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" Densité de plantation et taille en transparence pour réduire l'entretien "

De gauche à droite, Frédérick Lefèbvre, désherbage et pépinière, Didier Willery, conseiller botanique et directeur, Aurélie André, entretien des vivaces, étiquetage, visites et ateliers enfants, Bertrand Dupont, pelouses et entretien général, et Dominique Cousin, élagueur et multiplicateur, intendance et ruches.

Conservatoire de plantes rares et modèle d'esthétisme, le Vasterival, situé à Sainte-Marguerite-sur-Mer (76), est surtout un laboratoire d'expérimentation de techniques culturales respectueuses de l'environnement. Un exemple d'entretien minimum pouvant servir de modèle alors que la recherche de l'optimisation des moyens est plus forte que jamais.

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Le Vasterival. Un nom aussi mystérieux que célèbre dans le monde des jardins et des passionnés de plantes. Mystérieux car il faut d'abord le trouver ! Niché sur le flanc d'une falaise de la côte d'albâtre, dans le village normand de Sainte-Marguerite-sur-Mer (76), ce jardin botanique privé est réputé pour ses collections et ses techniques particulières de culture et de taille. Célèbre, il l'est de par son illustre créatrice, la princesse Greta Sturdza, qui l'a fait vivre de 1955 à 2009. Depuis, sous la houlette d'une de ses belles-filles, la princesse Irène Sturdza, le jardin est dirigé par Didier Willery, son responsable et conseiller botanique depuis 2006. Auteur de nombreux livres, conférencier et jardinier, ce « dingue de plantes » comme il se définit, mène une équipe de quatre salariés à plein temps toute l'année pour entretenir et faire visiter le jardin de 12 hectares (*). Une curiosité quand on sait que la moyenne pour un jardin botanique est de 2 à 4 personnes par hectare, dont voici la recette.

> Observer la nature. Sur un terrain vallonné, le Vasterival est un jardin de sous-bois conçu pour être beau et intéressant en toutes saisons. C'est un conservatoire de variétés anciennes et de plantes en danger mais aussi un laboratoire pour les hybridations naturelles et les techniques nouvelles. Lieu de partage, son but est d'émerveiller le public pour le sensibiliser à la nature. En effet, la princesse Greta Sturdza s'inspire de la nature qu'elle observait enfant avec son père, dans sa Norvège natale. Elle garde les plus beaux arbres puis plante progressivement le jardin en respectant les sols, les expositions et les besoins des végétaux. Seules les jolies plantes ont grâce aux yeux de cette botaniste mais artiste avant tout. Il faut que le jardin soit toujours harmonieux et que les végétaux se suffisent le plus possible à eux-mêmes. Pour assouvir sa passion de collectionneuse sans tomber dans l'exposition en « rangs d'oignons », elle plante ensemble des variétés similaires mais à la floraison étalée pour un fleurissement en « année ronde » selon son expression. Il en est ainsi des 650 espèces de rhododendrons que compte la propriété, dont les premières fleurs s'épanouissent à Noël et les dernières début octobre.

> « Des plantes les unes dans les autres ». Au fil du temps, 8 500 taxons ont été accumulés. Environ 400 espèces et cultivars d'érables, 200 d'Hydrangea, 100 de cornouillers à fleurs, 120 de fougères et autant de magnolias, y côtoient une multitude de vétégaux associés pour créer de belles scènes grâce aux mélanges subtils des formes, des couleurs, des parfums. Rien n'est laissé au hasard. Chaque plante est savamment choisie et installée avec d'autres. Car c'est le premier principe enseigné par la princesse Greta Sturdza : des plantations denses et « les unes dans les autres » pour des effets successifs, toute l'année. Une reproduction de l'équilibre forestier par la plantation en sept étages : arbres, arbustes, buissons, vivaces, couvre-sols, bulbes reliés par les grimpantes. « C'est une grande révélation !, s'exclame Didier Willery. Le mélange des plantes, leur concentration créée des connexions bénéfiques. Chacune est à sa place, elles se protègent. C'est un des secrets pour réduire l'entretien. »

Ici, chaque massif fonctionne donc comme un écosystème et recèle « 10 idées au mètre carré ». Catalogue vivant, le jardin dévoile chaque mois un nouveau thème de visite. Le printemps avec les collections de magnolias offre bien entendu un spectacle éblouissant mais « c'est en hiver que l'on comprend tout », explique le responsable. À cette saison, les conifères et arbres à écorces décoratives qui structurent le lieu sont bien visibles tandis qu'Hamamelis et osmanthes embaument l'air au milieu des Epimedium couvre-sols. Les visiteurs mesurent alors l'importance des complémentarités.

