" Ménager le patrimoine et valoriser la ville : un challenge ! "
En avril dernier, les membres de l'association Hortis visitaient Vienne, en région Rhône-Alpes. Guillaume B ouvier, responsable du service espaces verts, a passé en revue divers projets d'aménagements avec chacun leurs lots de contraintes liés à la particularité de la v ille, de par sa situation et son riche passé.
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Pour le contexte général, vestiges gallo-romains, bâtiments médiévaux, patrimoine industriel du XIXe siècle... Vienne (38), située le long du Rhône à trente kilomètres au sud de Lyon, dispose d'un patrimoine historique exceptionnel.
La ville possède - sur un espace restreint - un grand nombre de bâtiments classés. Atout essentiel pour l'attrait touristique, ce patrimoine attire un demi-million de visiteurs chaque année. Les différentes manifestations culturelles, fêtes historiques, concerts... s'appuient largement sur ce capital. Le théâtre antique et le jardin de Cybèle accueillent chaque année - depuis le début des années 1980 - le festival Jazz à Vienne (1er festival de la région).
Sur l'ensemble du centre historique, la municipalité a mis en place une AVAP (Aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine)*. Ce document de référence permet de fixer un cadre lors de la délivrance des autorisations administratives : permis de construire, déclarations préalables et autorisations diverses d'aménagement d'espaces publics ou privés.
Patrimoine : atout et handicap
Revers de la médaille d'un riche patrimoine : tous les projets d'aménagement, de construction ou réhabilitation doivent tenir compte de ce passé. En plus des contraintes techniques et environnementales, tout projet est soumis à l'avis de l'Architecte des Bâtiments de France (ABF). Les préconisations de celui-ci peuvent porter sur des détails comme le choix des matériaux ou des couleurs, ou entraîner des modifications plus importantes. Ces préconisations portent principalement sur les bâtiments, mais cela se ressent aussi au niveau des espaces verts. « Les ABF sont, depuis quelques années, réticents à toute végétalisation aux abords des bâtiments historiques, qu'ils soient d'époque romaine ou médiévale, explique Guillaume Bouvier, responsable du service espaces verts. Ainsi, après rénovation, la pyramide de l'ancien cirque romain a vu disparaître le massif fleuri qui l'entourait au profit d'un espace minéralisé. De même, lors de la réfection de la place Saint-Paul et de la façade nord de la cathédrale Saint-Maurice, les végétaux prévus aux abords de l'édifice ont dû être supprimés. Ceux-ci auraient pourtant permis une meilleure intégration des zones de parkings. Un peu plus loin, autour du temple d'Auguste et de Livie, la pelouse mise en place il y a quelques années permet une meilleure mise en valeur du monument, en limitant le stationnement des véhicules. Cet espace végétalisé fait toutefois débat, autant du côté de l'ABF qui préférait une surface minérale, que pour une partie de la population vis-à-vis des déjections animales.
Toutefois, les bâtiments classés ne sont que la partie visible, l'essentiel des vestiges se situe sous la surface du sol. Sur la zone de saisine archéologique, toute excavation est susceptible de faire l'objet de fouilles sous l'autorité de l'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP), (sauf le remplacement de réseaux existants soumis à une simple surveillance de la part du Service Régional d'Archéologie). Ces contraintes augmentent fortement les coûts jusqu'à plusieurs millions d'euros sur des chantiers d'envergure et peuvent remettre en cause les projets de réaménagement. Ainsi, pour la rue Marchande en centre-ville, la ville a dû renoncer aux plantations d'arbres, à cause du coût prohibitif des fosses de plantation.
Patrick Curtaud, adjoint à la culture et historien passionné, nuance le propos : « Si ces fouilles représentent des contraintes techniques et économiques évidentes, elles permettent d'améliorer la carte archéologique de la ville, et apportent des éléments essentiels sur l'histoire de Vienne avec, parfois, la découverte de véritables trésors, comme les nombreuses mosaïques exposées au musée Gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal.
Dix à quinze mille euros de fouilles préventives par fosse de plantation
La réhabilitation de la rue Marchande a pour objectif de redynamiser les commerces de centre-ville sur cette artère commerciale, très prospère jusque dans les années 1980, et quelque peu délaissée par les commerçants depuis. Son aspect vieillissant malgré quelques façades patrimoniales intéressantes, le manque d'uniformité des sols, les difficultés d'accès aux commerces, autant pour la clientèle que pour les livraisons, n'incitaient guère à venir s'y installer.
