Gérer Vigilance sur les prestataires de services étrangers
Face aux difficultés de recrutement, certaines exploitations sont tentées de recourir à des prestataires de services étrangers. Si, en apparence, la formule semble plus simple que le recrutement direct, d’importantes obligations de vérification et de vigilance restent à la charge de l’exploitation agricole, en amont.
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Le cabinet d’avocats spécialisés en droit social dans laquel Muriel Vandevelde travaille a constaté, sur le terrain, un cas révélateur des ennuis que peut rencontrer concrètement une pépinière. Il nous livre ici ses préconisations pour éviter au maximum d’être en difficulté administrative sur ce sujet sensible qui touche la profession.
Précision d’emblée : toutes les sanctions prévues concernent le « client » français, c’est-à-dire que la loi met à sa charge des obligations de vérification et, s’il ne les remplit pas, c’est sur lui que pèsent les sanctions. L’administration française ne sanctionne pas directement l’entreprise étrangère.
Qu’est-ce qu’une vraie prestation de services (ou sous-traitance) ?
Un prestataire de services intervient avec son propre personnel et facture sa prestation… L'opération de prestation de services (ou sous-traitance) doit d’abord clairement être distinguée de la simple mise à disposition de salariés par une agence d’intérim.
Elle ne doit pas, en fait, dissimuler une opération de prêt de main-d’œuvre à but lucratif.
Comment être sûr qu’une prestation est bien légale ?
Plusieurs critères doivent être réunis pour que l’activité de prestation de services soit licite, notamment : l’élaboration d'un véritable contrat commercial ayant pour objet l'exécution d'une tâche définie que le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage ne veut ou ne peut pas accomplir lui-même avec son propre personnel, pour des raisons d'opportunité économique ou de spécificité technique ; la « rémunération » du prestataire doit être fixée au départ forfaitairement en fonction de l'importance objective des travaux ou de la mission à réaliser, sans tenir compte du nombre de salariés utilisés et du nombre d'heures qui seront effectuées, le risque de l'opération devant être assuré par le prestataire de services ; le prestataire de services doit être le seul employeur du personnel (utilisé, géré et rémunéré par lui), qu'il encadre et dirige dans l'accomplissement de sa tâche et qui demeure soumis à sa seule autorité : le personnel du prestataire de services ne doit pas être intégré de fait chez le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage et ne doit jamais être placé sous son autorité ; enfin, même s'il est admis, dans certains cas, la possibilité pour le personnel du prestataire d’utiliser le matériel de l'entreprise utilisatrice, les moyens matériels nécessaires à l'exécution des travaux doivent être fournis par le prestataire à ses salariés.
Comment le juge apprécie-t-il la réalité de « prestations illicites » ?
La diversité des situations et la multiplicité des critères retenus rendent difficile l’établissement d’une liste exhaustive de critères à remplir. En cas de contentieux la loi laisse donc au juge le soin d'apprécier souverainement ce qui relève – ou non – d'une opération licite de prestation de services.
Le juge recherchera quel est le véritable objet du contrat entre prestation de services ou prêt de main-d’œuvre déguisé. Dans ce dernier cas, l’exploitation « cliente » s’exposera à de lourdes sanctions. L’exploitation horticole qui envisage de faire intervenir un prestataire de services doit donc en amont cadrer rigoureusement tous ces aspects et les formaliser par écrit dans des conventions.
Comment vérifier qu’un prestataire étranger est en situation régulière ?
D’une manière générale, tout particulier ou toute entreprise qui fait appel à un prestaire de services (qu’il soit français ou étranger) doit s’assurer que ce dernier est en situation régulière.
L’obligation de vérification se trouve lourdement renforcée s’agissant des prestataires de services établis à l’étranger et qui interviennent en France avec leur propre personnel. La difficulté tient au fait que le client français (en l’occurrence l’exploitant agricole ou horticole) doit procéder à des vérifications en amont de son engagement et que la collecte des informations utiles peut s’avérer difficile. Il doit notamment solliciter :
- un document officiel attestant de l’immatriculation du prestataire à un registre officiel dans son pays d’origine (comparable au RCS en France) ;
- une attestation de sécurité sociale et du fisc de l’État d’origine confirmant que l’entreprise est à jour de ses obligations dans son pays ;
- une preuve que l’activité principale et habituelle du prestataire est réalisée dans son pays (avec par exemple une comptabilité analytique certifiée)…
Tous ces documents doivent être traduits en français.
Comment se fait le lien entre la France et l’autre pays ?
C’est un autre point obligatoire : le prestataire étranger doit obligatoirement désigner un représentant sur le territoire national du service effectué, chargé d'assurer la liaison avec les agents de contrôle pendant la durée de la prestation. Ce représentant doit pouvoir s’exprimer en français et sa désignation s’effectue via la déclaration de détachement sur le site officiel www.sipsi.travail.gouv.fr
En cas de doute ou de difficulté à obtenir les informations demandées, il est alors recommandé de ne pas s’engager.
