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" Un jardin thérapeutique se conçoit en concertation pour être vivant "

Laure Bentze (à gauche) et Stéphanie Personne se sont rencontrées à AgroParisTech. Leur entreprise, Terr'Happy, est née de leur envie de mettre leurs compétences au profit des personnes fragiles via des jardins spécialement adaptés. Ces derniers permettent de se reconnecter avec la nature, de profiter des bénéfices qu'apportent ces espaces en termes de santé. Ils doivent toutefois être conçus écologiquement et avec beaucoup de réflexions.PHOTO : ISABELLE BOUCQ

Convaincues des bienfaits des jardins, Laure Bentze et Stéphanie Personne ont créé Terr'Happy. Basée à Saint-Germain-en-Laye (78), leur entreprise conçoit des espaces de santé destinés, entre autres,à calmer l'anxiété, à améliorer la concentration, à favoriser l'ouverture aux autres afin de répondre aux besoins de personnes fragiles, en difficulté.

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Par un après-midi de janvier, Laure Bentze et Stéphanie Personne inspectent l'avancée des travaux dans le jardin de la Résidence des Jardins de Montmartre. Ce site accueille 98 personnes âgées en plein coeur du quartier touristique de Paris (18e). Havre de verdure dans la ville, cet espace est en plein réaménagement pour que les résidents puissent venir y jardiner dans des bacs surélevés, profiter d'un cocon de grimpantes (clématite, houblon), déguster des petits fruits rouges à portée de main ou discuter sur la placette autour d'un grand robinier. Encadrés au départ par Anne Ribes, pionnière des jardins de soin en France, avant d'être pris en main par la psychologue et la psychomotricienne du lieu, desateliers attireront les résidents dans le jardin dès le printemps.

> Une start-up de l'économie solidaire et sociale. Avec leur solide bagage scientifique (voir l'encadré Repères) et une passion commune pour la nature, les deux jeunes femmes décident de lancer une entreprise pour connecter des personnes fragilisées à la nature à travers des jardins adaptés. Il s'agit d'améliorer leur bien-être physique, psychique et social. En juin 2016, naît Terr'Happy. Cette start-up de l'économie solidaire et sociale bénéficie du soutien d'Antropia (1), un catalyseur d'entreprises sociales rattaché à l'école de commerce ESSEC. « Les choses sont claires : notre mission sociale est au premier plan. Notre but économique est d'être viable à long terme, au bénéfice de cette mission », précisent les deux fondatrices.

> Des jardins issus de la concertation. En accord avec les principes exposés dans le livre Therapeutic Landscapes, de Clare Cooper Marcus et Naomi Sachs (2), les deux femmes estiment qu'il est indispensable de concevoir un jardin thérapeutique en concertation avec les bénéficiaires, les soignants et les familles. C'est pourquoi leurs projets commencent par un temps de rencontre et d'enquête. Ici, quatre réunions ont été nécessaires : « Nous cherchons à savoir si les gens avaient des jardins auparavant, de quelle région ils viennent, quels sont leurs souhaits. Grâce à ces discussions informelles, nous obtenons les indices pour créer le jardin. C'est un gros investissement en temps, mais c'est indispensable pour faire mûrir le projet et augmenter ses chances d'aboutir », explique Laure Bentze. Ce n'est que dans un deuxième temps qu'elles dessinent et proposent un jardin. Pour le gros oeuvre, elles font appel à des entreprises d'espaces verts, même si elles retroussent aussi leurs manches pour assembler des jardinières en bois ou encore une cabane.

> Penser également à la santé du jardin... « Un jardin thérapeutique doit être vivant. Pollué, il ne peut pas être bon pour la santé : c'est un non-sens, affirme Stéphanie Personne avec conviction. Une conception écologique a forcément un impact sur le choix des plantes : non envahissantes, attractives envers les auxiliaires de culture comme les oiseaux et les coccinelles pour éviter les produits phytosanitaires. La diversité contribue à rendre le jardin attractif pour les bénéficiaires. »

Les plantes potagères occupent une place centrale dans la palette à la disposition des concepteurs de jardins thérapeutiques : « Elles se prêtent à des activités, ce sont celles qui parlent le plus aux bénéficiaires du jardin même si, à Paris, les gens sont généralement plus attirés par les fleurs. Parfois nous choisissons une plante précise, pour faire venir une personne, en tant que participanteou même seulement comme observatrice », continue Laure Bentze.

