" Une méthode pour conjuguer paysage et gestion naturelle de l'espace "
À Lyon (69), Thierry Levaillant a créé Wasa Sabi SARL à la suite d'une reconversion. Son ambition est d'assurer à la fois le rôle du concepteur et celui du gestionnaire d'espaces naturels grâce à l'adoption de techniques peu connues mais pourtant éprouvées, comme la méthode de Benjes. Avec des résultats écologiques et esthétiques.
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Après une formation BTSA « aménagements paysagers » à la suite d'une reconversion professionnelle, Thierry Levaillant a créé son bureau d'études dédié au paysage, Wasa Sabi, en 1998. Dès le départ, il oriente son activité sur des projets liés à des fortes problématiques environnementales comme la réhabilitation de carrières, de sites industriels, de parcs périurbains à vocation pédagogique ou des aménagements autour de zones naturelles. Dans ces projets, la protection de la faune et de la flore occupe une place prépondérante, le rôle des naturalistes (bureaux d'études ou associations) est primordial.
« Pourtant, fait-il remarquer, paysagistes et naturalistes travaillent souvent chacun de leur côté.Les études liées aux aménagements paysagers et celles concernant la protection du milieu font la plupart du temps l'objet de prestations séparées. Les paysagistes sont d'ailleurs peu formés sur le second aspect, et connaissent mal la flore locale. Ils sont plus habitués à travailler avec une gamme de végétaux exotiques ou horticoles. Mon ambition est de porter un regard en tant que paysagiste mais aussi comme naturaliste, de limiter cette séparation et de recréer du lien entre ces deux fonctions, de concevoir des aménagements qui intègrent la protection ou la création d'un écosystème favorable au maintien ou au retour de la faune et de la flore : refuges, corridors, haies, mares... La politique des Espaces naturels sensibles (ENS) constitue un bon exemple. Si chaque acteur a un rôle bien défini, inventorier et protéger les habitats naturels pour l'un, créer les aménagements permettant de faire découvrir ces richesses au public pour le second (sentiers de découvertes, parkings et accès...), les deux missions doivent se coordonner. Le rôle du paysagiste sera de limiter au maximum les interventions lourdes pour ne pas perturber le milieu mais aussi de mettre en scène cette nature dite ordinaire : travailler avec les plantes indigènes, et les matériaux locaux, trouver des techniques alternatives aux aménagements classiques, tout en restant très simples à mettre en oeuvre. »
> Empiler des branchages pour créer des haies naturelles. Thierry Levaillant s'inspire notamment des travaux d'Hermann Benjes, écologiste allemand, qui a mis point une méthode favorisant le développement de haies spontanées par un simple empilement de branchages (voir encadré). Cette technique doit être suffisamment compacte pour limiter le développement de la flore herbacée, et aérée pour permettre la germination de graines d'arbres et d'arbustes, disséminées par le vent ou les oiseaux depuis les boisements alentours. Elle présente l'avantage d'un coût très réduit et permet d'obtenir une haie composée à 100 % de végétaux d'origine locale. L'inconvénient est qu'on reste sur quelque chose de spontané, avec un développement plus ou moins rapide, de fortes irrégularités sur la longueur, ce n'est pas « carré ». « Toutefois l'effet de recolonisation n'est pas le point le plus important. Ce qui est intéressant c'est surtout l'effet corridor et la dynamique naturelle qui se met en place », précise le paysagiste.
