“Une palette végétale adaptée à des sols variés !”
Bernardo Secchi et Paola Vigano, urbanistes mandataires, et Charles Dard, paysagiste, ont conçu la Zac de La Courrouze aux confins de Rennes et Saint-Jacques-de-la-Lande (35). Ils ont choisi d'y planter des végétaux pour sols pauvres, anthropisés ou pollués plutôt que d'amener d'énormes quantités de terre végétale.
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À cheval sur Rennes et Saint-Jacques-de-la-Lande, en Ille-et-Vilaine (35), la Zac de La Courrouze constitue l'un des projets phares de Rennes Métropole en matière de requalification urbaine. Sur une ancienne friche industrielle et militaire de 89 hectares, à l'abandon depuis plusieurs décennies, un nouveau quartier est en train de voir le jour. Il comptera entre 4 000 et 5 000 logements et près de 46 ha consacrés à des espaces verts publics. Le projet se veut innovant, en donnant la possibilité aux maîtres d'oeuvre mandataires, Paola Vigano et Bernardo Secchi, urbanistes, de proposer « de nouvelles formes urbaines dans lesquelles la mixité prime et où la ville ne se construit pas en opposition à la campagne, mais avec elle ». Dans le cadre des conférences du pôle paysage du Salon du végétal, Charles Dard, paysagiste associé à l'équipe d'urbanistes, Pierre Bazin, du bureau d'études Aubépine, spécialisé sur l'arbre et le paysage, et Cyrille Lomet, directeur des jardins de la ville de Rennes, sont intervenus pour expliquer comment ils ont adapté le projet de paysage et la palette végétale à cette approche, en tenant compte du contexte du site et des objectifs futurs de gestion.
Recoudre le tissu urbain.
L'objectif du projet est de créer un nouveau quartier dans une démarche globale de développement durable en n'oubliant pas sa connexion avec le tissu existant. Cela implique une utilisation économe du foncier pour laisser une large place aux espaces publics ; la création d'habitats diversifiés dans leurs formes et leurs usages ; une offre de bureaux et de services ; la mise en place d'une desserte par les transports en commun et par des circulations « douces ». S'ajoute la création de liaisons vers le centre de Rennes et, par le biais d'une coulée verte, vers les espaces naturels du domaine de la Prévalaye. Sont aussi prévues des connexions transversales entre la Zac et les quartiers limitrophes. Une attention particulière est portée aux eaux de ruissellement ainsi qu'à la gestion des déchets, de l'énergie et des nuisances sonores, y compris durant le chantier.
Palette végétale et sol sont indissociables.
Lorsque Charles Dard interroge Pierre Bazin sur les potentialités futures du site en matière de palette végétale, celui-ci répond « pas de végétaux sans sol ». Ainsi, dès 2004, l'un des premiers travaux de cette équipe a été de conduire une analyse du terrain existant. De par son passé industriel et militaire, le sol de La Courrouze est fortement anthropisé et compacté. En témoigne la présence d'une végétation relativement pauvre avec notamment des bouleaux et des landes. Mais dans certains secteurs, il est possible d'observer de beaux sujets isolés (chênes, tilleuls, érables) ou des ambiances de sous-bois. Plusieurs types de sols ont pu être identifiés en liaison avec ces différents biotopes : sol naturel peu perturbé, compacté mais bien drainé ou encore décapé et stabilisé. « La palette végétale a donc été adaptée à des sols variés », explique Charles Dard. Cette approche pédologique associée aux contraintes économiques et environnementales a conduit à un postulat de base. Il n'est pas envisageable de concevoir un projet de plantation « classique » avec un décapage complet de l'ensemble du sol de mauvaise qualité pour un remplacement par des terres végétales fertiles. L'idée retenue est de faire avec le sol existant et de prévoir, en fonction des secteurs, l'amélioration de la fertilité par apport de broyats des végétaux ligneux abattus sur site, la création ponctuelle de poches de terre végétale pour la plantation de sujets isolés ou le choix d'une palette spécifique pour les secteurs de sols stériles. Sur ces derniers, une gamme de végétaux typiques des landes bretonnes (ajoncs, callunes...) sera utilisée, en semis ou en godet. Pour la création des plantations d'alignement, le principe de la création de fosses continues en mélange de terre et de pierre a été adopté. Les fils d'eau des noues sont conçus avec du sol stérile associé à du schiste, afin qu'il ne s'encombre pas trop rapidement de végétation, ce qui bloquerait l'écoulement des eaux de ruissellement.
« Le plan de plantation doit être étroitement corrélé au plan des futurs réseaux souterrains pour assurer l'avenir des arbres sur le long terme. Dans la plupart des aménagements urbains, rares sont les occasions de pouvoir partir de zéro comme ici. C'est une chance à ne pas laisser passer ! », souligne Charles Dard.
Concernant la dépollution du site, le projet s'attache à limiter l'évacuation des sols pollués, grâce à différentes stratégies d'aménagement : réalisation de parkings peu profonds (semi-enterrés) pour limiter les déblais, adaptation des constructions en fonction de l'état des sous-sols, création d'un merlon de confinement pour les sols contaminés remaniés, en périphérie du site. Ce merlon ne constitue pas seulement une réponse à la gestion des sols pollués. C'est aussi une réponse paysagère à la rocade toute proche, un moyen de porter le regard au-delà de cette coupure.
Conserver la mémoire du lieu.
Abandonné depuis plusieurs décennies, le site de La Courrouze présente de multiples paysages. S'il n'était pas envisageable de les conserver à l'identique, le souhait de garder la trace de ce passé avait été exprimé par la maîtrise d'ouvrage. Comme pour les sols, l'inventaire approfondi des milieux a permis de concevoir le projet de paysage en y faisant référence. Ainsi, dans un secteur, une plantation de bouleaux vient compléter une boulaie existante conservée à proximité du tracé d'une nouvelle avenue. Ailleurs, un bouquet de deux chênes ayant échappé à l'abattage lors de la mise en place du plateau industriel du GIAT après guerre a été conservé dans le patio d'un immeuble du nouveau quartier « Bois habités ». Dans la zone de l'ancienne usine de munitions, des essences de première grandeur (chênes, tilleuls, érables) ont réussi à se développer au-dessus des murs de schiste qui séparaient les magasins de poudre les uns des autres. Pour conserver les sujets les plus intéressants, Charles Dard souligne les efforts constants des terrassiers et la vigilance scrupuleuse du maître d'oeuvre. Sur la base d'un inventaire réalisé par le bureau d'études Aubépine, les arbres à conserver ont été numérotés et nettoyés, premier pas vers la reconnaissance de leur existence et de leur valeur. Puis une protection à l'aide de barrières ou de ganivelles a été installée afin de protéger le sol dans le périmètre situé à proximité des arbres.
La mémoire du lieu s'exprime également par la conservation d'une partie du mur d'enceinte du secteur militaire (réalisé en schiste), de certains bassins d'incendie maçonnés ou du tracé de l'ancienne voie ferrée servant à l'exploitation du site, sur lequel s'appuie un cheminement pour piétons et cyclistes. En matière de projet de paysage, « la fin du chantier n'est que le point de départ de tout. Il n'y a pas véritablement d'aboutissement, il n'y a que des processus », poursuit Charles Dard. « Il faut avoir l'humilité de se détacher d'une image “finie”, d'un dessin, et savoir accepter que la métamorphose qui suit l'aménagement nous échappe en partie. »
Yaël Haddad
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