Transmettre son entreprise n’est pas simple ; réussir pas forcément automatique, d’autant plus dans le cas d’une grande entreprise en horticulture ornementale. Initialement, l’option d’une reprise de la pépinière La Forêt, basée aux Sorinières (44), a débuté depuis plus de dix ans. À partir de 2018, la transmission se met en place de façon plus opérationnelle : tous les dossiers importants sont partagés par le binôme en place : Thierry Browaeys, créateur la pépinière, qui prend sa retraite au 31 mars 2022, et Émilie Carré, directrice adjointe. Depuis le 31 mars 2022, à 40 ans, celle-ci prend la gérance de la SARL. La structuration se poursuit depuis. En parallèle, Marine Browaeys et François Carré assurent le développement commercial.
Cette transmission, c’est « une histoire de familles, croisée avec de fortes complémentarités », assure Émilie Carré, qui revient sur les principales étapes de son parcours : « Formée à l’Agro Rennes-Angers (en Master 2), j’ai intégré la pépinière en 2006. J’ai investi de nombreux sujets, tels que le développement commercial, le marketing et la “digitalisation”, tout en travaillant sur l’organisation de la production. Je me suis attachée très vite à l’entreprise, à ses valeurs fortes et à la diversité des cultures. Ma formation technique m’a permis d’intégrer rapidement les process et de poursuivre leur optimisation. En revanche, je n’avais pas les compétences suffisantes en marketing, commerce et management nécessaires au niveau d’une direction. Thierry Browaeys, de formation École supérieure de commerce (Audencia de Nantes), m’a transmis analyses et méthodes, et fait bénéficier de son expérience de trente-cinq années ». Par ailleurs, adhérente au Centre des jeunes dirigeants (CJD) de Nantes depuis septembre 2021, j’ai accès à des formations et je participe à des groupes de travaux qui me font approfondir certains aspects, comme la stratégie, le management et la finance. » La transmission se fait sans aides régionales ou nationales.
RSE, recrutement/fidélisation
Émilie Carré esquisse les grands enjeux et les défis auxquels elle prépare son entreprise : « Depuis 2020 et la crise sanitaire en particulier, nos entreprises sont soumises à des contraintes externes nombreuses et très impactantes qui rendent leur pilotage encore plus complexe, du changement climatique à la nécessité de développer une véritable marque employeur ». Elle précise ses principaux axes de travail pour les cinq années à venir. Pour poursuivre la démarche de responsabilité sociale des entreprises (RSE), la pépinière s’est engagée dès 2017 en validant la certification Haute Valeur environnementale (HVE). Avec Antoine Métivier, responsable qualité-soin aux plantes, les équipes évoluent dans leurs pratiques culturales. Il s’agit, entre autres exemples, de réduire au maximum les déchets, de réutiliser lorsque cela est possible, de trier et de recycler. En 2022, 80 % des volumes rempotés l’ont été en terreau sans tourbe, avec des matières premières fabriquées en France. C’est un travail de longue haleine, qui évolue aussi avec des partenariats, notamment le Bureau horticole régional, l’institut Astredhor et les groupes Dephy-Ferme.

Gros challenge pour toute gestion d’entreprise : recruter, former, responsabiliser et fidéliser. Émilie Carré relate : « Le capital compétences est un enjeu majeur des entreprises aujourd’hui. Dans ce contexte, La Forêt a entamé un travail de fond sur les process de recrutement, d’intégration, de formation et de management en favorisant notamment une organisation qui responsabilise plus les collaborateurs : consulter et travailler avec les équipes pour faire évoluer l’outil de production ; améliorer les conditions de travail aux différents postes : investissement début 2022 pour rénover tout le pôle de rempotage, nouvelle serre de 7 000 m² pour mieux produire… Du côté des compétences essentielles et recherchées, c’est surtout au niveau technique, par exemple pour les postes transversaux de qualité et de maintenance. En production, j’accueille de plus en plus souvent des personnes sans bagages techniques ou très peu, mais avec une réelle volonté de travailler au contact des plantes. Je cherche alors de l’énergie et de l’enthousiasme, de l’agilité et la capacité à travailler en collectif. »
Des innovations et des gammes par usages
Pour s’adapter au changement climatique, la pépinière investit dans des équipements permettant de mieux maîtriser le climat et la consommation en eau et en énergie : généralisation des ombrières pour les cultures de plein air, chaudière basse température pour le secteur multiplication, parc de véhicules électriques…

L’adaptation passe aussi en faisant évoluer la palette variétale et certains cycles de production. Spécialisée en multiplication et en élevage de jeunes plants, la pépinière ajoute chaque année des nouveautés à son catalogue, parmi lesquelles Lonicera x Marinella® Venloma, lauréat Innovert au Salon du végétal 2022, un arbuste persistant à très longue et abondante floraison, idéal pour les jardins contemporains, ou Phillyrea Green Quick®, pour des haies plus « résistantes » à la chaleur, à la sécheresse, aux maladies et au froid, qui sera présenté au concours d’innovation à IPM Essen fin janvier 2023.
✅ À regarder en vidéo également : "Lonicera x Marinella® lauréat 2022 du concours Innovert"
La pépinière a aussi travaillé sur des sélections valorisant les usages. Les « Solutions La Forêt » sont axées sur les nouveaux besoins sociétaux. Parmi elles, ArticJungle®, « les meilleures variétés, originales et exubérantes, pour vivre aux tropiques en restant chez soi » ; « Plantes de bon goût », à base d’aromatiques, de baies sauvages, de potagères et de fruitiers du jardin ; « Dry & Design Garden », supportant la sécheresse, graphiques et colorées ; « AlterGazon® » pour remplacer le gazon avec un entretien minimum, moins d’eau, moins de fertilisant et peu de tonte…

La transmission de la pépinière La Forêt n’est pas une rupture, elle a été réalisée progressivement. Nombre de conseillers en reprise d’entreprise préconisent de s’y prendre au moins une dizaine d’années avant une cession, un départ à la retraite… Thierry Browaeys a misé sur un passage de témoin progressif. « Il m’a confié une entreprise solide, avec une belle histoire ; je suis fière de pouvoir maintenant écrire la suite », conclut Émilie Carré.