“Devenir obtenteur pour donner du sens à sa démarche de sélection”
Christian Gaurrat, pépiniériste installé à Buros (64), a passé plus de dix années à hybrider et sélectionner des lilas des Indes. Pour valoriser ce travail, il a sauté le pas et est devenu obtenteur.
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Les mille mètres carrés sous serre que consacre Christian Gaurrat à la production de jeunes plants de Lagerstroemia indica constituent une petite portion des 20 hectares de cultures de sa pépinière située à Buros (64) : érables du Japon, mais aussi bananiers, camélias... Cette parcelle cache pourtant un important investissement de la part du chef d'entreprise, et un tournant dans sa carrière, avec la commercialisation de ses propres obtentions.
Sous la marque Indiya Charms, Christian Gaurrat et son associé Antoine Scrive proposent cinq variétés exclusives de lilas des Indes : 'Neige d'été'®, 'Camaïeu d'été'®, 'Violet d'été'®, 'Fuchsia d'été'® et 'Braise d'été'®. Elles se caractérisent par une meilleure précocité – avec, de fait, une plus longue floraison – et une moindre sensibilité à l'oïdium en comparaison avec les variétés traditionnelles du Sud-Ouest, la couleur inédite de leurs fleurs, la compacité des grappes. 'Braise d'été'®, proche de 'Fuchsia d'été'® par la couleur mais avec un port différent, est la plus hâtive. « Les Lagerstroemia réagissent différemment selon les conditions climatiques : une même variété peut fleurir en juillet ou fin août, voire ne pas fleurir du tout les années très froides (pas d'été), précise Christian Gaurrat. Nos variétés sont moins sensibles. Elles fleurissent en moyenne mi-juillet et, les bonnes années, fin juin-début juillet. » Les deux associés complètent leur gamme avec des variétés classiques du Sud-Ouest aux différents tons de rose : thé, indien, fuchsia.
Christian Gaurrat a commencé la sélection de ses lilas des Indes suite à l'achat de graines à une entreprise britannique en 1987. « Nous avons découvert quelques petites merveilles dans le lot, raconte le pépiniériste. Nous savions, mon père et moi, que nous étions tombés sur des sujets intéressants par leur précocité et l'intensité de leur coloration. Mais il s'agissait de variétés naines. » Le producteur s'en sert donc pour produire des bonzaïs. Puis il lui vient l'idée d'hybrider ces variétés avec une espèce du Sud-Ouest pour obtenir des sujets plus « poussants ». Il place ses rangs d'essai entre les rangs de production, sur 3 000 à 4 000 m² de surface. La sélection s'étale de 1990 à 2000. Un travail de longue haleine, tant le semis de Lagerstroemia indica est difficile : manque de fertilité des graines, variabilité dans la transmission des caractères, « cabochards » ne fleurissant jamais... « Des fois, nous sélectionnions un seul sujet sur 300 à 400 plantes. » Au fil des années, les plants deviennent plus vigoureux, mais souvent au détriment de la floraison. La sélection s'affine avec un sujet retenu sur mille, pour aboutir finalement à un assortiment d'une dizaine d'hybrides.
Le producteur se tourne alors vers un collègue de longue date, Antoine Scrive, basé à Estibeaux (40) : « Je ne me sentais pas le courage de me lancer tout seul. » Antoine Scrive, spécialiste de l'Albizzia julibrissin et du Ginkgo biloba, sait élever des tiges, un savoir-faire que ne possèdent pas les pépinières Gaurrat. Le projet se met peu à peu en place : les pépinières Gaurrat réaliseront la multiplication (jeunes plants en godet et alvéole) et les pépinières Scrive produiront des touffettes et des tiges. En 2006, Christian Gaurrat multiplie 40 000 jeunes plants. En février 2007, les associés créent la Sarl Lagerstroemia, qui achète la production des deux pépinières, produit des tigettes de 1,10 à 1,40 m et des tiges de 1,70 à 2 m, et assure la commercialisation de la gamme. Les jeunes plants d'un an sont mis en production au printemps 2007, pour une vente en hiver 2008-2009.
« Notre grande spécificité, c'est la haute tige », précise Christian Gaurrat. Un produit compliqué à former, car Lagerstroemia indica a du mal à arrêter sa croissance en automne, surtout lorsque les températures sont douces. Un gel subit en octobre et les plantes encore en sève gèlent. Le pépiniériste et son associé s'affranchissent de cette difficulté en cultivant sous serre les tiges en pleine terre. Les variétés sont greffées sur porte-greffe de Lagerstroemia indica 'Rosea' pour obtenir une hauteur de tige suffisante en trois ans. « La floraison du lilas des Indes se situe au bout de la pousse, et s'accompagne de l'arrêt de la croissance du rameau, explique Christian Gaurrat. Comme nos variétés fleurissent tôt en saison, elles se développent moins vite. Le greffage permet en outre d'éviter les coudes de croissance. » L'apex est taillé dans les deux mois qui suivent et le bouquet formé. La culture, gourmande en eau et en température, se déroule correctement dans les terres noires et fraîches du Sud-Ouest, en protection biologique intégrée et fertirrigation par goutte-à-goutte.