En concertation avec les habitants du quartier, le caractère piétonnier de cette rue à fort dénivelé a été maintenu. La réfection de la voirie, avec un caniveau central, a permis de réaménager des accès aux commerces aux normes PMR (Personnes à mobilité réduite) et accès pompiers. Sur ces trois cents mètres de voirie réaménagée, douze fosses (dont six fosses de plantations et deux fontaines) devaient être creusées, soit douze sites à fouiller. Au vu du coût, estimé par l'INRAP - 10 000 à 15 000 € par fouille - la plupart ont été laissées à l'abandon. Seules les deux fosses pour les conteneurs de tri sélectif enterrés ont été conservées. Les plantations d'arbres en pleine terre sont remplacées par des bacs hors sol.
Reconquérir les berges du fleuve
Si, sur la rive droite du Rhône, la plupart des villes sont restées connectées au fleuve, ce n'est pas le cas pour celles de la rive gauche. Ainsi, à Vienne, depuis le début des années 1960, avec la construction de l'autoroute A7, les quais du Rhône ont été transformés en une large voie de circulation routière, quatre voies dont deux en encorbellement sur le fleuve. Même si le trafic a diminué avec la déviation de l'autoroute une dizaine d'années plus tard, cette artère requalifiée en route nationale reste essentielle et incontournable pour la traversée de la ville.
Pour améliorer son image, reconquérir les berges du fleuve et favoriser les modes de transport doux, la communauté Vienne Condrieu Agglomération a entrepris l'aménagement, au niveau du centre-ville, d'une voie verte mixte réservée aux piétons et aux cyclistes. Cette nouvelle voie assurera la continuité des pistes cyclables déjà existantes dans les parties nord et sud de la ville et permettra de relier sans danger la rive droite (Ville de Sainte-Colombe) et la ViaRhôna (voie cyclable) par la passerelle piétonne récemment rénovée.
Ici, les contraintes et défis à relever sont avant tout d'ordre technique : revoir le profil en travers de la voirie pour créer une voie mixte cycliste et piétonne de trois mètres de largeur, séparée de la chaussée par une jardinière de 50 cm de hauteur, le tout sans réduire le nombre de voies dédiées à la circulation automobile (avec une voie de secours pour l'autoroute, on est contraint de garder 2 X 2 voies de circulation). Ces dernières verront leur gabarit légèrement réduit. La seconde contrainte importante se situe sur la partie de l'ouvrage en encorbellement sur le Rhône avec les surcharges éventuelles à observer, le respect des joints de dilatation entre les différentes surfaces bétonnées qui constituent la chaussée, et la fixation en encorbellement d'un nouveau garde-corps plus « transparent » que le précédent. Tous ces points techniques sont placés sous l'autorité de la DIRCE (Direction Interdépartementale des Routes Centre-Est).
« Cet aménagement est aussi un atout pour le service espace vert, précise Guillaume Bouvier. Cette voie constituait un obstacle pour prétendre à l'obtention de la quatrième fleur. La voie verte, l'ouverture sur le fleuve, la suppression des jardinières d'annuelles qui étaient jusqu'alors placées sur le garde-corps, sont autant d'éléments importants pris en compte par le jury. La nouvelle jardinière de soixante-quinze centimètres de large, séparant la voie verte de la chaussée automobile, accueillera une végétation basse qui puisse à la fois dissimuler en partie les véhicules depuis la berge, tout en permettant de voir le fleuve depuis le trottoir d'en face. Cette bande de presque 2,4 kilomètres de longueur doit rester fleurie et agréable toute l'année, tout en limitant les contraintes d'entretien. De cette décision découle la mise en place d'une végétation pérenne diversifiée, dix gammes de dix-huit variétés de plantes vivaces, avec un arrosage goutte-à-goutte...n
Claude Thiery
*Depuis la loi Grenelle II de 2010, les AVAP remplacent les ZPPAUP ou Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager
Dans la rue Marchande, seules les deux fosses pour les conteneurs de tri sélectif enterrés ont été conservées. Les plantations d'arbres en pleine terre sont remplacées par des bacs hors-sol.
Sur la zone de saisine archéologique, toute excavation (ici, pour des conteneurs de tri sélectif enterrés) est susceptible de faire l'objet de fouilles sous l'autorité de l'INRAP.
Lors de la réfection de la place Saint-Paul et de la façade nord de la cathédrale Saint-Maurice, les végétaux ont été supprimés, sur les consignes des Bâtiments de France.
La nouvelle jardinière de soixante-quinze centimètres de large, séparant la voie verte de la chaussée automobile, accueillera une végétation basse qui puisse dissimuler les véhicules depuis la berge, en permettant de voir le fleuve depuis le trottoir d'en face.
L'ancienne barrière le long du Rhône est remplacée par un nouveau garde-corps plus « transparent » que le précédent. PHOTOS CLAUDE THIERY
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