> Des techniques éprouvées, une esthétique sophistiquée. Car l'esthétisme et l'émotion sont les moteurs. La couleur donne une unité à des massifs de végétaux très différents, selon les principes de la paysagiste anglaise Gertrude Jekyll. Des tableaux de floraisons, de feuillages, d'écorces, de fruits décoratifs, toujours renouvelés, se succèdent tout au long de la visite, au gré des allées moussues qui serpentent, sans qu'on les devine, depuis la grande allée principale. Il s'agit de la perspective majeure, jalonnée de massifs horticoles très travaillés. L'oeil est saisi par la beauté de la scène centrale avec sa Gunnera manicata de 10 m de large.

Tout y est impeccable. Les pelouses d'un vert insolent sont juste tondues et les bordures des massifs simplement coupées. C'est le secret ! Même si le massif est en friche, le passage du rotofil avec un nettoyage des bords à la griffe, une fois par an environ, donne un effet soigné. La terre ainsi nettoyée est ensuite toujours recouverte de mulch. Elle ne doit jamais être nue pour rester fraîche, meuble et propice à la vie biologique de son sous-sol. Par ailleurs, cela limite les adventices. Les principales mauvaises herbes sont les semis spontanés des arbres ! Ceux-ci fournissent les feuilles nécessaires au mulch. Seules celles des allées sont ramassées, stockées en différents points puis réutilisées au fur et à mesure des besoins. Aucun intrant ici et tout est recyclé en permanence. Par exemple, les limaces sont éradiquées avec de la cendre de bois dont on remplit les trous nourriciers en automne, à la chute des feuilles. La mousse est aussi un élément essentiel, confortable pour les visiteurs et entretenue par leurs pas, elle tapisse la plupart des allées et prépare le sol pour l'enherbement.

> Taille en transparence. De cette volonté de respecter la nature en créant du beau avec un entretien minimum est né le deuxième principe légué par Greta Sturdza : la taille en transparence. Mise au point par la princesse, cette technique conserve la forme naturelle des arbres tout en les évidant pour laisser passer la lumière et l'eau. Ils sont ainsi en meilleure santé. Des végétaux peuvent vivre à leurs côtés immédiats et ceux plus éloignés, parfois distants de 80 m, sont visibles dans des perspectives surprenantes.

La taille en transparence est une taille « ample », respectueuse de la forme et de la dimension. Les tabliers bas des arbres et arbustes sont conservés pour laisser des fleurs « surgir du sol », dans une illusion inattendue. En zone de sous-bois, un gros bosquet de vieux camélias au feuillage très noir, atteints de fumagine et parasités par les cochenilles, a ainsi été sauvé. Dominique Cousin, élagueur du domaine, explique qu'il s'agit d'abord de comprendre et d'observer la pousse des arbres. L'allée créée entre les camélias, ouverte sur le reste du jardin, avec des fleurs au niveau des yeux, résulte d'un choix judicieux de branches à éliminer. La lumière apportée, conjuguée à la circulation de l'air et de l'eau de pluie, a prolongé de deux mois la floraison, jusqu'au début juillet, et éliminé les problèmes sanitaires. Désormais, une taille annuelle suffit avant la reprise de croissance.

> Planter petit pour un meilleur enracinement. Si la taille est importante, la plantation l'est tout autant. Les arbres sont plantés le plus petit possible pour éviter les problèmes d'enracinement, souvent liés à la culture en containers. Ils reprennent tout de suite. Le collet bien dégagé, toujours sur talus, au milieu de la végétation, ils poussent plus vite et sont préservés des chevreuils et des lapins. Le bois d'érables a ainsi été planté dans un sous-bois de frênes, avec la protection naturelle des ronces et le fond persistant des Cryptomeria pour la mise en valeur des feuillages colorés. Les frênes pompent l'humidité excédentaire néfaste aux érables dont les jeunes feuilles peuvent s'épanouir à l'aise au printemps. C'est un des nombreux exemples de coopération végétale expliqué aux amateurs lors des visites guidées. Mais le Vasterival reçoit aussi de plus en plus de professionnels pour des formations à la taille...

Isabelle Cordier

(*) Ouvert au public une heure par jour, le matin en semaine pendant les vacances scolaires pour des visites guidées, et pour des journées thématiques (vente de plantes, de miel et de livres, etc.). Sur rendez-vous à d'autres périodes et pour des évènements privatifs.

Les plantations sont très denses, elles sont menées selon le principe « les unes dans les autres ». Ici, les lys sont installés avec les hortensias et se naturalisent depuis 10 ans.

La perspective principale du Vasterival.

Au centre de l'allée principale, le massif de Gunnera.

Nettoyage en bordure d'un massif dans l'allée principale. La terre sera ensuite recouverte de mulch.

Hydrangea macrophylla 'Blaumeise' dont un pied produit des fleurs roses. Ce qui est la conséquence de la chute d'un arbre à l'arrière du massif, qui a rendu le sol plus sec et changé son acidité.

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