Les deux partenaires ont investi 180 000 euros au total dans leur projet : 100 000 euros empruntés pour financer la serre, avec une aide régionale de 15 % – les producteurs n'ont pu bénéficier de la circulaire serre qui était « gelée » au moment de la mise en place de leur projet –, et 80 000 euros pour la mise en culture (main-d'oeuvre, intrants, jeunes plants). Dès 2006, ils ont travaillé sur le marketing, avec l'entreprise Négociatel déjà connue d'Antoine Scrive : choix de la charte graphique, du logo, des noms de variétés... Les frais de communication se sont élevés à environ 10 000 euros pour le concept marketing et l'impression des plaquettes. « Au départ, nous en avions édité un petit nombre pour nos clients producteurs, se souvient Christian Gaurrat. Finalement, nous avons augmenté les quantités pour les distribuer aux responsables du rayon pépinière des jardineries. » Le site Internet, réalisé en 2010 (2 000 euros) constitue un outil de communication destiné essentiellement au grand public.
Le nom « Indiya Charms » et ceux des cinq variétés sont protégés par des marques déposées auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi), pour un coût de 250 euros par nom, soit au total 1 500 euros. « Des collègues nous ont fait comprendre la nécessité de protéger nos variétés par un certificat d'obtention végétale (COV) », raconte Christian Gaurrat. Le pépiniériste et son associé Antoine Scrive décident de protéger les cinq variétés d'un coup, afin de positionner dès le début une gamme complète sur le marché. Les dossiers sont déposés fin 2007 (frais d'inscription de 900 euros HT par variété). En 2009, toutes les variétés obtiennent leur COV. Les frais annuels auprès de l'OCVV s'élèvent à 200 euros par variété sur trente ans. La Sarl Lagerstroemia a fixé à 50 centimes d'euros par plante ses royalties, ce qui lui permet de financer les coûts de la protection, la commercialisation et le marketing. « Quand je sélectionnais, je ne pensais pas devenir obtenteur, précise Christian Gaurrat. C'est arrivé quand nous avons pris conscience que nous tenions de nouvelles variétés. Je suis devenu obtenteur pour donner du sens à ma démarche de sélection, pour que le fruit de ce travail ne tombe pas dans le pot commun. »
La clientèle de la Sarl Lagerstroemia se compose essentiellement de pépiniéristes. « C'est un marché que nous maîtrisions, puisque nos entreprises vendaient à cette clientèle, explique Christian Gaurrat. Nous avons sélectionné les producteurs qui nous intéressaient, filière par filière, avec un souci de répartition géographique, et nous sommes allés les visiter. Entre producteurs, nous parlons le même langage... » Ce qui n'est pas le cas avec les jardineries, habituées des « franco de port » et « conditions de paiement ». La vente aux jardineries, essentiellement sur l'Est de la France, s'effectue par l'intermédiaire des pépinières du Domaine de Chapelan (69) auxquelles la société vend godets, touffettes de 3 ans et tigettes. La commande de début 2009 a été multipliée par deux l'année suivante.
« Les premières années, il est difficile d'anticiper les quantités à mettre en production », souligne le pépiniériste, encore étonné de la rapidité du percement de la gamme en jardinerie. La pépinière Gaurrat est passée d'une production de 3 000 godets fin 2008, à 30 000 godets en 2011 (150 000 boutures en 2010).
Le travail de sélection plaît à Christian Gaurrat, mais le pépiniériste n'aurait peut-être pas entrepris, en connaissance de cause, le long parcours pour mettre sur le marché ses propres variétés. « Dans ma tête, nous faisions une bonne année, nous embauchions une personne et voilà tout, précise-t-il. Je ne pensais pas y passer tant de temps. » Christian Gaurrat souligne également la différence entre la démarche de producteur, la démarche de sélectionneur portée par la curiosité et la démarche de l'obtenteur basée sur la protection des variétés et le marketing.
« Il y a encore beaucoup de travail à faire », constate le pépiniériste, qui a en tête l'hybridation avec des variétés américaines, très poussantes, mais au mépris de la floraison et non adaptées à nos climats. Christian Gaurrat conserve par ailleurs « sous le coude » deux ou trois variétés intéressantes à proposer. La question se pose de faire sous-traiter la production de jeunes plants. La société doit aussi développer l'export, un marché qui a largement souffert de la crise. L'Italie (Pistoia, Rome...), notamment, est très demandeuse de tiges de 2 m.
Valérie Vidril
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