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Journée technique Végétaux : le changement, c’est maintenant !

L’Arborencontre de juin dernier proposée par le CAUE 77 a fait le point sur l’adaptation de la palette végétale aux dérèglements climatiques. Prémonitoire, avant un été torride qui a confirmé bien des sujets abordés !

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Dans le cadre de la 36Arborencontre organisée par le CAUE* de Seine-et-Marne le 23 juin dernier, près de 250 personnes étaient réunies à Croissy-Beaubourg pour échanger avec une dizaine de spécialistes sur l’impact du changement climatique sur les végétaux et la palette arborée de demain. L’occasion de réfléchir aussi sur les con­ditions indispensables pour développer une canopée urbaine pérenne.

Le propos introductif du météorologue Cyril Duchesne a été clair : le changement climatique, ce n’est pas demain, c’est déjà maintenant ! En France, la température moyenne annuelle a augmenté de 1,8 °C par rapport à la normale climatique (lire l’encadré « Qu'est-ce que la normale climatique ? ») de 1961 à1990. À Melun (référence pour le sud de la Seine-et-Marne ), le nombre de jours de chaleur (plus de 25 °C) est passé de 37 à 58 par an entre 1970 et 2020. Le nombre de jours de gel est passé de 60 à 40 entre 1959 et 2020.

Si les variations du climat ne sont pas nouvelles, l’échelle de temps s’est radicalement accélérée. Auparavant, la succession des périodes glaciaires et interglaciaires portait sur des centaines, voire des milliers d’années. Désormais, le pas de temps se compte en décennies. Cette évolution rapide rend complexe l’adap­tation des végétaux. À cela s’ajoutent une fréquence et une intensité des phéno­mènes extrêmes – vagues de chaleur, sécheresse, orages de grêle, inondations, épisodes de gel intense – qui s’aggrave, avec des conséquences tant pour les populations humaines que pour les végétaux, notamment les arbres.

Une adaptation complexe

Les travaux menés par l’équipe de Thierry Améglio, directeur de recherche à l’Inrae de Clermont-Ferrand (63), portent entre autres sur l’impact du changement cli­matique sur la physiologie des arbres. Si l’augmentation du gaz carbonique dans l’atmosphère a un impact positif sur leur croissance (en l’absence de contraintes hydriques), ce n’est pas le cas de la hausse des températures. En effet, en climat tempéré, l’optimum de fonctionnement des végétaux se situe aux alentours de 20 à 25°C. Les températures extrêmes sont à même de provoquer des perturbations physiologiques, des brûlures d’organes ou l’apparition de maladies.

Afin de lutter contre les températures élevées et la sécheresse, les arbres vont utiliser deux mécanismes. L’évi­te­ment limite les pertes en eau, notamment au moyen de la fermeture des stomates, et améliore les entrées d’eau avec un enracinement plus profond et plus dense. La tolérance favorise la mobilisation des réserves d’eau pour rendre le xylème plus résistant à la cavitation (rupture de la colonne de sève par apparition de bulles dans les vaisseaux conducteurs de sève).

« Les espèces les plus “résistantes” ne sont pas forcément moins exposées au risque de cavitation dans leur habitat naturel, car les marges de sécurité hydrauliques sont globalement faibles pour tous les écosystèmes forestiers. Toutes sont potentiellement vulnérables, lorsque le milieu auquel elles sont adaptées change brusquement ! » pointe Thierry Améglio.

De plus, la diminution des températures basses à l’automne limite les capacités d’endurcissement et les hivers doux provoquent des débourrements précoces, avec des risques de dégâts en cas de gel prin­tanier intense.

Le dérèglement climatique influe directement sur la santé des végétaux (blessures, brûlures, nécroses, affaiblissement, etc.), ainsi que sur le développement des bio­agresseurs. Les exemples présentés par Jérôme Jullien, expert national Jevi** en surveillance biologique du territoire, sont très nombreux. À titre d’exemple, on peut ainsi citer la progression du chancre coloré du platane, de la maladie de la suie sur l’érable ou des Phytophthora. L’aire de répartition des ravageurs progresse – chenilles défoliatrices, insectes piqueurs-suceurs…  – et leur cycle de développement peut se raccourcir, comme pour la processionnaire du pin. Point positif, le changement climatique semble a contrario avoir des effets régulateurs sur le cycle de vie de certains bioagresseurs et favoriser des auxiliaires et des micro-organismes entomopathogènes.

Favoriser les solidarités biologiques

La table ronde associant Alexandre Colin, paysagiste-concepteur, Thierry Lamant, forestier, dendrologue et spécialiste des chênes, et Daniel Soupe, pépiniériste, a été propice pour aborder la question de la palette d’arbres adaptée au contexte climatique futur.

En préambule, Alexandre Colin a souligné que « la meilleure des pratiques est avant tout de chercher à préserver l’existant, car les services écosystémiques rendus par les arbres matures sont difficiles à compenser ». Autre point clé mis en avant pour réussir un projet de plantation en ville, la connaissance du sol et la préser­vation de son caractère vivant (micro-organismes, bactéries, mycorhizes…). Un programme de recherche conduit par les pépinières Soupe en partenariat avec l’Ademe a démontré l’intérêt supérieur d’une mycorhization par un apport de souches issues du sol en place.

La question cruciale de l’accès à l’eau a également été évoquée au cours de cette table ronde, avec le concours de Thomas Bur, le cofondateur de l’entreprise Urbasense, qui développe des solutions afin de renforcer l’enracinement des arbres par un arrosage agronomique sur mesure piloté à distance.

Concernant la palette arborée de demain, les spécialistes ont souligné l’intérêt potentiel des espèces provenant des « déserts froids », où le manque d’eau s’accompagne de températures chaudes en été, basses en hiver. Daniel Soupe a rap­pelé le long chemin qui peut séparer le repérage­ d’une espèce prometteuse de sa commercialisation.

La botaniste Véronique Mure a présenté la notion de solidarité biologique, laquelle traite le sujet avec une approche dépassant le seul choix d’essence. Elle incite à changer de point de vue, à se mettre « Dans la peau d’un arbre » et à se rappeler que ceux-ci ne vivent « Jamais seul[s] », pour reprendre les titres des ouvrages respectifs des chercheurs Catherine Lenne et Marc André Selosse.

« Il est désormais indispensable de con­cevoir le paysage comme un système vivant, de l’appréhender dans sa globalité et non plus individu par individu. L’enjeu est ainsi d’élaborer des cortèges­ phytosociologiques, des associations de plantes (arbres, arbustes, herbacées), capables de s’entraider pour former une communauté plus résistante aux variations du milieu. Cette logique d’entraide, de symbiose, paraît bien moins illu­soire que l’idéal d’un “super-arbre’’ capable­ de répondre à de multiples injonctions contradictoires de performance », plaide-t-elle.

Souhaitons que son message soit entendu par les professionnels du paysage et du végétal, mais surtout par les élus ainsi que par les aménageurs des collectivités territoriales. L’été que vient de connaître l’Hexagone souligne l’urgence du changement de paradigme à opérer afin d’obtenir des territoires vivables, aussi bien pour les arbres­ que pour les humains.

Yaël Haddad

*Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement.

**Jardins, espaces végétalisés et enfrastructures.

Pour en savoir plus : https://www.arbrecaue77.fr/content/plantations-d-arbres-et-changement-climatique

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