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Plantations sentinelles Prendre une longueur d’avance sur les ravageurs invasifs !

Régulièrement, de nouveaux nuisibles font leur apparition et causent d’importants dégâts. La lutte est souvent difficile. Pourrait-on plutôt prévoir ces invasions pour les empêcher ?

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Pyrale du buis, mouche du robinier, frelon asiatique, papillon du palmier… tous sont des espèces d’insectes exo­tiques plus ou moins récemment arrivées en Europe et responsables de dégâts importants sur les cultures. « Il n’y a pas de phénomène de saturation, au contraire, on observe une augmentation exponentielle, constate Alain Roques, directeur de recherches à l’Inrae, lors d’un webinaire sur les moteurs des invasions d’insectes organisé par la Société natio­nale d’horticulture française (SNHF) en novembre dernier. En Europe, elle est surtout due à l’arrivée d’espèces phytophages liée à l’explosion du commerce de plantes ornementales. »

Alors, comment limiter les dégâts ? Souvent, les insectes invasifs ne sont pas connus pour être dangereux dans leur zone d’origine et ne sont donc pas réglementés avant leur introduction. C’est le cas d’environ un quart des premiers signalements de ravageurs non indigènes.

Pour contourner ce problème, il est pos­sible de mettre en place dans chaque région du monde une nouvelle approche : les plantations sentinelles. Il s’agit d’un outil d’alerte précoce pour identifier de nouveaux ravageurs potentiels. Encore trop peu utilisé, d’après l’Organisation eu­ropéenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP), ce concept permettrait de détecter des associations ravageurs-plantes en dehors de leur région d’origine. Cette organisation intergouvernementale responsable de la coopération européenne concernant la santé des plantes a publié en décembre 2020 un document (une norme OEPP*) pour expliquer cette approche et harmoniser son application.

Plantations « ex patria » et « in patria »

Le développement d’un réseau de plantations sentinelles aiderait à identifier les espèces potentiellement envahissantes en amont de leur arrivée. Deux sortes peuvent­ être distinguées :

- les plantations ex patria (ou plantations sentinelles). « On plante les arbres d’un continent dans un autre. Des essences européennes­­ en Chine, par exemple », ex­plique Alain Roques, spécialiste des in­vasions biologiques, notamment forestières. Elles renseignent sur la capacité de colonisation et l’impact potentiel des insectes exotiques s’ils sont introduits ;

- les plantations in patria (ou pépinières sentinelles). Dans ce cas-ci, il s’agit de planter dans la région d’origine des arbres mais sans traitement phytosanitaire. Par exemple, des essences chinoises plantées dans le pays avant leur exportation vers l’Europe. Ce type de plantation donne la probabilité d’introduction des espèces d’insectes dans le pays d’importation.

« Des deux, ce sont les plantations ex patria qui sont les plus risquées. Il est en effet nécessaire de bien les encadrer », prévient le chercheur.

Des menaces potentielles détectées en Chine

Alain Roques et son équipe ont travaillé de nombreuses années en Chine sur ce concept. Ils y ont réalisé des plantations sentinelles pour sept espèces d’arbres européens. En parallèle, ils ont mis en place des pépinières sentinelles des cinq ligneux les plus exportés de Chine vers l’Europe. « Au départ, on avait l’objectif de faire des plantations dans cinq régions pour couvrir une grande partie des écosystèmes du pays. Finalement, on a été contraints de se restreindre à une zone de pépinière autour de Pékin et une en lisière de forêt de bambou et conifères au sud de Hangzhou. » Plusieurs espèces de chênes, cyprès, sapins, hêtre et charme ont été plantées. « Les pins n’ont pas pu être testés car il y a des insectes invasifs exotiques, notamment américains. »

Pour les plantations sentinelles (ex patria), ils ont obtenu une liste de 39 me­naces potentielles dont cinq très dangereuses et auparavant inconnues. C’est par exemple le cas de Pteroma nr. pendula, un lépidoptère capable de défeuiller tous les feuillus européens (testé sous condition de quarantaine à l’Inrae). « S’il était introduit ici, ce serait vraiment dramatique », prévient le chercheur.

Et grâce aux pépinières sentinelles (in patria), 90 nouvelles associations insecte-hôte (au regard de la littérature chinoise) ont été constatées. « On a été très surpris », confie Alain Roques. Par ailleurs, « tous les buis chinois qu’on avait plantés ont été défeuillés par la pyrale. Si on avait mené l’expérience avant 2012, l’insecte aurait pu être détecté avant d’arriver en Europe ».

Les deux dispositifs sont donc complémentaires pour identifier les menaces. Les laps de temps pour détecter des ravageurs potentiels ne sont pas les mêmes : trois années ont suffi pour apprécier le recrutement des défoliateurs et des espèces s’attaquant aux racines pour les plantations ex patria. Mais pour les xylophages, il faut attendre huit à dix ans. Dans le cas des plantations in patria, cinq années suffisent pour détecter des xylophages.

Un dispositif réciproque avec des arbres et arbustes chinois en France, en Italie et en Suisse a été mis en place. Plus récemment, il a été étendu à l’Afrique du Sud et aux États-Unis (projet H2020 HOMED).

Développer l’utilisation de ces plantations

D’autres exemples de l’utilité de ce type de programme ont été établis. Au cours d’une étude qui a duré vingt ans sur des jardins en Ohio (États-Unis), la colonisation par Agrilus anxius a causé une mortalité complète des espèces eurasiennes de Betula, tandis que les espèces nord-américaines de cet arbre ont montré une survie élevée. A. anxius est désormais ajouté à la liste d’alerte de l’OEPP.

Mais ces exemples restent bien peu nombreux. Ces programmes ne sont pas suffisamment utilisés par les services de protection des végétaux à travers le monde. Pourtant, ils peuvent montrer que l’impact des ravageurs sur les espèces sentinelles est parfois beaucoup plus grave que sur les plantes indigènes du pays sentinelle. Ces données ont une valeur particulière car elles sont difficiles à obtenir par tout autre moyen sans risque pour un pays importateur. La présence de certains organismes nuisibles sur les arbres sen­tinelles indigènes du pays importateur sensibilise au danger potentiel, conduisant à une évaluation du risque.

Léna Hespel

*Sentinel woody plants : concepts and application, Bulletin OEPP-EPPO, décembre 2020, Vol. 50, n° 3, p. 429-436. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/epp.12698?af=R

Field guide for the identification of damage on woody sentinel plants, guide destiné à aider les gestionnaires de plantations sentinelles, téléchargeable gratuitement sur : http://www.cabi.org/cabebooks/ebook/20173265430

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