> Un effet corridor immédiat. « J'ai réalisé pour la première fois cette méthode sur le site d'une cimenterie, raconte-t-il. L'entreprise désirait réaménager une ancienne voie de chemin de fer pour transporter sur plusieurs kilomètres les granulats extraits de sa carrière. Ces lignes, abandonnées depuis plusieurs dizaines d'années, constituent des corridors écologiques exceptionnels pour la flore et la faune. La végétation arborée se développe de chaque côté des voies et, entre les rails, elle est plus réduite de par la forte épaisseur de ballaste et le compactage, ce qui constitue un couloir protégé pour la faune. Les travaux nécessitaient d'abattre une grande partie de cette haie naturelle, ce qui avait pour conséquence de détruire le paysage et ce corridor pour plusieurs années. Les plantations de haies et bandes boisées prévues ne permettaient pas une reconstitution immédiate. L'abatage ou la taille des végétaux ont généré un gros volume de rémanents : branches, gros bois. La méthode de Benjes a permis de résoudre en partie ces deux problématiques. Les branches ont été disposées au sol, recréant très rapidement un refuge et un passage pour la petite faune. Au niveau des dé-chets verts, les petites branches ont, après broyage, servi pour pailler les plantations, les branches et les bois de gros diamètres ont pu être utilisés tel quel, sans broyage. Avec la méthode de Benjes, l'effet corridor est immédiat, alors qu'il faut attendre au moins cinq ans pour les plantations. Cette recette n'est pas à appliquer partout. Elle est complémentaire. »
> Mettre en avant le rôle du jardinier. Dans les parcs et jardins ouverts au public, Thierry Levaillant a retravaillé le concept pour lui donner une dimension décorative, voire artistique, à l'exemple du jardin présenté en 2009 au Festival de Chaumont-sur-Loire (41). Empiler les branches en andains est souvent jugé inesthétique, aussi l'idée est de travailler ces matériaux en appareillages orthogonaux. Les branches sont disposées minutieusement avec un agencement ordonné, ce qui donne un aspect propre, parce que régulier. Les branchages et gros bois, au-delà du simple empilement décrit dans la méthode de Benjes, deviennent par ces appareillages le fil conducteur des aménagements et intègrent plusieurs fonctions : utilitaire pour souligner, par exemple, le tracé d'un chemin tout en évitant la divagation des promeneurs, pratique pour recycler des déchets verts in situ, biologique comme décrit plus haut, décorative en se rapprochant du land art. « On donne une certaine valeur à des matériaux on ne peut plus ordinaires. » Le paysagiste y ajoute aussi une dimension sociale : « Sur un Espace naturel sensible, j'ai eu l'occasion de collaborer avec des équipes de chantiers d'insertion, chargées des travaux d'abattage et d'entretien du site. Plutôt que de broyer les branches, j'ai travaillé avec eux pour créer des appareillages en forme de nids géants, de clairières rayonnantes. Cela apporte une motivation et une créativité dans le travail d'entretien souvent jugé peu valorisant pour les jardiniers, et contribue à restituer une dimension artisanale et artistique à nos actes professionnels sans générer de coûts supplémentaires. Cette approche a aussi une vision pédagogique, celle de montrer au public qui fréquente ces lieux que des personnes oeuvrent à la gestion de ces espaces naturels. Plutôt que de s'efforcer de faire disparaître ces "déchets" et ainsi toute trace du passage des jardiniers, on s'attache au contraire à les mettre en avant. »
> Le concept trouve sa place dans les jardins de particuliers. Un jardin, ce n'est pas seulement des végétaux, c'est également un grand nombre d'espèces animales, petits mammifères, insectes, oiseaux qui y cohabitent. Le jardinier doit leur laisser de l'espace, leur réserver des zones refuges, des hibernaculum, comme des tas de bois et branchages, des murets de pierres sèches, des nichoirs... pour les petits animaux. Dans son propre jardin, Thierry Levaillant expérimente sans cesse. Les pousses issues de la taille des haies sont réutilisées au pied de celles-ci selon sa technique en appareillage orthogonaux. « On accélère la dynamique de la haie et son effet corridor simplement en déposant les branches au pied des arbustes, ces matériaux riches en matières sèches et très aérés se décomposent lentement, fournissent nourriture et abris aux micro et macroorganismes. On peut ainsi limiter ses exportations de déchets verts de plus de 80 %, et sans utiliser de machines lourdes. J'ai remarqué également qu'en créant ces zones refuges, on a moins de prédation par les chats. »
Son expérience, Thierry Levaillant va la partager au sein de l'Afac-Agroforesteries (Association française arbres champêtres) avec la création des groupes de recherche dédiés à la régénération naturelle. L'un cherchera à déterminer sur quels critères on préférera cette solution par rapport aux plantations, un autre visera à identifier quelles méthodes employer selon les situations et quel doit être le niveau d'intervention : Est-ce qu'on maîtrise tout ou partie ou est-ce qu'on laisse simplement faire la nature en arrêtant les fauches ?
Claude Thiery
Chantier d'appareillage des branchages au festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire (41) en 2009. PHOTO : WASA SABI
Rotonde en sous-bois réalisée dans le cadre d'un chantier d'insertion de l'association Meygalit, aux Narces de la Sauvetat, en Haute-Loire. PHOTO : WASA SABI
Utilisation de la méthode d'Hermann Benjes ayant permis de reconstituer une haie bocagère rurale. PHOTO : WASA SABI
Le procédé mis au point par l'écologiste allemand Benjes trouve aussi sa place dans les jardins particuliers. PHOTO : CLAUDE THIERY
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