Dans un ESAT, établissement et service d'aide par le travail qui accueille des personnes handicapées, Stéphanie Personne se souvient avoir créé une nursery de fraisiers : « J'ai comparé les stolons à des cordons ombilicaux pour les nouveaux fraisiers. Nous les avons enracinés dans des pots, en les tenant avec une épingle à cheveux, avant de les replanter ailleurs. C'est un bon prétexte pour parler, par exemple, du cycle de la vie. C'est magique. » Avec des personnes âgées souffrant de troubles neurodégénératifs, le langage peut faire défaut, mais les plantes font appel aux autres sens : on peut caresser (les « cheveux d'ange » ou les « oreilles de lapin »), certaines réveillent des souvenirs grâce à leurs fragrances. « Chez une personne âgée en train de perdre la vue, toucher et sentir des plantes a fait naîtreun sourire sur son visage », se souvient Stéphanie Personne.

En 18 mois, Terr'Happy a réalisé une dizaine de projets. Dans un établissement d'accueil de jour de l'association Étape 3A à Saint-Germain-en-Laye (78), un jardin apaisant permet aux patients atteints de la maladie d'Alzheimer de calmer leur anxiété. Des bacs de légumes, plantes à toucher, plantes à tisane (mélisse, verveine, sauge ananas...), un bassin et ses poissons, une mangeoire et des bancs... attirent les « accueillis » dans le jardin.

« Nous avons montré aux soignants comment animer des ateliers ; c'est indispensable pour que le jardin vive dans le temps », explique Laure Bentze.

Dans des résidences pour des personnes âgées autonomes, les deux créatrices ont également conçu des jardins à la demande du directeur qui voulait « une activité qui ait du sens et qui soit durable dans le temps ». À l'ESAT des Hauts-de-Cergy (95), on attend du jardin qu'il aide les travailleurs handicapés à améliorer leur concentration et leur capacité à travailler en équipe. Le potager plein sol, objet d'un partenariat avec un collège voisin afin d'ouvrir l'ESAT à l'extérieur, accueille des associations bénéfiques : framboisiers et myosotis, fraises et basilic, ou encore oeillets d'Inde et tomates.

> Former les soignants. Constatant qu'il n'existait pas de formation en Île-de-France, les fondatrices de Terr'Happy ont organisé une première session de trois jours en 2017, reconduite du 28 au 30 mai 2018. Elle est destinée aux soignants, animateurs, travailleurs socio-éducatifs, mais aussi aux professionnels du paysage. Cette « initiation au jardinage thérapeutique dans un jardin de soin » se déroule à Maule (78), et elle est organisée en collaboration avec l'association Belles Plantes d'Anne et Jean-Paul Ribes.

Le Jardin d'Épi Cure, implanté dans un foyer d'accueil médicalisé, à proximité, fournit un terrain d'application. Les stagiaires, dont certains ont déjà un projet en route, y apprennent comment concevoir, réaliser et animer un jardin de soin.

Pour Stéphanie Personne et Laure Bentze, « ces jardins demandent une réflexion et une approche centrées sur les bénéficiaires. Et cela ne s'improvise pas ». n

Isabelle Boucq

(1) Antropia a pour mission d'accompagner les entreprises innovantes à vocation sociale et/ou environnementale.(2) Le Lien Horticole n° 933du 17 juin 2015.

Dans cette résidence située sur la butteMontmartre, à Paris, Laure Bentze et Stéphanie Personne ont envisagé un jardin qui se répartit sur plusieurs niveaux. Les divers éléments installés vont être aménagés et vont accueillir des espèces adaptées aux besoins des bénéficiaires.

PHOTO : ISABELLE BOUCQ

Lors d'ateliers de végétalisation de bacs, dans une résidence d'autonomie du Val-d'Oise, une dizaine de résidents ont rejoint l'activité avec enthousiasme : les plantes apaisent leurs angoisses, leurs peurs, donnent un sens et une utilité à leur vie...

PHOTO : TERR'HAPPY

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