Quelles formalités s’imposent au prestataire étranger concernant ses salariés détachés ?
Si le contrat de prestation est conclu, le prestataire va intervenir sur le sol français avec son propre personnel. Le client doit également, à ce titre, opérer des vérifications.
L’article 12 du Règlement européen n° 883/2004 du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale précise que « la personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités et qui est détachée par cet employeur dans un autre État membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celui-ci reste soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne ».
En application de ce texte, pour détacher des salariés en France, l’entreprise étrangère doit obligatoirement accomplir différentes formalités :
- déclaration préalable de détachement de travailleurs en France (déclaration Sipsi) ;
- désignation d’un représentant en France ;
- obtenir un formulaire A1 (voir encadré) attestant du régime de sécurité sociale applicable au salarié ;
- conserver les documents relatifs aux travailleurs détachés et à leur activité et les tenir à la disposition de l’inspection du travail.
Comment s’assurer que le prestataire étranger respecte bien ses obligations ?
Il appartient au client français de s’assurer que les obligations sont respectées en demandant au prestataire les justificatifs en sa possession. Le prestataire doit notamment communiquer les accusés de réception des déclarations de détachement.
Quel code du travail s’applique au travailleur étranger durant la première année ?
L’employeur étranger devra également appliquer les dispositions du droit du travail applicables aux travailleurs français. Et là encore, le client devra s’en assurer en sollicitant des éléments justificatifs comme les fiches de paie. Étant cependant précisé qu’au cours des douze premiers mois, conformément à l’article L. 1262-4 du Code du travail, seules les dispositions essentielles du droit du travail français seront applicables, à savoir :
- libertés individuelles et collectives dans la relation de travail ;
- discriminations et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
- protection de la maternité, congés de maternité et de paternité et d'accueil de l'enfant, congés pour événements familiaux ;
- conditions de mise à disposition et garanties dues aux salariés par les entreprises exerçant une activité de travail temporaire ;
- exercice du droit de grève ;
- durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés annuels payés, durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs ;
- rémunération au sens de l'article L. 3221-3, paiement du salaire, y compris les majorations pour les heures supplémentaires ;
- règles relatives à la santé et la sécurité au travail, âge d'admission au travail, emploi des enfants ;
- travail illégal ;
- remboursements effectués au titre de frais professionnels correspondant à des charges de caractère spécial inhérentes à sa fonction ou à son emploi supportés par le salarié détaché, lors de l'accomplissement de sa mission, en matière de transport, de repas et d'hébergement.
Attention : à partir du 13e mois de détachement, la plupart des dispositions du Code du travail deviennent applicables.
Quand y a-t-il contravention, pour le client-employeur français ?
Conformément aux articles L. 1264-1 et suivants du Code du travail, une sanction administrative (amende) lourde – pouvant aller jusqu’à 4 000 € par travailleur détaché – est appliquée dans les cas suivants :
- la déclaration préalable n’a pas été faite ou le représentant de l’entreprise prestataire n’a pas été désigné (C. trav., art. L. 1264-2) ;
- l’employeur n’a pas régularisé la situation après une injonction (C. trav., art. L. 1264-2) ;
- l’employeur n’a pas été en mesure de fournir des documents traduits en français à l’inspection du travail du lieu d’exécution de la prestation (C. trav., art. L. 1264-2) ;
- l’employeur a omis de déclarer un accident du travail (C. trav., art. L. 1264-2) ;
- l’employeur n’a pas respecté la décision de suspension de l’administration (C. trav., art. L. 1263-6).
Le montant de l’amende est porté à 8 000 € en cas de récidive dans un délai d’un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l’amende ne peut excéder 500 000 €.
Quelles sanctions, pour le client-employeur français, en cas de non-application des contraventions ?
Conformément à l’article L. 1263-6 du Code du travail, une amende administrative de 10 000 € par travailleur concerné par une infraction est infligée dans les cas suivants :
- non-régularisation dans les trois jours en cas de manquement grave aux dispositions d’ordre public du droit du travail que tout employeur établi hors de France et détachant des salariés sur le territoire national est tenu de respecter (C. trav., art. L. 1263-4) ;
- non-respect de la décision de suspension de la prestation (C. trav., art. L. 1263-4-1) ;
- non-paiement des amendes (C. trav, art. L. 1263-4-2).
Les sanctions potentielles sont importantes, ce sujet doit être pris avec le plus grand sérieux… et avec anticipation, car les obligations principales s’imposent en amont de toute collaboration avec un prestataire.
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