elle précise : « On teste les rations : quantité d’aliment/surface de production horticole/densité de plantation. Depuis 2017, nous allons plus loin que l’expérimentation pour adopter la posture de production comme une exploitation privée, en réduisant les consommations d’énergie (sans chauffer ni éclairer). Aux premières cultures testées, nous avons ajouté avec succès les blettes, les épinards, le chou pak choï, le céleri branche, les choux-fleurs et brocolis, beaucoup d’aromatiques (ciboulette, menthe, basilic, verveine citronnée, thym, romarin...). Les fleurs comestibles (capucine, bourrache, fleurs de courgette, calendula, géranium, bégonia tubéreux) sont également à notre carte. Par ailleurs, depuis un travail sur les microbiotes et l’eau organique vivante (4), nous n’avons plus de Pythium. »
Associer pisciculteurs et horticulteurs
Aujourd’hui, l’Eplefpa de la Lozère s’est constitué une solide expérience dans un pôle complet eau-aquaculture-aquaponie. « Nous avons sensiblement enrichi nos formations aquacoles de nouvelles compétences. Et nous avons apporté des résultats technico-économiques dans le but de produire mieux, à différentes échelles, des cultures valorisables en circuits courts et en milieux urbains et périurbains. Reste à faire bien attention aux types d’investissements. Aux horticulteurs, nous disons : “Osez tenter ces productions gagnant-gagnant” », conclut Catherine Lejolivet. Gageons que les plus passionnés des élèves de La Canourgue sauront, dans leur futur métier, s’associer par exemple avec un horticulteur.
Odile Maillard(1) Eplefpa : établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricoles.
(2) Compte d’affection spécial au développement agricole et rural.
(3) Testés notamment à la station horticole Ratho, à Brindas (69).
(4) « L’hydroponie est basée sur des intrants minéraux associés souvent à une stérilisation de l’eau d’irrigation. En aquaponie, l’eau, issue d’un élevage piscicole, est riche en bactéries stimulées par la présence d’azote ammoniacal et la matière organique issue des excréments, particules trop petites pour être retenues par nos systèmes de filtration classiques. »
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